53 – YVES MONTAND : Les Bijoux

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Dans mes journées d’escorte, chaque créneau a son petit nom sur mon agenda suivi d’une somme, aucun nom ou pseudo :

- Apéro = 11h00

- Déjeuner = 12h00

- Pousse-café = de 13h00

- Aprèm = 14h00 & 15h00

- Goûter = 16h00

- 5 à 7 = 17h00 à 19h00

- Dîner = 20h00

- Nuit = 22h00

Pour mes nuits sur le boulevard, je note « nocturne ». J’ai commencé à mon retour de « vacances » à compter, à tenir une comptabilité, sans vraiment y faire attention cependant, juste pour savoir si je viens à me poser la question. Je ne conserve aucun chiffre en mémoire. Je me suis cependant autorisée une comparaison, à savoir que je gagne mon salaire annuel de flic en six à huit semaines.

Dans la mesure où je navigue le plus souvent intra-muros, j’ai pris un abonnement aux transports en commun, avec un faible pour le tram. J’ai eu quelques appréhensions les premières fois, avant de me convaincre que rien n’est écrit sur mon front, que je suis seulement un quidam parmi d’autres. Si on me regarde, ce n’est pas pour ce que je fais, seulement pour ce que je suis, une femme comme une autre.

Mon Goûter vient de m’envoyer un message « désolé, je dois annuler », bon ! Je me dis que c’est l’occasion de me rendre à la zone commerciale afin que Dive me dise ce qu’elle pense du bijou indésirable. L’amalgame se fait avec « écrin », celui qui doit se trouver dans mon sac. Il y a peu de monde dans la rame, personne à côté de moi au moment où je l’ouvre, pour le refermer aussitôt. Tout ce qui me vient, et que je prononce très fort dans ma tête pendant que mes lèvres l’articulent, c’est « p...bip… de b...bip… de m...bip… ! »

La deuxième phrase au moment où je rouvre la boîte c’est « mais qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir me percer la peau ? » Heureusement que je suis assise, dans le petit écrin se trouve deux petits anneaux argentés similaires à ceux que je porte, deux paires de clous, l’une montée de pierres bleues, les autres claires et grisées. Pour ce que j’ai pu voir lorsque de ma dernière visite chez le tatoueur-pierceur, il y a un piercing pour le nez avec la même pierre grise en forme de goutte, un de nombril avec une pierre bleue enchâssée dans le métal et l’autre toujours en forme de poire en pendentif en bas. Il y a aussi les haltères à tétons également incrustés des mêmes gemmes.

Je ne sais pas si je trouve cela joli ou non, car la seule chose que je me dis maintenant, c’est du toc, n’est-ce pas, ça ne peut pas être du vrai… Alors que je relève la tête afin de reprendre mes esprits, je vois « bijouterie » sur une devanture, je sors précipitamment du tram au prochain arrêt, je dois savoir. J’ai su, lorsque j’ai constaté que l’œil du bijoutier se mettait à briller autant que ce qu’il regardait. Topazes et diamants gris (il n’en avait jamais vu) montés sur du platine selon le poinçon. J’ai refusé l’estimation qu’il me proposait, « veut pas savoir » lui ai-je dit.

« Garant de ton éveil » a écrit Eric-Alexis, là, je suis sonnée, j’en fais quoi de ça moi ? Je n’ai pas envie de porter des choses bleues comme ses yeux et grises comme les miens, je refuse, j’aurais l’impression qu’il me regarde constamment. Je suis là, assise sur le banc de l’abribus à tout retourner dans tous les sens, mais il ne me reste que des questions lorsque je monte dans la rame pour me retrouver devant Dive la poitrine à l’air alors qu’elle zieute et inspecte. Dois-je remplacer un indésirable par un autre ?

Je sors des brumes de mon esprit lorsqu’elle me demande qui m’a fait ça ? Je lui réponds que je ne sais pas, que je me suis réveillée avec ça à l’hôpital après m’être évanouie chez un client. Avant qu’elle ne dise quoique ce soit j’ajoute « je suis escorte » puis immédiatement « et pute sur le boulevard … et je ne peux rien dire ou faire contre celui qui m’a fait ça ». Après une pause dans le silence qui est là, entre nous « je veux juste que tu comprennes, donnes-moi seulement ton avis. »

Je passe une main pour essuyer ce qui se formait au coin de mon œil gauche. Elle me répond que c’est bien fait, que la cicatrisation est bonne mais de continuer les soins, puis le regard compatissant, elle me dit « tu sais, je ne te juge pas ». Je l’en remercie, seulement, je viens de comprendre, par ce que je viens de lui dire, que cet intrus dans mon sein gauche, je ne peux l’enlever, à cause justement de celui qui me l’a fait…

Pour changer de conversation, je lui montre ce qu’il y a dans l’écrin, précisant, afin d’éviter la question, que c’est du vrai. Après avoir regardé, la question fatidique arrive « tu veux que je te les pose » ? Pourquoi est-ce que j’hésite alors que je me faisais force de refuser il n’y a pas quelques minutes, juste les oreilles peut-être, c’est déjà fait… et me voilà à échanger mes breloques, qui prennent place dans la boîte, contre du pas toc. Tout ce qui me vient, c’est « fais-toi plaisir ma cocotte ! »

Ce qu’il a d’autre dans la boîte y reste, ça ne me fait même pas envie, le nez peut-être un jour, un peu comme si je voulais garder mon intégrité, décider, pour moi. Dive ne veut pas me faire payer, comme je ne veux pas insister, j’insère un petit billet dans le nourrain à pourboires. Il ne me reste plus qu’à rentrer, ranger ce qui doit l’être, me préparer pour la nuit, puis voir Isabelle.

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