34 – HENRI SALVADOR : Une Chanson Douce
Est-ce que j’ai roulé longtemps, en fait, je ne sais pas vraiment, n’ayant pas regardé l’heure, tout ce que je sais, c’est que j’ai pris toutes les routes qui me plaisaient, aussi petites soient-elles. C’est le voyant de la jauge à carburant qui m’a tiré de ma léthargie. C’était bien le mot adapté, j’avais le sentiment que cela faisait un moment que je ne me souvenais plus des différentes directions vers lesquelles j’avais pu me diriger.
Un panneau indicateur mentionnait le nom d’un village qui, comme beaucoup d’endroit du coin, se terminait « eim ». Si j’avais pratiqué l’allemand, j’aurais certainement eu moins de difficultés avec les prononciations ! J’ai donc pris cette direction pour trouver un petit supermarché avec sa station. Après avoir abreuvé la mécanique, j’ai repris la route, pour m’arrêter quelques dizaines de mètres ensuite, devant un panneau qui indiquait la direction d’un hôtel-spa ****.
Je n’ai pas vraiment réfléchi, mais je savais que c’était l’endroit où je devais aller. Forcément, quand vous arrivez avec une voiture comme Patch dans un établissement haut de gamme, fagotée comme un as de pique avec deux sacs dépareillés, des valises sous les yeux et un bandage à la main gauche, c’est un peu bizarre. Cependant, rien que le miracle de feuilles de papiers arborant le symbole « € » ne puisse régler, et la boîte à farine que j’avais emportée en contenait beaucoup.
La réceptionniste a bien évidemment fait une drôle de tête lorsqu’elle a entendu le bruit du couvercle métallique afin de régler les 900 euros pour quatre nuits en demi-pension tout en alignant différentes coupures jusqu’au compte. C’est à ce moment-là que j’ai senti le poids de la fatigue s’abattre. J’ai gagné ma chambre avec joie, sans prendre le temps de l’apprécier. Profitant seulement de la quiétude qu’elle m’inspirait, c’est en tenue d’Eve que je me suis perdue dans le moelleux du matelas et la chaleur de la couette.
Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas endormie sans l’angoisse du lendemain, mais avec l’espoir de celui-ci. C’est ainsi que je me suis réveillée, et que dans une douce torpeur, j’ai pu apprécier la décoration de l’espace qui m’entourait. Un plancher de bois sombre, murs blancs, un d’accent assemblé de grès, moulures et huisseries plus claires.
J’aurais aimé me réveiller avec le crépitement et la sensation de chaleur d’un feu de bois, sauf qu’on ne peut pas tout avoir. Il fait cependant très bon dans la chambre, et la terrasse qui l’accompagne doit être très agréable à la belle saison. Je visite chaque angle, touche chaque pièce du mobilier de mes doigts, comme si l’énergie du lieu rechargeait la mienne.
Comme la chambre, la salle de bain est moderne avec sa touche de rustique avec le bois des étagères ou du meuble suspendu sur lequel repose une vasque. La douche à l’italienne est immense, entourée de dalles gris clair satinées avec un pommeau effet pluie. Assise sur le trône de mes ancêtres, je regarde les différentes plaquettes, pour me rendre compte que je me trouve en fait à moins d’une heure de chez moi. Combien de tours et de détours ai-je bien pu faire pour mettre autant de temps à arriver ?
Je consulte aussi tout ce que propose l’hôtel dans les rubriques soins & bien-être, et je me demande ce que je vais pouvoir réserver, alors que mon estomac me rappelle à l’ordre. Je teste longuement la douche avant que de jouer avec de l’anticernes puis d’opter pour un maquille tirant sur le bleu pour aller ma robe et mes chaussures de la même couleur. Avec des collants clairs, certes ouverts, mais je n’ai que ça, et un gilet en mailles, je suis plutôt élégante.
Voilà un terme que je n’ai pas employé depuis longtemps pour ma personne. Je descends pour rejoindre la salle à manger afin de déguster le menu qui ne dépareille pas du goût qui est instillé dans l’aménagement de l’endroit certes dans l’ordre rustique-moderne. Je prends le temps du goût et des saveurs de chaque plat qui m’est servi tout en m’imprégnant du lieu.
Je regarde aussi les autres convives qui sont nombreux malgré la saison. Il y a beaucoup de couples d’un certain âge ou d’un âge certain, deux, non trois messieurs solitaires, certainement en soirée étape. Puis il y a moi, tout aussi solitaire que ces derniers, mais heureuse de l’être. Bien que ce ne soit pas très poli, je dévisage beaucoup, me demandant quelle peut être la vie de ces personnes ou en leur en inventant une. En font-ils autant à mon endroit ?
Le dîner est excellent, je remarque aussi la sérénité qui est la mienne, cela faisait bien longtemps que je n’ai pas été aussi détendue. Je me promène dans le bâtiment. Il y a un bar-lounge, cette fois c’est l’ordre moderne-rustique, une atmosphère feutrée, de petites tables rondes en marbre, des fauteuils et banquettes en velours bleu-nuit, des tons sombres contrastants avec des clairs, des tapis, mais surtout, une grande cheminée.
Je profite d’une table libre au coin, tourne un peu l’assise en direction de l’âtre pour enfin me poser. La chaleur est douce, elle berce mon âme en faisant danser ses flammes. C’est avec plaisir que je commence la lecture d’un nouvel opus de Bob Morane. La lumière est juste suffisante, mais celle du feu apporte une atmosphère supplémentaire en faisant varier les ombres sur les pages jaunies.
Je ne reste que le temps de lire le premier chapitre, mes yeux se ferment déjà.
(Inspiré très librement du Domaine du Moulin à Ensisheim)
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