49 – PIXIES : Where is my Mind
Le penseur est là, ses lèvres s’ouvrent et se ferment sans qu’il n’en sorte aucun son, suis-je sourde ? Non, il semble chercher ses mots ou interprète-il peut-être un soliloque avant de me servir un seul-en-scène ? Pourtant, derrière toutes les questions que je peux me poser concernant ce personnage, il y a un air qui me revient :
« Can’t read my,
Can’t read my,
No he can’t read my poker face…
P-p-p-poker face, p-p-poker face,
P-p-p-poker face, p-p-poker face ».
Est-il aussi décalé que je peux l’être alors qu’une des premières choses qui me vient à l’esprit alors que je ne fais plus qu’un depuis peu, c’est ce refrain d’une chanson de Lady Gaga, ou bien alors est-ce le comportement que ma conscience me conseille d’adopter afin de me protéger de cet homme. Dois-je écouter cette petite voix qui m’avait tant manquée, mon Jiminy Cricket, celui que je n’entendais plus depuis cette nuit qui a changé ma vie il y a de ça plusieurs mois maintenant. Plutôt, pour être honnête avec moi-même, celui que j’ai refusé d’écouter lorsque j’ai dit « oui » à Chax.
Je suis maintenant assise sur cette table, aussi immobile qu’il l’est, avec le visage impassible que j’essaye de me donner, je le regarde, mes yeux le suivent lorsqu’il se met en mouvement. Sorti de mon champ de vision, j’essaye de rester stoïque, ses pas se rapprochent dans mon dos, je m’attends… scille à peine lorsqu’il pose un sac à mes côtés, puis une main sur mon épaule, elle me brûle… je le hais… je me hais de lui obéir sur l’instant lorsqu’il me murmure de me mettre debout.
Sa voie est basse, s’instille dans ma cervelle, elle me fait penser aux intonations doctes et froides, voir hypnotiques d’Hannibal Lecter, il me demande :
- Crois-tu en Dieu ?
Je lui réponds négativement d’un mouvement de tête, tétanisée par ce qu’il pourrait me demander et que je me sens incapable de refuser, je dois pourtant y parvenir, me défaire de cette emprise. Il ajoute, dans le concept qui est le sien, et l’avenir qu’il me souhaiterait sous sa férule :
- Ce sont les règles qui font le fonctionnement du système, si tu les respectes, tu progresses, c’est l’idée, le principe, mais pas celles de tout le monde. Seulement, les humains ne savent plus différencier le bien d’un tout, ils sont en décalages avec les règles de notre monde, ils n’ont aucune empathie ni foi en celui-ci. Tu es donc de nature réaliste et rationnelle, tu ne crois pas en l’existence de Dieu. En s’appuyant sur une pensée logique, seuls le bien et le mal dépassent l’entendement de ce monde, mais en supposant que Dieu existe, il est impossible qu’il laisse commettre un acte aussi absurde que celui que tu as vécu, alors, est-ce qu’il s’agit en fait du Diable ou de quelqu’un d’autre ? La foi ne peut normalement pas naître dans un monde pleinement développé grâce aux sciences. Seuls les faibles se trouvant dans une situation désespérée se raccrochent à autrui. Si tu considères ne pas avoir la moindre foi, c’est parce que tu vis dans un monde régit par la science, que tu as un statut social correct et que tu n’es pas un cas désespéré. Ta foi pourrait-elle se réveiller si tu te trouvais dans un tourment infini ? Combien de temps tiendrais-tu sous un accablement, à quel moment serais-tu à ce point découragée pour t’en remettre à un être X ?
A lui seul il souffle en moi un vent de désolation, je ne sais pas s’il s’en rend réellement compte, ou bien alors s’il voit quelque chose d’autre… Suis-je nue à ce point qu’il puisse lire de moi ce que j’ignore ? Pour lui, cela semble une réalité que je qualifierais d’arme, s’il sait décoder chaque personne à laquelle il se confronte. De quelle hauteur me regarde-t-il quand il me dit :
- Tu es forte, beaucoup plus que tu ne le penses, combien de femmes pourraient revenir à leur point de départ après deux heures et autant d’une dépravation qu’elles ne souhaitaient pas ? Regarde-toi, tu es là, passant déjà à autre chose, ne prend appui sur personne, qu’il soit réel ou non, tout ce dont tu as et auras besoin se trouve en toi.
Deux heures, seulement depuis qu’ils sont partis, c’est vrai qu’il fait nuit maintenant, je l’ai pourtant trouvé si long ce moment, il m’aurait dit le milieu de la nuit où le petit matin, cela ne m’aurait en rien surprise, et lui d’ajouter :
- Nombreuses ont été celles qui n’ont pas résisté, celles qui se sont effondrées, peu importe d’où elles venaient, leurs origines sociales, qu’elles soient prostituées ou non, tu fais parties de celles qui sont allées jusqu’au bout. Que faudrait-il pour te briser, pour t’amener à croire, te mettre à l’abattage peut-être, tu sais, cet endroit sordide et crasseux, là où tu ne vaux que quelques pièces de monnaie. Il n’y a qu’une ampoule aussi nue que toi dans un coin et de hommes qui se succèdent sans que jamais ça ne s’arrête, 1, 10, 50, 100, 200, 500, 1000, combien en faudrait-il, 1mn, 10, 1 heure, 6, 12, 1 jour, 2, 5, 10, 50, 100, combien de temps faudrait-il ?
Pour toute réponse, je me retourne, plus grande que lui cette fois :
- Et qu’est-ce qu’on vous a fait, à vous qui vous donnerez le droit de fait tant de mal à une femme qui ne cherche qu’un peu d’argent, du plaisir ou à satisfaire une pulsion, une nécessité. Qu’est-ce qu’on vous a fait pour que vous vous délectiez de la souffrance pour la mener jusqu’à la destruction ou la transcendance ? Moi qui vous prenez pour un grand homme à qui l’argent autorise la fantaisie ou l’excentricité, vous qui aviez mon respect, mon admiration, je me rend compte que derrière vos grandes phrases, votre philosophie, il n’y a que du vide, certainement aussi de la tristesse et des pleurs. Qui êtes-vous, posez-vous cette question plutôt que de chercher des réponses où vous n’en trouverez pas !
Je suis essoufflée, hors d’haleine de cette tirade provenant du plus profond de moi-même. D’abord impassible, le visage d’Eric-Alexis s’anime en un kaléidoscope d’expression diverses qui déforment ses traits, ses lèvres articulant des mots que lui seul comprend, peut-être. Cela ne dure que quelques secondes avant qu’il reprenne sa contenance, glisse une main dans sa veste laissant dédaigneusement tomber une enveloppe sur la table de massage avant de se retirer dans la chambre.
D’abord décontenancée, je ramasse ce qui doit être ma rémunération, la laisse choir dans le sac à côté. J’enfile rapidement la lingerie avec laquelle je suis arrivée, le body et le jean que j’avais emporté au cas où, le manteau et tchao ! Je claque la porte, autant pour lui signifier mon départ que pour sonner le clap de fin me concernant.
La vingtième heure de cette journée est presque achevée sur l’horloge située au-dessus de la réception lorsque je franchis à nouveau la porte à tambour. Quelques jours plus tard, j’avais rendez-vous avec Victor qui m’informa, tout sourire, du bon retour qu’il avait eu de son partenaire alors que je m’agenouillais entre ses jambes largement ouvertes. Même si je savais pourquoi, j’ai simplement esquissé un sourire avant de l’emboucher afin de passer à autre chose.
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