61 – JEANNE MOREAU : A Tuer

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Il me regarde, au bruit de mes talons, « c’est toi qu’a appelé », je hoche de la tête, « y se passe quoi ? », je lui montre la pénombre, le doigt tendu vers le bas. Il a l’air furax, pensant certainement que je l’ai fait venir parce que j’ai eu peur d’une araignée. C’est quand il allume la torche de son téléphone et que je l’entends dire « Oh merde, le p’tit Mike », que mes jambes lâchent, je suis à un rien de la crise de panique.

Je le vois passer un appel, ce qui me permet de me raccrocher à quelque chose, de focaliser mon attention : « Ouais Boss… non c’est pas pour rien… ouais… la souris a dézingué le p’tit Mike… tu veux que j’fasse quoi… OK… OK, j’attends Gus et Digger… et j’te la ramène. Il revient vers moi : « Bon Poupée, tu crèches où ? » Je lui montre l’entrée de la main, « Ah c’est t… OK » se reprend-il « Tu vas aller prendre une douche vite-fait, te changer, l’Patron veut t’causer ».

Comme je ne bouge pas, il se relève, me tend la main, ses doigts me faisant signe. Je la saisis alors qu’il accompagne ma verticalité. Sa paluche est chaude, rassurante quand il m’emmène devant la porte. Je mets du temps trouver la clé alors il souffle, tape du pied. Me voilà enfin à l’intérieur. Je sais que je dois faire vite, mais mon corps ressemble à un morceau de guimauve, aussi, je m’appuie quelques secondes contre le mur, le temps de me reprendre, dehors j’entends une voix dire : « Boss, c’est elle... ». Je ne saisis pas la suite, alors je presse le pas.

Le « Ah c’est t... », tout comme la dernière conversation que j’ai entendue, m’interroge, ce qui permet de redonner une meilleure rigidité à mes os, à mes muscles d’arrêter de trembler, à mes pensées qui tournent et retournent en se posant des questions sans réellement rechercher de réponse. Une réflexion prend le pas sur toute les autres, si je ne m’étais pas défendue, il n’y a pas de mystère sur ce qui serait arrivé et de la façon dont il y serait parvenu.

Ma conclusion reste donc identique, légitime défense, il n’en reste pas moins que j’ai commis un meurtre, non, ce sont des faits de violences ayant entraînés la mort sans intention de la donner. Je me raccroche à ma formation juridique, ça me permet de faire tourner mon cerveau. Il y a aussi cette image, celle de mes parents qui se disputent en rigolant à propos de je ne sais plus quoi, mais surtout de cette phrase qui les a toujours fait rire : « responsable, mais pas coupable ».

Ça réchauffe mon âme autant que ça mouille mes yeux, alors, quoi faire d’autre que de pousser-fort afin de refermer le tiroir familial, de mettre en instance ce qui refroidit en bas, cette chose qui voulait me faire du mal (en déshumanisant, ça passe mieux !), au moins il n’en fera plus, que ce soit à moi ou à quiconque. Voilà, c’est mieux en ayant un peu la rage…

J’ai regagné mon chez-moi. Je ne déshabille dans l’entrée, tout est déchiré, filé ou amoché, puis de toute façon, je ne garderais rien de cette soirée. Je passe ensuite dans ma salle de bain où il me faut un peu de temps pour ôter ma perruque, qui finira dans le même sac poubelle ouvert pour cette soirée. Le stresse commence à retomber, cependant, je ne peux pas céder à la fatigue qui s’en suit, je dois garder les idées claires, mais quand même, une minute, juste une…

Il n’y a pas d’autre choix de toute façon que de me ressaisir et d’avancer, ce qui est fait ne peut plus être défait, de plus affronter le président ne sera certainement pas une partie de plaisir, donc, je dois être au mieux de mes facultés. Rien ne doit tourner dans ma tête, plus elle sera vide, mieux ce sera pour appréhender la suite.

Si je monte sur une moto, autant faire simple avec le classique jean-tee-shirt-baskets, sauf que vue la saison, j’ajoute un sweat que j’ai depuis peu. Noir, une grosse moto conduite par un squelette avec une main rouge peinte sur son crâne, un poing américain en fond et l’inscription « FIVE FINGERS » en haut et « DEATH PUNCH » en bas, le tout en nuances de gris et rouge, comme l’intérieur de la capuche. Je me suis dit que ça ferait une bonne alternative pour faire aller courir.

J’ajoute à ma panoplie mon cuir, juste parce que c’est de circonstance, pas de sac, juste ce qu’il faut dans les poches et c’est parti…

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