71 – MAURANE : Avoir à Anvers un Endroit
Sur le chemin du retour, nous avons beaucoup échangé à propos de cette propriété avec Gilbert, de sa situation, de son potentiel, de ce qui pourrait être fait, des bâtiments à l’arrière dont certains menaçaient de ruine. De la maison du métayer, vers le champ de lavandes, que je trouvais magnifique avec son bâti de pierres sèches. Quand il m’a demandé si avec tout ça, ce serait un endroit où j’aimerais vivre, je ne pouvais lui répondre que par l’affirmative même si cela relevait de l’impossible pour quelqu’un de ma condition, et nous en sommes restés là.
Nous sommes le lundi 19 juin, je redeviens Valériane après avoir décollé la perruque. J’ai laissé des liquidités dans mon tiroir secret, on ne sait jamais, je sais qu’ici, c’est en sécurité. Je laisserais aussi ma voiture dans une des rues qui borde la propriété avec le double des clés, au cas où comme on dit. Je l’amènerais le 24.
Gilbert s’envole jeudi pour sa tournée d’été. Il va passer environ un mois chez chacun de ses enfants. Il devrait être de retour mi-septembre. Il est en super forme après notre séjour et doit encore régler quelques affaires avant son départ pour que tout soit en ordre à son retour. Au moment de nous séparer pour ces longues semaines, l’instant nous trouble autant l’un que l’autre, nous ne savons pas comment nous dire au revoir. Lui serrer la main, non, la bise, non-plus alors je fais ce qui me convient, un tendre baiser sur ses lèvres, auquel il répond.
Je rentre chez moi, la clim vrombit, je ne travaille pas cette semaine, ainsi en avais-je décidé au moment où j’ai su que j’allais partir. Je souhaite prendre encore du temps pour moi, mais aussi pour aller voir chaque personne que je connais, avec qui j’ai pu sympathiser. J’ai déjà prévenu mes habitués que je serais absente jusqu’à mi-septembre (on ne sait jamais), et mis mes annonces en pause.
C’est surprenant, c’est comme si je partais pour ne jamais revenir. J’ai garni mon compte pour quatre mois, même si je pars seulement pour deux. Je suis passée voir les commerçants de mon centre commercial, Claudine bien évidemment, et tous les autres. Dive aussi qui me montre son projet de rose avec tige, feuilles et épines qu’elle pourrait me tatouer sur le dos. C’est très beau, mais je ne suis pas prête pour ça.
J’ai droit à une nouvelle convocation chez le président qui me rappelle que je dois donner entière satisfaction, en bref m’a t’il traduit, faire tout ce qu’on me demandera. Comme je n’ai pas trop aimé son ton, c’est sorti tout seul, je lui ai demandé qui allait me dédommager pour ces deux mois, car je trouvais le « service » cher payé…
La réponse a été cinglante, un service, ça ne se paye pas, ça se rend, que c’était déjà bien de me payer le billet de train aller (et le retour, mais je n’ai pas demandé vu le ton), car j’apprends que Pim’s ne m’accompagnera pas finalement, Tonton Alphonse viendra me chercher à la gare. Il l’appelle comme ça car c’est réellement son oncle.
Au moment où j’allais partir, je vois Isabelle rentrer dans le bureau. Le Président me la présente comme sa régulière. Les réactions montrent que ce n’était pas prévu, mais certaines réflexions prennent sens, enfin. Cela ne m’empêche pas de venir saluer mes copines sur le boulevard où il n’est pas prévu de me remplacer, les ponctuelles s’en chargeront. Je pars, comme pour mes habitués, avec le sentiment d’un retour attendu.
C’est ainsi que le dimanche 25 juin à 4h57, je me retrouve dans un train direction Strasbourg où j’ai 30mn d’attente pour le train de 6h31 en direction de Paris Gare de l’Est où j’arrive vers 08h16. Je dois aller Gare du Nord pour prendre le train de 8h55 en direction de Bruxelles où j’ai 9mn pour avoir le train de 10h26 pour Anvers où j’arrive finalement à 11h23.
Durant le trajet, je repense à beaucoup d’évènements, à mes hauts et bas. Je prends conscience que j’ai vidé mon perchoir de tous les vêtements que je n’ai pas emporté et dont j’ai garni le coffre de patch. A cette occasion, j’ai retrouvé le sac que m’avait donné Éric-Alexis au moment de partir. Il m’a été impossible de regarder à l’intérieur, à mon retour peut-être ?
A la descente du train, avec mes deux valises, je retrouve sans problème Tonton Alphonse, la ressemblance avec le président est flagrante. Il est cependant très nettement plus enrobé, avec un énorme sur double menton recouvert d’une barbe de plusieurs jours, on le croirait constellé d’arêtes de poisson. Il me fait penser à un poisson globe.
Ravie d’en avoir terminé avec le train, me voilà à le saluer en lui servant un tonton. Que n’ai-je pas fait, le retour est cinglant, « pour toi, c’est Monsieur et rien d’autre, compris », et je le suis en traînant mes valises. Le ton est donné, j’ai l’impression que ça ne va pas être simple. Comme les autres, avec son pantalon de ville et sa chemise blanche, il me donne plus l’impression d’un homme d’affaire que celle d’un biker. En est-il un d’ailleurs, je n’en ai aucune idée, mais il est déjà assis au volant de sa berline allemande pendant que je dispose mes bagages dans le coffre, quelle galanterie !
Le trajet s’effectue en silence et je devine aisément, ayant fait quelques recherches, que nous nous trouvons dans le quartier des marins, dit rouge. L’immeuble est cossu, à l’angle d’une rue, avec une douzaine de vitrine illuminées de rouge. Dans la plupart, il y a une fille en tenue légère assise sur son haut tabouret. « Tu y travailleras parfois » me dit-il alors qu’il tourne dans une rue transversale pour stationner dans un garage dont la porte s’ouvre avec une télécommande.
Toujours avec mes valises, nous sortons dans un couloir qui donne sur un large hall d’accueil duquel un escalier part desservir les étages. Nous prenons cependant l’ascenseur vers le premier niveau sur les quatre possibles, outre le sous-sol. Nous gagnons ensuite sont bureau dans lequel son premier mot est « assis ». Je lui aurais bien répondu « ouaf ouaf », mais je ne suis pas certaine qu’il l’aurait bien pris, tout autant que j’ai le sentiment qu’il vaut mieux que je me tienne à carreau.
Annotations
Versions