57 – France GALL : Poupée de Cire, Poupée de Son
Pour une fois, il fait silence dans ma tête, il y a malgré tout une urgence, quelque chose qui doit sortir, une série de hurlements alors que je frappe mon matelas comme une dératée. Il n’est pas temps pour la rébellion, je sèche mes larmes, une fois encore, je sais qu’il faut avancer, encore et toujours, mais ça fait du bien, ça va mieux, comprenant que je suis autant cette femme que cet enfant.
Je passe sous la douche, retrouvant le sourire dans les senteurs délicieuses de mon shampoing, de mon gel-douche. Je sèche mes cheveux, prend soin de mon corps, vernit mes ongles, colle des faux-cils trop longs, que j’ajuste pour avoir des yeux de poupée. En fait, je m’éclate, me rendant compte que je me vois, c’est bien moi, je souris, me rendant compte que même avec parfois des bas, comme tout le monde, je ne me suis pas perdue.
Ensuite, j’applique une base pour unifier le teint, puis deux fonds de teint légers avec un ton d’écart, l’un pour une couverture naturelle, l’autre pour illuminer les zones clés du visage, telles que le haut des pommettes, l’arcade sourcilière et l’arête du nez. Pour les yeux j’opte pour trois fards, violet au coin de l’œil, puis fuchsia et enfin argenté que j’estompe successivement pour créer de la profondeur, puis un long trait d’eyeliner noir et du mascara pour des cils longs et volumineux. Ensuite, je redéfinis mes sourcils avec un crayon afin qu’ils soient un peu plus arqués. Vient ensuite un très léger blush sur mes pommettes que je fais remonter légèrement vers mes tempes afin de donner un peu de naturel à mon visage. J’agrandis un peu mes lèvres, comme d’habitude, afin qu’elles soient plus pulpeuses, puis applique un rouge à lèvres longue tenue rose-violet, puis enfin un gloss hydratant.
La bonnette et le ruban adhésif sont déjà en place, j’ôte la cellophane de protection puis mets en place, ajuste et colle la perruque. M’habiller n’est pas ce qu’il y a de plus long, le bodystocking, la jupe, le pull court, les bottes, changer de sac me prend bien plus de temps, surtout pour que chaque chose soit à sa place sans que je me pose de question.
Je ne suis pas Barbie, mais je reste dans l’esprit. Je me trouve d’ailleurs plutôt réussie, tellement que pour la première fois, je fais une photo avec mon portable, un souvenir, quelque chose que je n’avais jamais fait encore. En regardant l’heure, je sais qu’il ne faut pas que je traîne, j’en ai pour un bon quart d’heure de tram.
Je ne dois pas être en retard, Isabelle avait bien insisté sur ce point, sauf que, lorsqu’une figurine prend vie dans les rues, il arrive ce qu’il doit arriver, surtout à une époque comme celle-ci, pourquoi n’avais-je pas prévu cela ? Qu’on me dévisage ouvertement, OK, qu’on me prenne en photo en loucedé, OK, passe encore, mais lorsqu’une petite fille me saute dans les bras en hurlant « Barbie je t’aime trop bien » je suis carrément mal à l’aise, mais qu’est-ce que je peux faire d’autre que sourire pour la photo…
Comment ai-je pu oublier la raison pour laquelle je porte de longs manteaux : parce que personne ne voit ce qu’il y a dessous ! Sauf qu’un bonbon rose, ça ne passe pas inaperçu dans une rue, même si ce n’est pas la plus fréquentée qui soit. Je fais mon troisième selfie en arrivant à l’arrêt avec une petit fille, blonde aux yeux bleus qui me demande pourquoi j’ai changé la couleur des miens.
Heureusement, je n’ai que des sourires dans la rame. Je constate que je fais de même, je suis contente finalement de toute cette attention qui m’est accordée. Même si ce n’est dû qu’à mon apparence, ça réchauffe mon âme. Je vais arriver sur le fil, mais en fait je m’en fiche, je savoure, plus encore lorsque je suis sifflée par ceux qui fument devant l’établissement.
Lorsque je rentre, je ne fais pas trop attention, je cherche Carroll. Ce n’est qu’au moment où mon regard se pose sur lui que je prends conscience du silence, puis tout le monde se met à applaudir, lui compris, sans qu’il se rendre compte de qui vient d’entrer. Je me dirige vers lui tout en remerciant pour les quelques compliments qui me sont adressés, à ses côtés, je me fixe, interrompant sa discussion avec un homme dans la quarantaine pour lui dire : « je crois qu’on a rendez-vous » !
Suis-je contente de mon petit effet, oui, ça vaut bien tous les regards pour venir jusqu’ici. Il prend congés, avec une bise, de la personne avec qui il échangeait. Bon, je crois qu’il n’y a plus de doute, ce ne sera pas lui ma porte d’entrée dans le milieu des motards, ce qui se confirmera au cours de nos échanges…
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