30 – YES : Owner a Lonely Heart
Autant le dire, passé 01h00 du mat’, les voitures se font plus rares, je vois certains postes se vider. C’est ma première nuit, je reste jusqu’au bout de la cloche de 03h00. Je chevauche un conducteur peu après 02h00, ce sera tout. Si je devais comparer, 30+20+30+40, c’est ce que je fais en un heure avec un rendez-vous sur le site.
Il faut l’avouer entre le boulevard et l’internet, une voiture et une chambre, y a pas photo pour celle qui envisage de faire carrière, même ponctuellement. Seulement, ce n’est qu’une façade, ce n’est pas un jeu non-plus. Ton consentement se matérialise au moyen de quelques billets, ton plaisir se résume le plus souvent aux bruits que font les filles pour plaire et flatter les hommes qui s’ébrouent en elles.
Ding Ding Ding, nous retournons toutes dans l’ombre du trottoir. L’avant-dernière, Stacy, vient me voir alors que Barbara est partie pendant mon dernier John. J’atterris doucement pendant qu’Eiffel s’efface pour laisser la place à Floriane et mon interlocutrice à Sabrina. Elle me demande si tout est OK, comme c’est ma première nuit. Je réponds par l’affirmative, sincèrement, il y a bien une séparation entre la lumière et l’ombre, entre Eiffel et Floriane.
C’était bien dans cet ordre-là, mais je ne m’en suis rendue compte que bien plus tard.
Aucun motard n’est passé ce soir-là, ni ne s’est arrêté pour moi dans les semaines qui ont suivies. Septembre a laissé la place à octobre, puis à novembre. Une solitude s’est installée, de celle qui vous mine, insidieusement, un peu plus tous les jours, inexorablement, attendant le bon moment pour appuyer sur le détonateur. Tous les dimanches je laissais un rapport sur mon absence de progrès, faute de motard, sans ne jamais avoir aucune réponse, même à ma toute première question. Je crois même avoir supplier une fois Alphonse, mon contact, de me répondre, même avec une simple feuille blanche. Rien.
J’ai continué à courir, à faire des exercices, à lire, à écrire des rapports fictifs, tout ce qui pouvait me tenir la tête hors de l’eau, cependant, rien ne venait compenser le vide, la solitude qui grignotait chaque parcelle de mon âme. J’en suis venue à prier, à chaque grognement sourd d’un moteur, le cœur battant, qu’un biker s’arrête enfin, seulement, soit ils fonçaient vers leur repère, soit ils s’arrêtaient pour une autre. Parfois, je retenais une larme, chaque moto à m’abandonner devenait comme une brique supplémentaire à la construction de mon enfer.
Dès la deuxième semaine de septembre, j’ai un rendez-vous via le site, un, comme ça, sur un coup de tête, me disant que ça m’occuperait. Sur le boulevard, je l’ai appris, tout fini par se savoir, aussi, petit à petit grâce à ma rosette, j’ai eu un peu plus de passage. A la fin du mois, comme la plupart de mes collèges, je faisais en moyenne sept à huit passes en semaine et dix à douze les fins de semaine.
Un soir de novembre, alors que nos rangs étaient clairsemés en raison d’une épidémie de grippe, j’en ai fait dix-neuf. Cette nuit-là, après la sixième fois, je n’ai pas remis mon plug de quarante millimètres, il ne tenait plus tout seul. Si vous vous posez la question, bien que je ne puisse parler que pour moi, la sodomie, ça fait mal, à chaque nouvelle introduction, et oui, plus la masse est imposante, plus c’est douloureux.
Ensuite, il ne faut oublier qu’étant une prostituée, quand le John a payé, c’est lui qui choisit. Si je dis qu’il est doux, c’est qu’il prend son temps, savoure, pour les autres, tu subis. J’ai encaissé, beaucoup, pleuré parfois avec la sensation de me fendre en deux. J’ai souvent mordu ma main pour ne pas crier, je n’ai jamais refusé personne, même si deux ou trois fois, je me suis demandée…
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