50 – JACQUES DUTRONC : Il Est Cinq Heures

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Alors que je retrouve l’air libre, j’en respire une pleine goulée, je recommence plusieurs fois afin de me rasséréner. Marcher me fait un bien fou, j’essaye de ne penser à rien, seulement de savourer l’instant présent. Ça reste cependant difficile d’oublier ce personnage que j’espère ne jamais retrouver sur mon chemin.

Comme beaucoup de ces nuits dernières, il fait particulièrement froid. Je marche vite afin de me réchauffer tout en pensant à mes amies qui vont se geler sur le trottoir cette nuit, à Isabelle aussi qui souhaite me parler à propos de Carroll. Quelle plaie, je n’ai pas eu assez de cette journée pour m’infliger ça, je devrais peut-être y aller un peu plus tard, ce qui est fait n’est plus à faire. Je préviendrai Dame Belle en rentrant.

J’occupe mon esprit comme je peux car je sais ce qu’il risque d’arriver, je vais penser à ma famille, à mes parents, mes frères, mes belles-sœurs, mes neveux et nièces, mes aïeuls, ça fera bientôt un an. Je me refuse d’y penser, car par ce simple fait, j’ai le sentiment qu’ils me voient, qu’ils ressentent tout ce qui se déroule en moi, mais surtout, que par cette simple connexion ils sachent… Le couvercle des sentiments est parfois si difficile à contenir.

C’est surprenant ce que notre cerveau arrive à faire, les circonvolutions qu’il peut employer pour nous éviter telle connexion, l’enveloppe, la curiosité est un excellent dérivatif. Je me souviens de quelque chose d’épais, alors je stoppe sous un réverbère, farfouille quelques secondes, décachette, « oh merde », c’est tout ce qui sort ma bouche qui s’est asséchée d’un coup.

Mes yeux analysent ce qui m’entoure afin de s’assurer qu’il s’agit bien de la réalité, tout est bien réel, comme le bon centimètre de billets de cinquante euros que je vois à nouveau. J’en ai les mains qui tremblent. Il y a aussi une feuille, je la sors et range précipitamment l’argent dans mon sac. Je regarde encore autour de moi, personne. Ce vide qui me rassurait tout à l’heure est devenu maintenant une source d’inquiétude.

Je force le pas coupant par ma rue, la grande porte est toute proche, je distingue ma voiture, la clé tourne dans la serrure. Un point de côté, envie de vomir, je m’effondre sur la deuxième marche, pour me relever presque aussitôt afin de reprendre mon souffle en marchant. Ça va mieux maintenant, la feuille est écrasée à l’intérieur de mon point serré, je la regarde hésitant à la lire immédiatement.

Je sais qu’à cette marche ou une autre, je vais m’arrêter, alors je reprends ma place, lisse la page froissée entre ma main et ma cuisse, rallume la lumière qui vient de s’éteindre afin de déchiffrer les phrases manuscrites :

« Valériane, ou qui que tu te dises,

Je te regarde, immobile sur cette table, inerte mais bien vivante, dans quel monde peux-tu bien te trouver alors que tu sembles l’avoir quitté ?

Longtemps tu as été avec moi, plus qu’aucune autre, je sais cependant que tu me feras face, bientôt.

Tout comme je l’ai été, tu es une âme pécheresse. Cependant, si tu as demandé la lumière, c’est que quelqu’un veille sur toi, que tu le crois divin ou que tu le nommes « Conscience ». Il t’appartient maintenant de savoir ce que tu comptes en faire…

Tu trouveras la rémunération de tes services, mais aussi de menus objets que je l’espère, tu accepteras de porter comme garant de ton éveil.

Sincèrement,

E-A »

Apôtre, est-ce tel ce genre de personnage qu’il se voit ? A-t-il eu une révélation à un moment de vie ? Son but est-il d’essayer de réhabiliter toutes les Marie-Madeleine, en les maltraitant ? Tout cela reste nébuleux, j’ai déjà des difficultés à croire en moi, quant à ma conscience, je ne saisis pas vraiment son concept, peut-être un jour, aussi je vais conserver son courrier.

En regardant vers le haut, je me dis que si je ne commence pas à grimper maintenant, je vais moisir dans ces escaliers, qui mériteraient un coup de balais d’ailleurs. Je prends finalement le sac contre moi bien qu’il soit encombrant. Chaque applique murale y diffuse une lumière, je pourrais regarder à l’intérieur, cependant, je préfère me contenter du toucher. J’y sens un sac plus petit contenant une pochette, certainement un collant ou des bas, plutôt ces derniers car je touche ce qui doit être de la lingerie et mon doigt glisse sur les courbes de l’agrafe d’une jarretelle.

En plus du tailleur que je portais, il y a une autre pièce de tissu, une robe ? J’avoue, je suis curieuse, mais pas assez pour sortir ce qu’il y a, car cela voudrait qu’il avait prévu autre chose en me demandant la nuit, et je ne veux pas divaguer sur quoi ? Je termine mon inspection sur une boîte, qui se révèle être un écrin. Je suis devant la porte menant au toit-terrasse, je, fais, quoi ?

Ça suffit, je laisse choir la boîte dans mon sac, me saisis du trousseau pour ouvrir, referme, reproduit l’opération, je suis enfin chez moi. Est-ce le sentiment de sécurité qui fait que soudainement quelque chose lâche, qu’une larme roule sur ma joue, il me faut une pause, c’est tout ce à quoi je pense. Un sac sur mon lit, l’autre au fond de ma penderie, douche.

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