58 – AQUA : Barbie Girl

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On a rapidement évacué l’histoire des machines de torture qu’il faut bien essayer et ma peur d’être attachée. Je lui ai demandé si son homosexualité ne posait pas de problème avec les motards, ce à quoi il a répondu que du moment où l’intime ne télescopait pas le professionnel, non. Il faut le reconnaître, c’est une personne intéressante, bien qu’il ait été difficile d’avoir une conversation dans la mesure où nous étions très souvent dérangés, que ce soit par ses connaissances, ou en raison de ma mise.

Nous en sommes finalement arrivés au sujet de conversation qu’il souhaitait aborder lorsqu’il m’a demandé ce que je faisais de l’argent gagné avec mon cul (ça remet à sa place !). Que pouvais-je lui répondre d’autre que la vérité, et que je n’avais pas, pour l’instant, de structure officielle adossée à ma profession, et ne l’envisageant pas vue ma situation, mais ça, il n’avait pas besoin de le savoir.

Il m’a donc proposé de travailler le dimanche dans une de leurs maisons closes allemande qui faisait partie des activités « officielles » des bikers. Devant mes yeux ronds, il m’a expliqué que l’activité y était légale et qu’ainsi je pourrais officiellement déclarer les revenus qui seraient gagnés sur place, mais aussi y incorporer ceux que je gagne en France afin d’obtenir de l’argent « propre ». Tout cela n’était pas gratuit, il prélève dix pourcents au passage.

Heureusement que j’étais assise, car je ne m’attendais pas du tout à ce genre de proposition. Il a enchaîné en m’expliquant que je serais déclarée comme une salariée « normale », venant plusieurs fois par semaine, alors que je ne travaillerais qu’une journée. Bien évidemment, dans cet emploi partiellement fictif, tout ce que je gagnerais sur place ou en plus, fera l’objet de prélèvements sociaux et fiscaux, mais deviendra propre.

Le principal avantage, c’est d’être salariée, et non chef d’entreprise, même avec les dix pourcents, c’est beaucoup plus rentable, sans compter que je bénéficie aussi de la protection sociale allemande. Il ajoute que je devrais m’enregistrer comme prostituée auprès des autorités, comme toutes les autres. Pendant qu’il continue sa diatribe, je me demande si c’est aussi de cette façon qu’il blanchit les revenus occultes du gang, ça semble tellement simple, si basique ?

Certainement emporté par la passion qu’il semble éprouver pour son métier et les chiffres, il me le confirme indirectement en disant qu’il est difficile de vérifier le nombre de passes que peut faire une fille, que je serais domiciliée au bordel et qu’il s’occupe de toutes les déclarations. Il y a cependant une question qui me vient, et je profite qu’il reprenne sa respiration pour la lui poser : « Précisément, si je vous donne cent euros, combien se retrouverons sur mon compte ? »

Il prend un instant pour me regarder, étonné que je pose la question, il m’a prise pour une truffe ou quoi, mais il faut que je le sois un peu quand même ! C’est pour cela que j’ajoute : « Si j’ai bien compris, en Allemagne, les cotisations sociales et patronales sont chacune de vingt pourcents du salaire brut, donc 100 - 10% = 90 € - 20 % = 72 €. En comparaison des 65 € qui me resterait avec un statut d’autoentrepreneur, certes, il y a sept euros d’écart, sauf qu’avec vingt pourcents de charges patronales en Allemagne au lieu de quarante en France, j’en arrive à 90 - 40 % = 52 €. Je perds donc treize euros, où serait donc mon avantage, s’il y en a un ? »

Bon, voilà, il vient de comprendre que Barbie n’est pas une conne, qu’avant de rentrer dans leur combine, elle a besoin d’y trouver un avantage, sauf que j’y suis peut-être allée trop fort car il devient tout rouge. Aussi, pour éviter que le volcan ne déborde, j’ajoute, le minois le plus candide possible : « Tu sais, j’suis pas très intelligente, alors faut m’expliquer un peu ! »

Il me regarde, interrogatif, c’est vrai que je joue avec le feu, je fais des pourcentages et après je lui dis que je suis stupide. Il semble exaspéré, mais pourtant : « OK, j’te la fais simple, tu récupères 90 % de la somme, mais jamais plus de cinq mille sur un mois civil. En contrepartie, au lieu d’avoir 60 % de la passe, tu n’en récupères que 20, tu ne refuses aucun client ni aucune prestation. Parfois, on fera appel à toi en dehors du club, tu t’exécutes, tu fermes ta bouche et tu fais ce qu’on te demande. Pour finir, que ce soit au bordel ou en dehors, il n’y a pas de cash, tout passe par nous » et il se met à m’expliquer le fonctionnement en sortant un flyer de sa poche.

C’est très simple, tous les actes sont facturés en services ou en extras, ni plus ni moins. Une fois d’accord avec le client, celui-ci paye une employée et vous faites votre affaire dans la chambre qui vous est attribuée. Il n’y a aucun pourboire ni prestation supplémentaire une fois au lit, on doit refuser les demandes. Enfin, comme tout salarié, je serais payée à la fin du mois. Il conclue sur un dernier point, s’il y a des mécontents, il peut y avoir des sanctions.

Pendant que, non sans une certaine nervosité, il mange le dessert qui vient de nous être servi, je chipote le mien tout en faisant lecture. Surtout, je me demande ce que ça peut apporter à ma mission de travailler dans un de leur lupanar ? Je ne trouve rien, sauf à blanchir ce que je gagne, ce que je peux faire toute seule. Puis me vient une idée :

- Écoute Carroll, je ne tiens pas à ce que ça se passe mal entre nous. On est déjà parti du mauvais pied (je lui montre ma poitrine), et je vois bien que je te gonfle ! Alors voilà, travailler en maison, ça ne m’emballe pas vraiment, surtout mon seul jour de repos (faut bien trouver des arguments). Par contre, si tu as besoin d’une escorte, vu que je le fais déjà, ça ne me pose pas de problème, du moment que je peux l’intégrer dans mon propre calendrier en journée ou la nuit. On ferait ainsi un échange de bon procédé ?

Ensuite, si je me fie à mon intuition, il semble être un misogyne de haut vol appréciant de faire mal aux femmes, alors je tente : « Et d’autre part, j’ai un téton qui se sent esseulé… » Apparemment, j’ai misé juste, alors je conclus « Écoute, je pense que j’ai suffisamment abusé de ton temps, et je ne vais pas te demander de me ramener, tu as certainement mieux à faire si j’en crois la personne qui ne cesse de te regarder, tu sais où me trouver, sinon Dame Isa a mon numéro »…

Il me répond un « OK » que je crois de soulagement. Je lui fais une petite révérence en prenant les volants de ma jupe puis un signe de la main à l’assemblée…

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