59 – MYLENE FARMER : Libertine

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Si j’attire toujours l’attention dans la rue où dans le tram, je suis dans mon petit monde, débriefant cette heure. D’un côté, je pourrais dire que j’ai lancé un hameçon, qu’il me reste seulement à attendre afin de voir s’il va mordre. D’un autre, j’ai plus le sentiment d’être un appât qui attend de savoir s’il sera ou non gobé.

Le point positif, c’est que je connais une des manières avec laquelle ils arrivent à blanchir leur argent. Dans chaque établissement, il y a trente-cinq à quarante de filles qui se relaient, sachant qu’ils ont trois clubs, sur une base de 5000 par fille, on arrive à 175000 euros mensuel minimum. Seulement, il n’y a pas que ça, si j’en crois mon dossier, si j’ai trouvé deux millions, il m’en reste trois à découvrir.

J’avoue, je suis plutôt contente d’avoir la confirmation de ce dont on se doutait. Il me faudrait des preuves matérielles, mais je suis dans l’incapacité de les obtenir. De plus, il faut être réaliste, ils ne vont pas conserver quoi que ce soit sur place, il n’y a donc aucune utilité pour moi à aller de l’autre côté de la frontière. Tout ce qu’il me faut espérer maintenant, c’est d’avoir été suffisamment convaincante afin de susciter une réaction chez Carroll.

Tout ce qui m’ennuie avec lui, c’est qu’il ait Antoine dans ses connaissances, d’autant plus que ce dernier lui a parlé de moi. Il doit donc savoir que je fais autre chose en dehors du boulevard, donc quelque part, sauf que je me suis proposée… mais en quoi aurait-il besoin de moi ? Voilà une question à laquelle je ne trouve pas de réponse !

Peut-être aurais-je un indice si d’autres filles du boulevard travaillent également pour eux dans une maison close… mais surtout, si elles vont à l’extérieur aussi. Autant le dire tout de suite, mon investigation auprès de mes collègues se soldera par un échec. Une seule travaille en Allemagne, mais de sa propre initiative, et aucune autre n’a eu ce genre de proposition.

Est-ce que je dois m’inquiéter de quelque chose ? A y penser, ils font la paire tous les deux à aimer faire souffrir les femmes, sauf que la question qui arrive naturellement, c’est : pourquoi moi ? Là encore, il n’y a rien qui pourrait me donner un début de réponse, seulement un vide abyssal dans lequel il va falloir que je me garde de perdre l’équilibre.

Tout cela remet au jour ce sentiment que quelqu’un écrit mon histoire à ma place. Cependant, il n’est plus temps de penser à ça, Barbie Catin vient de faire sensation en arrivant sur le boulevard que je remonte pour saluer Isabelle, autant que mes consœurs auxquelles j’essaye de poser subrepticement mes questions, surtout après la cloche.

Je suis crevée, beaucoup de Ken ont souhaité conter fleurette à leur dulcinée. Je sais aussi que ça se voit, que ça se sent. Quand on fait autant de passes, une prostituée fleure comme un fumeur, elle porte l’odeur sur elle autant qu’elle l’exhale. Nous sommes toutes semblables, toutes ! C’est pour ne pas porter cette odeur qu’on se lave, qu’on bouffe du chewing-gum ou qu’on fait un bain de bouche.

Il faut quand même ajouter que sur le boulevard, plus on sent le sexe, plus ça existe les John. Est-ce une histoire de phéromones, je n’en ai aucune idée. Il faudrait que je regarde sur la toile si des scientifiques se sont intéressés à ça, mais j’en doute ! Ensuite, même si le mot ne m’enchante guère, montrer qu’on a été « utilisée » équivaut au concept du monde qui attire le monde chez les commerçants, être négligée juste ce qu’il vaut.

Avec les filles, nous discutons quelques instants, mais ça ne s’éternise jamais, même ce soir, nous sommes toutes pressées de retrouver notre chez-nous. C’est donc Barbie Crado qui prend le chemin de sa maison...

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