31 – ULTRAVOX : Dancing with Tears in my Eyes
Il est arrivé un moment, pas très loin de décembre, ou plutôt au tout début, quand je me suis rendu compte que je sombrais, non que je ne prenne pas soin de moi, enfin au moins sur un plan physique. Je continus le sport, je m’alimente correctement, je dors ce qu’il faut. Ce que l’on nomme une bonne hygiène de vie…
Je fais le bonheur de quelqu’un au moins, celui de ma pharmacienne pour les préservatifs, les produits d’hygiène et apaisants, les baumes à lèvres dont je faisais une grande consommation car le rouge à lèvres longue tenue sans transfert les dessèchent. En fait, il y en a une autre, mon esthéticienne avec les soins et les cosmétiques.
Mais bon, ce n’est pas le propos, car plus les semaines passent, plus je cherche désespérément à tromper ma solitude. Mon statut pensais-je, et ma mission surtout, m’empêchent de me lier à quelqu’un, simplement de sortir, de voir du monde, sans pour cela envisager de me faire des amis. Peut-être aurais-je dû ? Cependant, tout ce que j’ai trouvé c’est de prendre des rendez-vous.
J’en ai pris sur le site, évidemment, mais aussi avec des clients du boulevard qui avaient envie de plus, mais peu, tous sont cependant plutôt gentils. Je n’ai parfois que le temps d’une douche avant d’aller sur le boulevard. Je pense que, aucune de mes copines de trottoir ne peut se douter de la dégradation de mon état mental, ni que j’enchaîne les missions d’escorte en faisant de moins à moins attention dans ma sélection, mais aussi, en acceptant de plus en plus de choses.
En fait, ça s’étiole dans mon esprit parce que ma mission n’avance pas, je pense que c’est une façon de me punir. L’une des premières, a été de me rendre à domicile, donc de m’affranchir de la sécurité, certes relative, d’une chambre d’hôtel même si je veille au quartier. L’image des caves des cités opérant pour ce garde-fou, heureusement.
Je me dis que mon entraînement peut me protéger de tout, mais ce n’est qu’un prétexte. Alors j’accepte les humiliations d’abord, qui ne me changent pas trop du flot d’insultes que je peux entendre quotidiennement. Est ensuite venue celle ayant trait à un certain liquide, puis celle qui fait rosir les fesses, puis les joues, et enfin celle qui laisse des marques longilignes. Il y a aussi les insertions diverses et variées, parfois surprenantes, et si ça fait mal, tant mieux.
Est-ce qu’il y a un moment qui fait que la bascule s’opère ? Dans mon cas, je dirais non, quelque part juste « et pourquoi pas ». Pourquoi pas avec deux hommes, pourquoi pas avec un couple, pourquoi pas avec trois hommes, j’ai toujours dit non à plus, sans savoir réellement pourquoi. J’ai accompagné un homme dans un club, libertin ou échangiste, j’ai oublié. J’avais accentué le maquillage, reproduit la coupe de cheveux de sa femme, dont il m’avait prêté un ensemble, car il voulait la voir se faire prendre par d’autres hommes.
Je suis tombée encore un peu plus bas lorsque mes clients n’ont plus eu à insister beaucoup pour le faire sans préservatif. Dans un sursaut de « je ne sais pas quoi », j’ai décidé de me faire tester régulièrement pour n’accepter à cru que ceux pouvant présenter un test négatif. Ça ne m’a pas empêchée de dire oui parfois, quand j’avais le moral dans les bas nylon.
Rétrospectivement, je me dis qu’il est toujours possible d’aller plus bas que le fond qu’on vient de toucher, lorsqu’on l’attaque au marteau-piqueur ! J’ai vu arriver la nuit de noël, deux degrés, pas de vent, je suis toute seule. Je n’aurais jamais cru être le cadeau d’autant de personnes qui rentraient après leur travail ou qui cherchaient un peu de compagnie. Il y a eu tant de gentillesse cette nuit-là que pour la première fois depuis longtemps, j’ai souri. Le dimanche 25 a été difficile, le suivant plus encore quand j’ai ajouté mon rapport à celui d’avant, en vacances Alphonse ?
Pourtant je viens enfin de faire une découverte, au détour d’une conversation avec un John, les bikers possèdent deux clubs de l’autre côté de la frontière, pour être plus précise, deux maisons closes, puisque la prostitution est autorisée en Allemagne. Comme d’habitude je dirais, aucun retour ni directive, ou une petit mot gentil histoire de rêver, seulement me rendre compte que la relève devenait irrégulière, occupé par ailleurs Alphonse ?
Même si ce n’est pas inhabituel, avec presque moins huit mais aussi pour éviter les fêtards bourrés, je suis restée chez moi la nuit du 31, je ne mange ni bois rien de spécial, mais je commence à dévorer les Bob Morane. L’univers peut paraître désuet en comparaison de celui d’aujourd’hui, mais une fois que je me suis laissée prendre… et ça m’évite de penser !
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