56 – SIA : Cheap Thrills
Je laisse le « Cheap Thrills » de Sia remplir mes oreilles, mon regard se vide dans la ville qui défile au rythme de la voix synthétique qui égrène les stations pendant qu’une seule question tourne dans ma tête, dois-je porter un soutien-gorge ou non ? Seule est présente l’interrogation à laquelle je ne recherche aucune réponse, et qui s’envole avec l’annonce de l’arrêt qui sera le mien.
Ce sera sans soutien-gorge !
Je me dirige vers la boutique de Claudine, et l’y trouve, toujours égale à elle-même avec ses lunettes à grosse monture, un pantalon bouffant et une tunique bariolée à manche façon chauve-souris et une joie de vivre qui autant de bien que son sourire. Après avoir échangé quelques banalités d’usage, avec une tendance amicale dans la mesure où je viens souvent, Je lui expose ma demande.
« Le fuchsia, ce n’est plus vraiment tendance » m’explique-t-elle, « comme tu peux le voir, je n’ai rien en rayon, mais je dois avoir dans mes réserves années 90, quant à savoir si ce sera à ta taille, gardes moi le magasin le temps que j’aille farfouiller ». Les minutes s’écoulent pendant lesquelles je furète dans les rayonnages sans cesse renouvelés.
Un article attire mon regard et le capte. Je sors une robe façon marin avec le col qui descend dans le dos, des liserés et quatre gros boutons blancs, factices, disposés en carré. Le bas est évasé et se termine par cinq centimètres de tulle blanc. C’est tellement court et tellement pin-up, que je cherche le pantalon qui devrait aller avec, sauf que je n’en trouve pas.
Ce serait un bel accessoire pour un nouveau look, avec le devant qui se ferme par des pressions cachées jusqu’à la taille élastique, ça me plaît en tous cas. Sur le même portant se trouve une autre robe, plus longue, bleu marine évasée avec deux galons blancs en bas et un col licou. Le devant est formé avec aussi deux galons et trois boutons verticaux, un demi dos-nu et froncée sur les reins.
Je trouve tout cela très joli, ce serait apparemment ma taille si j’en crois la bague sur le cintre, mais pour le moment, je ne peux pas essayer. Claudine est partie depuis près de quinze minutes quand elle revient les bras chargés de rose fuchsia que je qualifierais de « Barbie Furioza » tellement ça pique les yeux !
Ce que je vois en premier, alors qu’elle dépose le tout que l’immense table qui lui sert de comptoir, c’est une paire de bottes vernies à gros talons. Vient ensuite une jupe très courte à trois volants avec des reflets métalliques, une autre tout en couches de tulle froncés avec un nœud à la taille ressemblant à une tête de champignon inversée. S’ajoute un pull court ras-cou, ainsi qu’une doudoune sensiblement dans le même rose poudré que la combinaison, que j’ai d’ailleurs apportée.
« C’est tout ce que j’ai trouvé à ta taille » me dit-elle, ce qui me fait penser que ce n’est pas une réserve dont elle doit disposer, mais plutôt d’un hangar ! C’est vrai que tout me va, mais la jupe champi n’est pas ce qui convient pour faire un ensemble. Sur la poupée éponyme, ce ne serait qu’une combinaison vestimentaire parmi d’autre, une tenue festive pour un rendez-vous qui, pour le moment, n’avait rien d’une fête me concernant.
Avec celle à volants, la combinaison est bonne, surtout lorsque je passerais en blonde et avec le maquillage adapté, pour lequel je dois tout avoir, ce devrait être pas mal ! Il ne manque qu’un sac adapté, mais Claudine n’en a pas, sauf que le noir qui est le mien jure trop. Elle me propose un blanc avec un accastillage acier, c’est plutôt pas mal. Il ressemble au mien avec ses grandes anses qui tiennent bien à l’épaule.
Claudine nomme ce type de sac hobo ou boho, de mon côté c’est un sac fourre-tout. Je prends aussi les robes genre marin qui me vont toutes les deux, la courte pour un nouveau personnage, toute autant que la longue, beaucoup plus estivale. Je rajoute la jupe champi, parce que je la trouve trop drôle, et que, très bizarrement je me sens bien en la portant.
Il est cependant plus que temps d’y aller si je veux avoir le temps de me préparer, d’autant, que je ne sais toujours pas où se trouve le restaurant auquel je dois me rendre. C’est bardée de sacs que je prends le tram du retour, et que je me plonge dans mon téléphone afin de rechercher l’adresse. Je peste lorsque je me rends compte que ça se trouve de l’autre côté de la ville, il faudra que je fasse vite.
Mais lorsque je vais sur le site de ce qui est en fait un bar-restaurant-night-club, j’éclate de rire quand je constate que c’est un endroit essentiellement fréquenté par des gays. Carroll serait homo ? Là, j’avoue que je ne comprends plus très bien, et puis de toute façon, il ne sert à rien de me triturer la tête pour aucune réponse y trouver.
Dans mes écouteurs la station diffuse un morceau d’IAM « un cri court dans la nuit », je ne suis pas fan de rap, mais le rythme est entraînant. Lorsque commence le second couplet, mon attention se fixe sur les paroles, une larme perle sur ma joue. Ce sont d’autres mots qui font jour dans ma tête, j’essuie l’eau salée d’un revers de main, sort mon carnet, un stylo, puis note ce qui presse :
Je vois une femme dans la nuit,
Ce bébé dans ses bras est son fruit,
Sous un réverbère éternel,
A côté d'une poubelle,
Là elle laisse l'enfant,
S'en va chercher un client,
Elle hait sa vie de méfait,
Et ce qu'elle en a fait.
L’émotion est partie dans l’encre de mes mots, une grande respiration, je me lève avec mes paquets, c’est bientôt mon arrêt.
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