63 – MICHAEL JACKSON : Bad

4 minutes de lecture

« C’est pas des mensonges, c’est vrai que tu suces bien salope, tu dois bien gagner ! » puis il reboutonne son pantalon et s’en retourne. Le garçon ne semble pas très haut de plafond, au premier abord, mais il laisse des sueurs froides dans le dos. Aussi, d’une certaine façon pour conjurer ce sentiment, je me fais vomir, c’est tout aussi désagréable que de l’avoir dans la bouche.

Mais derrière tout cela, il y a quelque chose qui prédomine, suis-je surveillée ? A force de phrase avortée, de quelques mots, ils savent qui je suis, où je réside, que je fais de bonnes fellations, je me fais des idées, sinon, je suis quoi pour eux. Et voilà, encore une question, ou bien alors, cette fois, la réponse est toute simple, ils cherchent seulement à savoir qui se trouve sur leur territoire… Mais ça ne colle pas avec le fait de savoir où je crèche !

Il m’en faut plus…

* * *

Je pourrais dire que la vie a repris son cours, le boulevard, les clients en journée, mes réguliers, Gilbert, Monsieur 11h30 dans son bureau, Monsieur Fantasmes, et d’autres qui vont et qui viennent. Toutes les strates de la société défilent dans mon compas en recto ou en verso. Ce que j’en conclus, c’est que l’éducation ne change rien à la nature profonde des personnes. Pour dire les choses simplement, il y a des gentils et des méchants quel que soit la provenance de la personne. La constante, c’est ce sentiment que l’argent donne tous les droits, et plus ils en ont, plus c’est prégnant.

Depuis par mal de temps maintenant, je remarque aussi la faible durée de vie de mes tenues. Celles du boulevard finissent souvent déchirées, tout comme mes chemisiers en journées. Après en avoir discuté avec Claudine, nous avons fait appel à la couturière pour remplacer les boutonnières par des boutons pression masqués par le bouton d’origine.

Sur le boulevard, mes collants ouverts ou bodystockings, je peux les remettre même filets. En journée, je dois changer de bas régulièrement, c’est pourquoi je me limite à deux couleurs, chair et noir. De cette façon je peux ne changer qu’une seule jambe. Je les commande sur internet, j’ai fini par trouver un site où ils sont de bonne qualité sans coûter un bras. Je suis aussi devenue une bonne cliente du sex-shop où je trouve pas mal d’article à des prix en rapport avec leur durée de vie.

Ce qui a changé, c’est que j’ai un nouveau régulier, Pim’s, il vient une ou deux fois par semaine, en fin de service pour me ramener et profiter d’une gâterie ou pour me baiser à quatre pattes dans les escaliers voir contre un mur. Comme je crois l’avoir déjà écrit, ce type me fait peur, énormément même, je vais dire qu’il est en conformité à son statut de porte-flingue. Il est méchant, pervers, rugueux, il aime faire mal, et quand il m’appelle « poupée », il faut le prendre au sens littéral du terme.

* * *

Il y a un sujet que je n’ai pas abordé, pour lequel vous vous posez peut-être la question, ma contraception. Pour commencer par la fin, je n’en ai aucune, parce que je n’en ai pas l’utilité dans la mesure où, si la salle de jeu fonctionne très bien, la nursery elle, est hors service. Pour cela, il faut remonter à mon premier rapport sexuel.

Pour rappel, dans les toilettes du lycée je disais au garçon dont j’étais éprise d’arrêter, et cela s’est terminé à l’hôpital en raison d’une hémorragie. Il faut croire cependant que les têtards de ce jeune homme étaient fort vaillants car après deux cycles sans règles, le verdict est tombé chez la gynécologue, enceinte !

Je ne décrirais pas ce par quoi il faut passer, ce qu’il faut entendre, l’impact que cela peut avoir lorsqu’on a treize ans de subir un avortement, toute chose est-il qu’il a aussi été convenu de me poser un stérilet dans la foulée, afin d’éviter les aléas liés à une contraception chimique. L’adolescente que j’étais n’avait de toute façon pas son mot à dire… les adultes ont décidé !

J’ai saigné, continué à saigner, je n’ai rien dit, je n’avais rien à dire malgré la souffrance, c’était comme une punition, sauf qu’au troisième jours, ma mère m’a retrouvée dans la salle de bain, inconsciente et baignant, une fois encore, dans mon propre sang. Ce qu’il s’est passé, le stérilet n’a pas été bien posé, sauf qu’lieu d’être rejeté, il a été absorbé par les chairs. Ensuite, il s’est mis à jouer au samouraï, les médecins n’ont donc eu d’autre choix que tout enlever.

Faut-il croire que j’avais saigné pour toute ma vie ?

Mes parents ne savaient pas comment expliquer à une adolescente qu’elle ne pourrait jamais avoir d’enfant à cause d’un petit linguet mal posé qui avait lacéré ses entrailles. Le médecin a donc fait son office, ils ont accepté une transaction afin d’éviter des expertises invasives et un procès toujours traumatisant.

J’ai regardé le doc, j’ai regardé mes parents, l’un professionnel faisant usage de son verbiage médical avec le sérieux conféré par ses lunettes demi-lune, mes parents, des parents quoi, de ceux qui se demandent sur quel pied ils vont devoir danser, pourquoi ça leur arrive à eux. Quant à moi, je dirais juste que quelque chose a beugué, toutes ses informations ont été transférées directement dans la poubelle de mon cerveau.

Tout ce qu’il en est resté, c’est : « un flic, ça n’a pas d’enfant ».

Pourquoi est-ce que je vous raconte ça, sous prétexte de contraception, peut-être parce que j’avais besoin d’en parler ? Peut-être aussi parce que dans l’océan de mon inconscient, c’est plus « facile » d’être une pute, considérée moins qu’une femme, quand on est déjà moins qu’une femme…

* * *

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Notemorf ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0