45 – SOPRANO : Cosmo

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Serais-je à la hauteur, mais de quoi ?

Qu’est-ce qui m’a attirée, je ne le sais pas, ou plutôt si, ma curiosité. L’endroit où je me rends, la personne qui me paye pour y venir, les vêtements, comme j’ai pu changer. Une grenouille de bénitier dirait que ma vie n’est que débauche, ce qui est vrai, mais je l’ai déjà évoqué, je pourrais cependant lui répondre que son mari est mon premier client, ce serait drôle !

Plus sérieusement, je galope vers un univers inconnu, un endroit que des personnes comme moi fréquentent régulièrement, mais qui, comme toutes les petites mains, font parties des invisibles. Serait-ce exacte de dire que nous ne sommes vues que pour ce que nous sommes, des prostituées, mais à l’image de ces endroits, c’est à dire, de luxe !

« L’habit ne fait pas le moine », que cet adage peut être vrai en cet instant tout comme « il ne faut pas juger les personnes d’après les apparences ». Visuellement, je fais partie de ce monde, mais intérieurement, même si ça ne veut pas dire que ce sont de belles personnes, comment réagir face à ceux qui gagnent mon salaire en une journée, en une heure, une minute ou une seconde ?

J’en viens à espérer n’avoir qu’un rôle de faire-valoir, de trophée, et qu’il n’y aura pas d’escargots à manger. Zut, je dois vraiment être mal pour qu’une scène du film Pretty Woman viennent s’incruster dans mon cerveau. « Les magasins ne sont jamais sympas avec les gens, ils sont sympas avec les cartes de crédit » des personnes pour qui dépenser de l’argent ne doit pas être gênant, mais véritablement scandaleux.

Je vais arrêter là avec ce film, ce n’est que du cinéma. Seulement, avec la curiosité qui est de mise et quelques recherches, le manteau frôle les mille euros (1), les chaussures huit cents (2) et l’écharpe rouge la moitié (3). J’aurais volontiers poursuivi mes explorations, mais la voiture ralentie pour s’arrêter devant la construction de style néoclassique avec ses colonnades surmontées d’un chapiteau, ses hautes fenêtres à imposte et ses balustres.

Qu’est-ce que je dois faire. C’est le chauffeur qui répond à ma question en m’ouvrant la porte pour me dire « Monsieur vous attend dans le petit salon tout de suite à gauche en entrant », en espérant ne pas croiser « Monsieur Thompson, le Directeur de l’hôtel » qui est de toute façon un personnage de fiction, mais ce serait drôle. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour se détendre et ne pas avoir trop ampoulée ou angoissée.

Une résolution, laisser venir et aviser, ne penser à rien d’autre, ça me semble approprié étant dans un flou total. Inspiration, expiration, calmer mon rythme cardiaque, je passe la porte à cylindre pour suivre le panneau indicateur sur pied. Plusieurs personnes sont assises, arrêtée dans l’encoignure de la porte moulurée, je cherche mon client. Mes yeux passent de l’un à l’autre pour s’arrêter sur un costume noir, chemise blanche avec cravate et pochette carmin.

Ses yeux quittent le dossier dans lequel il était plongé pour se river dans les miens. L’expression de son visage me fait comprendre que je ne me suis pas trompée, Monsieur s’est coordonné avec Madame, ou peut-être l’inverse, dans la mesure où c’est lui qui a choisi d’habiller ainsi sa poupée. C’est comme cela que je me sens, comme un mannequin, un portant à vêtement.

L’homme est de type nordique, bien bâti, dans les 1m95, en m’approchant, je découvre des traits fins et arrondis, des yeux bleus, des cheveux blonds délavés, seul choque son menton proéminent et carré. Il ressemble à celui des Dalton dans les Lucky Luke. Il se lève pour m’accueillir, tend une main que je saisis légèrement en baissant la tête tout en pliant légèrement les genoux.

Pourquoi fais-je cela, parce que ça me paraît naturel, d’autant plus quand j’ajoute « Monsieur » en regardant son pouce posé sur ma peau. « Eiffel » me dit-il, je lui réponds « comme il vous plaira ». Il dispose d’une aura écrasante, de celle où vous venez vous asseoir à ses pieds alors qu’il siège sur un trône, de celle où l’animal montre son ventre pour se soumettre à son maître. C’est d’ailleurs ce dernier mot que j’ai manqué d’employer pour le saluer.

C’est surprenant comme situation, que de sentir ne pas avoir le choix, que de s’en remettre à quelqu’un, et d’un autre, d’avoir confiance. Je le remercie alors qu’il propose de me débarrasser, puis de me poser dans le cabriolet en velours bois de rose à côté du chesterfield en cuir havane dans lequel il reprend place.

Coudes posés et doigts enchâssés, il commence par me complimenter sur ma déférence à son endroit. Toujours tête baissée, les mains croisées sur mes genoux, il me demande de le regarder, qu’il apprécierait que je le fasse naturellement, ce que je fais en prenant sur moi. Il ajoute, puisque je le lui permets, il me nommera désormais Valériane. Il n’a pas eu trop d’hésitation, ce doit être celui qu’il donne à celles qui m’ont précédées, cependant il me plaît bien, le conserver, pourquoi pas.

Il commence ensuite par évacuer quelques interrogations, afin d’éviter que je me les pose. La première étant que si je ne lui avais pas été recommandée par Victor, un de ses partenaires dans la région, il ne serait pas venu me chercher sur un site comme celui-ci. Monsieur Passiflore, je le rencontre toujours, une à deux fois par mois, quelqu’un d’agréable qu’il me faudra remercier à ce propos. Il ajoute que la personne qui l’accompagne doit toujours être habillée à sa convenance, d’où les vêtements.

J’ai droit à un compliment s’agissant de mon maquillage qu’il trouve, quelque peu surprenant, mais bien coordonné. Il m’interroge sur ma coupe et ma couleur de cheveux, ma réponse sans ambages le satisfait. Également pour évacuer la question et dans la mesure où je lui conviens, il me demande de me libérer jusqu’à demain 10 heures, la rémunération étant en conséquence.

Alors que je regarde mon sac, il me dit « faites ». J’adresse donc un texto à Isabelle en m’excusant pour ce soir. Elle me répond en faisant de même « pour tu sais quoi », ajoutant d’arriver un peu en avance quand je reviendrais pour discuter à ce propos. Bien que ça ne m’enchante pas, je range ça dans un coin en attendant et en termine avec « à demain, bises », au moins, elle sait.

Certainement à cause de la moue que j’ai faite, il me demande, prévenant, si tout va bien. Pourquoi ne pas simplement mentir en lui disant oui plutôt que « rien que le temps ne puisse apaiser » au lieu de « une personne qui voulait m’attacher alors que ça m’est impossible ». J’arrive heureusement à retenir « mais avec vous ça ne me dérangerait pas ». Le pire est que c’est vrai, j’en serais enchantée s’il le faisait, mais quel effet cet homme a t’il sur moi…

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(1) vu sur le site Elisabetta Franchi

(2) vu sur le site Christian Louboutin, modèle Miss Jane

(3) vu sur le site Burberry, modèle écharpe en laine motif check couleur ripple

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