60 – GERALD DE PALMAS : Personne

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Quatorze, voilà mon bilan, c’est presque un toutes les vingt minutes, je n’ai jamais fait autant une nuit de semaine. Je suis fatigué, j’ai mal de partout, aux fesses en particulier, mais vu mon bilan, c’est plutôt normal : 6x60 + 3x40 + 1x20 + 4x30 + 50 d’extras = 670 euros. Il y a de quoi être crevée, mais je suis contente d’avoir bien travaillé.

Une fois encore, je constate que je mène une vie de prostituée, réellement, même si je n’en suis pas à espérer le prochain mâle qui se glissera entre mes cuisses, même si c’est difficile, je ne peux pas dire que je déteste. Certes, le policier est toujours là, prenant les rênes quand c’est nécessaire. Ce qui se confirme aussi, c’est qu’il n’y a plus de rôle, seulement une personne qui a des noms différents selon les circonstances.

C’est un peu dangereux comme réflexion, que va-t-il se passer lorsqu’il ne restera plus que Poema la flic ? Floriane, Eiffel du boulevard et maintenant Valériane l’escorte-girl, vont-elles disparaître si facilement ? Il faudrait d’ailleurs que je lui crée sa propre annonce. Au moment où cette phrase s’imprime dans mon cerveau, je ne peux que me dire que ma « légende » est vraiment devenue mon quotidien, comme si j’avais seulement changé de métier, sauf que je n’ai pas de bureau (1) ni d’agent de liaison, vu qu’il brille surtout par son absence…

C’est sur cette réflexion que j’arrive près de ma traboule, que, comme à habitude, je m’arrête en haut du petit escalier afin d’ouvrir mon sac pour en sortir la clé. Mais, pas comme de coutume, je ne prends pas le temps de scruter et d’écouter avant de m’engager. Je n’ai d’ailleurs le temps de rien lorsque j’entends des pas et qu’une forte poussée me fait dégringoler les escaliers pour finir violemment contre le mur opposé.

« Alors salope, je t’avais dit que tu te souviendrais du p’tit Mike ». Même si je ne me suis pas cognée la tête, sa phrase fait flop, je suis désorientée. Tout ce qui attire mon regard, c’est la petite lumière rouge qui vient de s’allumer, on me tire par une jambe sur le sol. C’est à ce moment-là qu’une phrase explose dans mon cerveau : « non, pas encore » et que mon pied libre essaye de donner des coups.

Aurais-je eu de la chance ? Peut-être, en tous cas, je touche quelque chose qui fait lâcher et hurler mon agresseur. Pour une fois, mon entraînement refait surface, je me redresse et vise le lumignon d’un coup de pied retourné qui ne rate pas sa cible. Il s’en suit un bruit sourd suivi d’un plus sec, puis plus rien. Le silence de la nuit ne semble troublé que par le son de ma respiration et celui de mes os qui s’entrechoquent.

Quand je reprends enfin mes esprits, je cherche mon sac à tâtons tout en surveillant le point rouge désormais immobile. Lorsqu’enfin je sors mon téléphone de mon sac pour allumer la torche, je découvre un homme étendu dans l’escalier, la tête reposant sur l’angle d’une marche. Je me souviens alors du nom qu’il m’a donné, que j’associe aussitôt au bonhomme que j’ai refusé l’autre soir.

Dans le halo de lumière, il semble réellement inconscient au premier abord, sauf que mon expérience me dit que c’est autre chose. Prudemment, je m’approche, tend une main vers son cou, c’est le néant, aucune palpitation, il est mort ! C’est en redressant sa tête pour essayer de… que je comprends en voyant le liquide sombre qui semble avoir couler à l’arrière de son oreille, qu’il n’y a plus rien à tenter, cet homme est mort.

Je viens de tuer quelqu’un ! Même si je vomie instantanément tripes et boyaux, je reste lucide, me demandant ce que je dois faire ? Appeler les flics, même si le cas ne devrait pas poser de problème judiciaire particuliers, je n’ai aucunement le souhait de faire face à des collègues pour qui je n’en suis pas une. Je suis à peu près certaine qu’il verrait que je connais le fonctionnement de la maison, je serais incapable de le masquer.

C’est lorsque j’appuie ma tête sur la main que j’avais posée contre le mur que je trouve la solution. J’appuie aussitôt sur le petit bouton du bracelet. Dans ces cas-là, toutes les secondes sont longues, beaucoup trop. Je regarde tous les côtés, espérant que personne ne vienne à passer quand bien même le quartier soit pour le moins désert d’habitant.

Après de longues minutes, j’entends enfin quelque chose qui ne cesse de se préciser. Une moto, pas la plus silencieuse qui soit, ce ne serait pas un biker, mais plutôt un tonnerre mécanique qui résonne dans la nuit. C’est un peu convenu comme phrase, il passe, sa moto semble respirer puis éternuer à chaque tour de roue. Il s’arrête quelques mètres plus loin, à l’orée de la lumière blafarde d’un réverbère, le moteur glapit une dernière fois.

Je regarde le pilote descendre de sa moto rutilante ras du bitume avec sa fourche aussi longue qu’un jour sans pain. Quand il se déplie, je vois un homme plutôt grand, bien taillé sans être une armoire à glace. Je ne le distingue pas bien, mais une longue chevelure blonde s’échappe de son casque lorsqu’il l’ôte. Il commence à regarder autour de lui.

Comme il semble être là pour moi, je sors de la pénombre, enjambant la dépouille...

(1) - Série TV « Le bureau des légendes »

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