73 – DANIEL BALAVOINE : Le Chanteur
Je fais ce qu’on m’a dit, je vais grignoter, sans réellement avoir faim. Je salue les filles qui sont là, on se présente, mais tellement de choses tournent dans ma tête, comme autant de pièces d’un puzzle qui ne trouvent pas leurs places afin d’obtenir une solution qui échappe à ma compréhension. Je remonte dans ma chambre, m’allonge sur le lit, non sans avoir mis le réveil qui sonnera à 17h30 pour me rappeler la suite.
La sonnerie bat le rappel, je me suis endormie. Sans vraiment réfléchir, la force de l’habitude, je fais mon lavement, puis je prends une douche, longue afin d’essayer de remettre mes idées en place tout en devinant qu’il y a encore des choses que je ne suis pas prête à admettre. Je suis tellement perturbée que je décide de mettre ça de côté afin d’y revenir lorsque j’aurais les idées claires.
Je porte le peignoir aux couleurs de la maison, qui sont aussi celles de bikers, descend les escaliers afin de profiter des grandes glaces bien éclairées et des multiples produits de maquillage qui sont présentes. Puisque je vais porter du bleu et du jaune, je ligne mes yeux en bleu-marine, ajoute un mascara du même ton, puis un smoky citron-vert, un blush rose très clair, j’en termine avec des lèvres dans le même bleu.
Avec mes cheveux gaufrés, la mini et le tee-shirt, je fais très années 80 me dit Madame quand elle vient me voir peu avant 18h30 accompagnée d’une armoire à glace qui doit mesurer par loin de deux mètres et dont le biceps sont plus gros que mes cuisses. Ma main disparaît totalement dans la sienne quand il se présente, « je suis Henry ». Dans la quarantaine, deux millimètres de cheveux et vue sa posture, certainement un ancien militaire.
D’une voix de gorge, grave et profonde, il me dit « on y va » avec cette seule phrase en tête, « heureusement que je sais marcher avec des échasses maintenant ». Mes talons claquent sur le le carrelage, sur le béton du trottoir, nous montons dans un gros SUV, il faut au moins ça pour rentrer sa carcasse. Nous avons à peine démarré qu’il est déjà au téléphone avec un certains Ismaïl, à qui il dit amener une remplaçante, et blanche en plus, ce qui n’a pas l’air d’arranger son interlocuteur.
Quant à un feu il se tourne vers moi pour me parler, il constate que la jupe ne dissimule pas grand-chose, les mots lui reste dans la gorge. Au vert, avec la route, il récupère sa concentration pendant que je me dis ne plus avoir beaucoup de pudeur. Reprenant sa jolie voix il me dit :
« Je ne sais pas ce que tu as fait avant d’arriver ici, mais normalement on n’envoie jamais de blanche dans ce quartier, sauf en guise de punition. Les habitants n’aiment pas les peaux claires, ils te le feront sentir, je n’ai aucun doute là-dessus. Je vais te confier à Ismaïl, c’est un ami, c’est lui qui encaissera et fera le portier pour ta sécurité. Il prendra trente pourcents, moi dix comme je ne reste pas, le patron, la différence, c’est ce qu’il m’a dit. Je ne sais pas pourquoi il n’y a rien pour toi, ça ne me regarde pas de toute façon ».
« Je paye les dettes de son neveu avec mes fesses » c’est tout ce que je trouve à lui répondre avec ma tête vide, car vu ce qu’il me dit, ça ne va pas être une partie de plaisir.
« Ah c’est toi, tu viens de l’est de la France alors, je n’aurais pas cru sans l’accent. D’habitude, on a plutôt des allemandes ou des filles de pays de l’est à mater. Sois forte, c’est tout ce que j’ai à te dire, et tu peux m’appeler Henry, comme toutes les autres. »
« Merci Henry », c’est tout ce que je trouve à lui dire, mais quoi d’autre de tout façon… Si, il y a deux choses qui s’inscrivent dans ma tête, c’est « ils savent tout sur moi » et « traite de blanches ».
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