70 – MAXIME LE FORESTIER : La Maison Bleue
L’intérieur a été rénové dans une version que j’intitule « moderne d’époque ». Les fenêtres sont neuves mais ont conservé leurs hauteurs de quatre carreaux bien carrés, les volets d’origines ouvrent à la lumière qui baigne un peu plus chaque pièce. Dans le couloir d’entrée, les carreaux de ciments semblent dater de la construction du fait de leur patine.
A gauche, un long salon aux murs chaulés et poutres de plafond cérusées. Le mobilier est sombre, les séries de canapés de différentes tailles et fauteuils sont de multiples tons de de gris. Le tout est complété par un matériel hi-fi certainement de haute technologie et d’un rétroprojecteur dont l’écran se déploie automatiquement. Une porte fenêtre donne sur l’extérieur.
En enfilade, dans une pièce nettement plus petite se trouve une bibliothèque où tout semble d’époque bien que respirant le neuf. Un tapis disposé en diagonale recouvre le parquet. Les étagères disposées entre les fenêtres sont garnies de livres reliés, y trouverais-je celui de Madame ? Il y en a cependant pour toute la famille avec des bandes dessinées et des longueurs d’éditions des bibliothèques rose et verte.
De l’autre côté, se trouve la salle à manger avec une table comportant huit chaises de chaque côté. Deux grands vaisseliers exposent les services de la maison avec la soupière en point d’orgue, les tiroirs doivent être garnis de couverts. Dans le prolongement se trouve l’office, mais aussi les toilettes ainsi qu’une salle d’eau avec un couloir qui mène à l’arrière de la maison. La cuisine, résolument moderne elle, se trouve dans une annexe communicante. L’angle ainsi formé avec la maison a été aménagé en une terrasse sur laquelle donne les deux portes fenêtre de la salle à manger. La treille qui la surplombe est malheureusement dépourvue de la glycine qui lui irait si bien.
A premier étage se trouvent deux immenses chambres parentales avec salle de bain et dressing. Au second, trois chambres d’enfants avec de multiples couchages, deux petites salles d’eau, et un large palier faisant office d’espace de jeux. Chacune dispose d’un mur d’accent, certainement pour attribuer un nom, bleu-lavande et vert anis, jaune safran, rouge piment et ocre.
Aurais-je pensé goûter un jour à la vie de couple, certainement pas, pourtant tout se fait très naturellement, comme lorsque nous nous rencontrons. Nous vivons ensemble, dormons ensemble, cuisinons ensemble, nous partageons. Gilbert m’a fait un compliment qui n’a énormément touché, « j’aime aussi cette version de Véronique ».
S’il tient à l’image, il s’est laissé emmener par celle que je suis. Quand bien même je respecte au maximum l’original, de ce qu’il m’en a dit, je ne peux que compléter avec ma personne ou l’interprétation que j’en fais, ce qui semble lui convenir. Avec le temps, c’est devenu comme une autre version de moi-même à laquelle je me suis attachée.
Une piscine aurait été un plus, alors parfois je trempe les pieds dans le bassin de la fontaine, assise sur la margelle tout en lisant un livre. Gilbert vaque un peu dans le parc, ramasse le bois mort, taille un arbuste puis vient me rejoindre pour discuter de tout et de rien, de la pluie absente, du soleil bien présent. Nous marchons sur les deux hectares du domaine, parfois au milieu des chênes truffiers et de l’oliveraie.
Le soir, nous faisons souvent le tour du champ de lavande dont la floraison embaume et nourri certainement les abeilles d’un apiculteur des environs. C’est souvent à ce moment que la nostalgie envahit mon compagnon. Ses phrases commencent souvent par « tu te souviens », alors je fais mon possible pour soutenir la conversation, ce qui est devenu de plus en plus aisé avec le temps et tout ce qu’il a pu déjà me raconter. A tout dire, je crois que cette vie, j’aurais aimé la vivre, réellement, et non par procuration. La toucher du doigt me procure cependant de nombreux bonheurs.
Est-ce mal de m’approprier, en quelque sorte, la vie d’une autre, de goûter à son bonheur tel que le décrit son mari ? Est-ce mal de rêver à vouloir vivre une vie « normale », de la toucher du doigt, tout en ayant le sentiment que je ne pourrais jamais la saisir à plein main. Entre le sommeil et l’oreiller, il m’a juste dit que lorsque le bonheur semble nous fuir, c’est qu’il n’est pas là où on regarde…
Certainement avait-il beaucoup lu pour ainsi philosopher. La phrase qui m’a le plus marquée ferait certainement un excellent sujet : « est-il plus facile de disposer d’une liberté possédée que de posséder une liberté dont on ne dispose pas ? » (Vous avez quatre heures !) Alors oui, j’échangerai volontiers la vie de prostituée qui j’ai dit aimer contre celle-ci.
Nous avons bien évidemment visité le château de Grignan, Chamaret, La Garde-Adhemar et Suze la Rousse, rapportant de nos excursions un ou deux cartons de vins achetés dans différents domaines vinicoles. Gilbert me disait à chaque fois que, même si ce n’était pas ce qu’on nommait de grands-crus, la plupart faisaient bien mieux que de se défendre.
Il y a eu un moment où mon cœur s’est affolé, le mardi matin, lorsque nous avons fait le marché, au moment où j’ai cru voir mes parents. J’ai fermé les yeux, juste une seconde afin d’être certaines, mais le couple avait bien évidemment disparu dans la foule. Dans la mesure où ils ne venaient jamais ici, je me suis dit que j’avais rêvé, mes pulsations cardiaques se sont donc apaisées et j’ai avalé la boule qui s’était formée dans ma gorge.
Cependant, comme l’exprime l’adage, toutes les bonnes choses ont une fin.
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