29 – CINDY LAUPER : True Colors
Je descends les escaliers avec une boule au ventre qui grossie un petit peu à chaque marche où j’aurais du mal avec des talons aiguille. J’emprunte le passage souterrain, m’arrête devant la porte pour réprimer un haut-le-cœur. Mon souffle s’est apaisé quand je sors pour gravir les quelques marches qui m’amènent sur le trottoir que je suis pour me rendre sur le boulevard. Le quartier est peu fréquenté, surtout en raison du faible nombre d’habitant. Je ne croise guère qu’une dame âgée qui rentre avec son caniche dans l’immeuble qui fait l’angle. Elle ne me remarque même pas.
Avec mes grosses semelles en plastique, mon pas est quasi silencieux alors que la nuit gagne de seconde en seconde pour remplacer le jour. Je retrouve Madame Belle qui discute avec d’autres filles, elle me présente à celles que je n’avais pas déjà croisées. Nous sommes toutes souriantes, la petite nouvelle que je suis a droit à quelques conseils des « anciennes ». Les recommandations sont souvent les mêmes comme bien se faire payer avant, le préservatif, éviter ceux qui sont plusieurs dans une voiture, bien collecter ses déchets…
Il est bientôt 22 heures, les groupes se séparent pour que chacune puisse regagner son poste. Je descends l’avenue en compagnie de Barbara. Elle ne doit pas mesurer plus d’un mètre soixante sans ses talons qui rythme chacun de nos pas. Le teint clair, des cheveux bonds à peine plus long que les miens, un regard bleu profond, le visage allongé avec un nez fin, grec, si je me souviens bien de mes cours de physionomie. Elle a son charme comme on dit, tout comme la plupart des autres, quel que soit leurs âges. Elle est habillée tout en noir avec une jupe courte et un tee-shirt qui met ses formes en valeur. Je peux dire qu’elle a de petits seins, puisque je fais désormais partie de celles qui en ont, mais c’est harmonieux avec son physique.
J’apprends qu’elle fait partie des temps-partiels, qu’elle partage son poste avec deux de ses cousines. Elle est là le lundi et le jeudi, Annabelle le jeudi et le vendredi, et Priscilla les autres jours. Mais il est temps, je regarde chacune se mettre sur une ligne invisible, et lorsque le clocher d’en face sonne le premier coup, comme répondant à l’appel d’un commandant invisible, nous répondons toute silencieusement « présente » en avançant de trois pas.
Comme beaucoup, lorsque mon regard remonte tout du long, je m’appuie contre un des petits poteaux qui délimitent le boulevard. Des voitures passent sans s’arrêter, mais il ne faut pas attendre longtemps avant que certaines ne stoppent, le ballet des allers-et-retours commencent. Pourquoi à ce moment-là penser à l’origine de l’expression « faire le pied de grue ». Comme ces filles d’une autre époque, je vends mes charmes, sauf que j’ai les deux pieds au sol, et non un contre le mur, ce qui les faisaient ressembler à l’échassier.
De ma position, je suis étonnée de constater qu’il y ait autant de clients, de John comme disent les travailleuses du sexe américaines. Rien à voir avec les embouteillages des heures de pointe, mais le flux, bien qu’irrégulier, ne se tarit pas. Je suis la petite dernière du boulevard, il me faudra plus d’une heure avant d’avoir mon premier client dont les premiers mots seront : « alors c’est toi la nouvelle t’es plutôt bien roulée » !
Je l’ai pris comme un compliment alors que je m’accoudais à sa portière. Il s’en est suivi la traditionnelle discussion :
- Alors c’est combien ?
Et la réponse :
- 20 la pipe couverte, 30 sans, 40 l’amour, 60 la sodomie.
Du moment où j’ai prononcé cette phrase, mon cœur a repris son rythme presque normal, j’étais devenue Eiffel, une pute de rue.
Il m’a répondu :
- Va pour 30, dommage que j’ai pas pris plus, je reviendrai pour t’enculer. Allez, grimpes !
Dans la voiture il m’a payé et ajouté :
- C’est rare les putes qui acceptent de s’la prendre dans le cul, tu vas avoir du monde quand ça va s’savoir !
Il s’est tu pendant le reste du court trajet, a stoppé dans la petite rue de son choix, puis il a reculé son siège, j’ai de même, il a sorti son matériel, j’ai fait ce pourquoi j’étais payée. Il est resté muet, peut-être rêvait-il à la prochaine fois ? A la fin, il m’a tenu la tête, pas vraiment de quoi s’étouffer, j’ai fait le service après-vente puis je lui ai donné sa lingette.
Il faut croire que de referme son pantalon a eu pour effet de rouvrir sa bouche, bien évidemment remplie de paroles élogieuses :
- T’es une bonne pute ! T’as dû en prendre des kilomètres de queues pour sucer comme ça…
Pendant qu’il continue ses louanges concernant ma cavité buccale, je profite de son miroir de courtoisie, avec éclairage, pour constater que le rouge à lèvres longue tenue sans transfert, c’est top. Une fois arrêtés, je lui dis :
- A bientôt chéri !
Il me répond, rictus inclue :
- Tu peux y compter !
C’est la promesse que j’ai eue, de presque chaque John…
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