75 – PATRICIA KAAS : Les Hommes qui Passent

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Lorsque Madame Maud m’avait donné mon sac, je n’avais pas compris pourquoi ce n’était pas le simple sac à main que je prenais habituellement sur le boulevard, mais plutôt une besace. A l’intérieur, ce n’était pas un simple tube de lubrifiant, mais un flacon de grande contenance avec sa pompe. Le paquet de lingettes n’était pas le plus petit pour le voyage, mais le plus grand et au nombre de deux. Quant aux préservatifs, c’était trois maxi-boites, plus de cent quarante chaque.

Quand j’ai regardé à l’intérieur, je me suis demandé pourquoi c’est si lourd. Je me suis seulement dit que c’était une dotation importante qui me ferait un bon moment. Avec la bouteille d’eau qu’elle m’avait donnée, ça faisait un sacré poids à emporter. Je ne suis de toute façon plus en capacité de contester quoi que ce soit. Je réaliserais par la suite que c’était qu’il fallait pour ce qui m’attendait.

Quant aux bouteilles auxquelles je m’abreuve, elles ne contiennent bien évidemment pas que de l’eau, mais aussi un additif. Chez les professionnels de la santé mentale, on nomme ça je crois, une camisole chimique. Dans ce cas, c’est une sorte de piège mental qui met le cerveau au repos, le rendant particulièrement très réceptif à la suggestion. En résumé, ça permet de faire faire n’importe quoi à n’importe qui.

Mais il y a quelque chose qui, me concernant, ne fonctionnait pas, c’est d’oublier ou de transformer ce qui a été vécu en quelque chose de si vague qu’il est impossible de se souvenir de ce qui a pu réellement se dérouler. De mon côté, il y avait un effet rétrograde faisant que, dès que les influences du breuvage se dissipaient, tout me revenait à mémoire. De fait, j’oscille entre un état de conscience, où je ne comprends pas forcément tout ce qui me revient, que c’est ma réalité, et de latence dans lequel on me maintient le plus possible.

Plus encore, le lien entre le physique et le mental est d’autant plus difficile à coïncider, que la drogue repousse les limites physiques ainsi que la douleur. Dans ces circonstances, il devient encore moins évident de lier des images difficiles, voir insoutenables, avec ce que mon corps me renvoit ensuite. C’est comme regarder un film sans les bruitages, les musiques et les paroles, puis écouter sans les images en essayant de tous les associer. C’est au moment où on y parvient que ça forme un tout dont on prend conscience.

C’est en effet là qu’il est possible de mesurer ce qu’un « humain » peut imposer à un autre alors que sans trop y regarder, on le croit consentant à se l’infliger. Dans une certaine comparaison, c’est comme toutes les drogues qui permettent de se dépasser, d’aller au-delà de ses capacités. Aujourd’hui, on pense à la cocaïne, pendant la seconde guerre, les alliés avaient la Benzedrine, les soldat du IIIe Reich la Pervitine. Mais j’arrête là, car il ne s’agissait pas de faire de moi une héroïne…

Non, car d’ici quelques semaines, le puzzle commencera à former une image.

* * *

*

Nue, à genoux sur mon carton, Ismaïl venait de me dire de ne pas oublier de remercier en souriant chaque personne qui en avait fini avec moi.

Il annonça donc : « pipe » !

Je lui répondis : « oui monsieur » !

La bite du mâle est emballée, graissée, avalée, il éjacule, j’annonce : « fini monsieur » !

Ça n’a pas duré plus de trois minutes : « merci monsieur ! »

Cul, oui, emballé, graissé, l’homme m’encule d’une traite.

Je ne sens rien, je ne cris pas, pourquoi ? Mais la question s’envole comme elle est venue.

On m’a dit de faire vite. En bonne pute de trottoir que je suis, ça veut dire sucer comme un aspirateur, contracter son vagin ou son cul afin de traire plus rapidement.

Ça n’a pas duré plus que quatre minutes pendant lesquelles mes fesses ont été martelées : « merci monsieur ! »

« Fini monsieur » !

La suite, c’est comme jouer à pierre-feuille-ciseaux version bite-chatte-cul, mais je perds à chaque fois dans la mesure où je n’ai rien à dire, sauf acquiescer avec ce que je dois annoncer et réaliser trois actions, emballer et graisser, puis aspirer ou serrer. A cela, s’ajoute la position, à genoux pour sucer, en missionnaire ou agrippée dos contre la grille, encoignure de mes genoux dans celle des bras du John qui me baise. En levrette ou les jambes droites, pliée, les mains tenant la grille pour me baiser ou m’enculer.

A Anvers, le préservatif est obligatoire, c’est une règle intangible, ce qui n’empêche pas nombre de mes utilisateurs d’éjaculer sur mon visage, mes seins, mon ventre ou mon dos. Après une dizaine de passages peut-être, Ismaïl a commencé à annoncer « pipe-chatte » ou pipe-cul ». Il devient difficile d’enfiler les capotes toute seule, avec mes doigts. Alors je le fais avec la bouche pour ceux que je suçais, les autres le font eux-mêmes.

C’est maintenant difficile de dire « oui-fini-merci » dans la mesure où mes orifices ne restent que peu inoccupés…

*

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