37 – CAM COLE : New Age Blues
Du côté des rendez-vous, J’ai un peu changé d’approche. Désormais, en réponse aux messages que je sélectionne, je ne donne que mon tarif de l’heure et demande ce que mon interlocuteur désire, s’il ne l’a pas déjà précisé. C’est simple, tout en permettant d’éluder rêveurs et indésirables à blacklister, tout comme celui qui insiste malgré lui avoir signifié que je ne faisais pas ou plus telle chose.
Cependant, j’ai rapidement changé mon fusil d’épaule suite à la réflexion, somme toute entendable, d’un John potentiel qui, en résumé, trouvait fastidieux les échanges préalables destinés à aboutir à une date. Après réflexion, je suis allée acheter un nouveau téléphone, et en réponse au message initial, j’ai décidé d’ajouter mon 06 en demandant de laisser un message pour préciser desiderata et agenda.
Je n’ai pas vraiment fait de statistiques entre le nombre de visiteurs, de messages reçus puis de ceux qui répondent, et enfin de ceux qui poursuivent. Il me semble avoir nettement plus de sollicitations, mais surtout, que c’est plus long, plus fastidieux. Il y a cependant un côté amusant, certains messages sont parfois assez maladroits, ce qui les rendent mignons.
Le panel est en fait le même que celui de la sélection écrite. Il s’étale du timide au trash. Je vous laisse imaginer la gradation. S’il y a quelque chose que j’ai appris, c’est que beaucoup ne font que porter un masque. En effet, un langage ordurier ne cache pas obligatoirement une personne malveillante, alors qu’à l’inverse, de belles paroles peuvent révéler un authentique pervers aux pratiques brutales.
Est-ce qu’un message écrit est plus sélectif que celui laissé sur un répondeur, ou ai-je un bon instinct ? Je ne peux pas vraiment dire ce qu’il en est, mais je n’ai que peu de loupés. Les deux fois, c’était des messieurs qui n’avaient pas compris que payer une femme ne leur donne pas la possibilité d’en faire ce qu’ils souhaitaient. C’est à ce moment-là que ma formation de policier s’est rappelée à mon bon souvenir, et au leur, l’inversion des rôles ne leur ayant d’ailleurs pas déplu. Comment ai-je pu oublier mon entraînement aussi longtemps ?
Du côté du trottoir, les passes deviennent routinières, mais le contact avec les copines y apporte beaucoup de bonne humeur. Il est inutile de passer sous silence que les deux tiers mettaient en scène le côté pile. Celui-ci était désormais équipé d’un plug de taille supérieure que je porte en journée, mais que je n’ai plus besoin maintenant de remettre de la soirée, durant les intervalles d'attente.
Je suis devenue une prostituée pleine et entière, avec des préoccupations de catin et des idées de putain. Si je sais ce qu'est un policier, je me demande ce qu'est une péripatéticienne aux yeux de la loi ? Je ne sais pas pourquoi, j'aurais aimé trouver une définition disons, actuelle. Mais comment parler de modernité s'agissant du plus vieux métier du monde, et ce de manière tendance ?
Finalement, ce qui se disait au début du 20ème siècle comme « le fait d'employer son corps, moyennant rémunération, à la satisfaction des plaisirs du public, quelle que soit la nature des actes de lubricité accomplis » reste comme quelque chose d'immuable, qui ne vieillit que par les mots employés.
Cette réflexion peut vous paraître surprenante, mais c'est ce qui se déroule dans ma tête, ce à quoi je pense lorsque, le tuyau emmanché sur le robinet, j'attends que celui-ci laisse s'écouler son trop-plein. C'est rare cependant, ces moments sont le plus souvent des instants de vide, des périodes où j'attends que ça se termine, tout en encourageant l'excellence de la quincaillerie.
Parfois je regarde, parfois j'imagine ce qui se déroule dans nos ruelles alors que nous enrichissons la luxure des lieux. Comme je l’ai dit, ça n’arrive pas souvent, dans la mesure où il faut déjà que la tête soit dans le sens adéquat pour regarder, mais aussi que le ramoneur, avec sa perche, ne vienne pas percuter trop fortement le support de la gaine introduite. Dit autrement, il est difficile de regarder, d’imaginer lorsqu’on est secouée tel un prunier.
Souvent, ces visions prêtent à sourire, surprennent, notamment si on se place du côté de celui, ou celle, qui ne sait pas ce qui s’y déroule. A de rares exceptions, pour ce que j’ai pu constater, la lune ne perce jamais la nuit de ces rues, n’y versant qu’indirectement une lueur fantomatique transformant chacun en un être nocturne. C’est ainsi que le voyeur deviendrait le spectateur d’un théâtre d’ombres chinoises dont les acteurs seraient les pictogrammes symbolisant l’homme et la femme sur les portes des toilettes.
Si la référence semble quelque peu ragoûtante, il suffit pourtant de détourer les personnages de leurs étiquettes, d’en prendre un dans chaque main, puis de jouer avec votre imaginaire d’adulte. C’est ainsi que la scène s’anime, pliant et dépliant vous accouplez et ré-accouplez les pictogrammes. Dans ces limbes animés, vous essayez deviner qui est quoi et quoi est qui afin de donner un sens à ce que vous regardez. C’est ainsi que mon cerveau dérive.
Parfois, tel le phare dans la nuit qui évite de se perdre, une luciole illumine faiblement un habitacle dans lequel vous distinguez les branches hautes de la lettre « V » au milieu desquelles se trouve un petit « o ». Il arrive aussi qu’on ne puisse percevoir que ce dernier allant de bas en haut ou de droite à gauche. Il se peut que dans une fantasmagorie, alors que le regard surpuissant de la bête d’acier stationnée tranche la nuit de ses deux feux qu’en son milieu vienne se former un « X », qu’un « M » se transforme en « A » ou qu’un « V » ait un « I » en son centre…
A ce visuel animé par mon imaginaire, je n’ai pas pu, pendant très longtemps, y adjoindre un son, comme s’il était étouffé par la ouate nocturne. Le murmure s’est produit à mon retour en février, sans ne jamais se muer en autre chose qu’une musique de fond. En effet, on n’élève jamais la voix dans l’obscurité, on parle bas, idem lorsque la lumière lutte pour repousser les ténèbres. C’est ainsi que la bande-son qui se fait jour vient s’apposer pour correspondre au ballet des pictogrammes et des lettres, s’incrustant en phrases très courtes, onomatopées, mots esseulés déclamés ou de percussions et sucions corporels.
Comme je l’ai déjà dit, malheureusement, ça ne fonctionne pas à chaque fois, même plutôt rarement, mais parfois… ce que l’on dit vil, peut devenir beau !
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