33 – TRYO : Désolé pour Hier Soir

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C’était un brusque retour à la réalité, un de ces endroits où tout d’un coup, vous prenez conscience du passé, tout autant que du présent, entrevoyant l’échéance de la déchéance. Avec mes bras, j’ai serré mes jambes contre moi pour les éloigner de cette salive dégoûtante, me balançant d’avant en arrière en psalmodiant des onomatopées plus que des mots, reflet du fracas qui se produisait en moi.

Il y avait de la rage, de celle qui fait que, si j’avais eu mon arme de service, ce n’est pas vers moi que je l’aurais tournée. Il y avait également honte, douleur et dégoût qui mettaient à nu ce corps endolori qui brûlait de ses ecchymoses, j’étais en-deçà des fondations du fond. J’étais à cet endroit où tu as conscience de ce que tu es devenue, de ce moment où, sous l’eau, tu dois choisir entre suivre les bulles faites d’air et d’espoir vers la surface, ou ouvrir la bouche pour renoncer.

J’ai choisi, cherchant mon équilibre, baissant ma jupe, fermant le manteau que j’avais eu la prudence d’ouvrir, pour clopinait jusqu’à la maison. Durant le trajet, j’ai continué de pleurer tout en opérant une introspection qui se résumait à un simple constat, prendre soin de moi et acceptait la réalité sans la fuir.

La toute première de ces réalités a été de me dire, tu as accepté d’être payée pour être violée, tu as été violée, tu as été payée, point à la ligne. Ça a dématérialisé ce qui s’était produit, le transformant en une sorte de syllogisme ridicule, celui qui vous fait sourire quand vous dites : « Médor le chien a quatre pattes, Gribouille le chat a quatre pattes, donc Gribouille le chat est un chien ». Devant la grande porte en bois, j’ai essuyé ma dernière larme puis je me suis mouchée.

Les escaliers ont été difficiles, douloureux, puis devant la glace de la salle de bain, je me suis jurée que c’était la dernière fois que je contemplais ce corps rudement marqué qui n'en était plus vraiment un, qui n'était d'ailleurs plus vraiment moi, tout juste mon contenant. C’est mon corps, désormais je le vendrais en connaissance de cause, non plus pour me punir, me faire du mal ou quelque prétexte que ce soit !

Est-ce que ça résous tout, non. Est-ce qu’il y aura à un moment ou à un autre un retour de bâton, certainement. Ce qui persiste depuis ce jour, c’est cette touche de frayeur lorsqu’on s’approche de moi par derrière… Ça permet seulement de vivre avec… Mais ce soir-là, sous la douche, j’ai frotté, frotté, frotté très fort, tellement que ma peau commençait à rosir.

L’eau n’a emporté que la crasse et les fluides, mais elle ne peut pas emporter les blessures que je me suis infligée auxquelles s’ajoutent celles de cette nuit. Il y en a beaucoup qui ne seront pas visibles pour autrui, mais qui laisseront, une fois guéries, des cicatrices qui pour certaines s’estomperont, d’autres non, généralement ce sont celles qui démangent à un endroit où il y a eu quelque chose.

Je regarde la toute première lueur du jour alors que je me pose cette question, devais-je faire comme le cavalier qui vient de chuter, remonter immédiatement en selle ? Malgré toute ma bonne volonté, je vois bien que ce n’est pas possible, d’abord physiquement, mais surtout, moralement. Je dois d’abord asseoir et ancrer mes nouvelles résolutions encore si fragiles, qu’une larme menace de perler à tout moment.

Alors que j’ai toujours pensé qu’être force de caractère, ces derniers mois viennent de me démontrer que je ne suis pas toute puissante, seulement une personne comme une autre qui peut être engloutie par ce qu’elle vit. Je me demande également s’il a déjà été demandé quelque chose d’aussi difficile à une personne infiltrée, plus encore à une jeune femme. Les larmes coulent alors que je viens de prendre en pleine figure quelque chose de très important, je n’en sortirais pas indemne.

J’ai besoin de temps, c’est une évidence. Pour m’en donner, je commence par effacer les dernières traces de la nuit, enfournant la totalité des vêtements que je porte dans un sac poubelle puis je le mets dehors. La boîte à sucre et le pot à farine sont déjà remplis de billets, alors je noie les billets dans ceux de la petite boîte à chaussures qui serait bientôt pleine. Combien ai-je pu gagner ces derniers mois, cette seule évocation me provoque des sueurs froides, à chaque fois.

Il me faut prendre du champ en ce premier jour de février, alors j’annule mes rendez-vous, fait de même par texto avec Isabelle en lui disant que je suis malade, que je reviendrais lundi. J’emballe ce qui me tombe sous la main dans mon sac, ainsi que dans un grand en tissu que m’a donné Claudine, et je suis partie, sans aucune destination autre qu’une première étape à la benne à ordure pour me débarrasser des errements de la nuit.

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