77 – ARTIC MONKEYS : When the Sun Goes Down
Je ne sais pas réellement combien de temps je reste assise, sirotant des gorgées de la bouteille d’eau qu’il m’a donnée. Une fille arrive avec une serviette et une trousse de toilette. Elle s’arrête devant moi, me dit : « bonjour, moi c’est Sonia. » Je la regarde avec sa main tendue, je voudrais dire quelque chose, je voudrais faire quelque chose, mes lèvres remues, cherchant un mot qui ne vient.
Je dois avoir un air stupide quand elle reprend : « c’est quoi ton nom ? » Je peux donc lui répondre « Valériane », et quand elle me tend à nouveau sa main, je réponds à son invitation en faisant de même. La réponse est enfin sortie des brumes nébuleuses de mon cerveau. C’est à ce moment qu’arrive Henry, répondant à une question que la fille n’avait même pas posée : « c’est une nouvelle, personne ne doit lui parler ou lui demander quoi que ce soit ».
Le silence s’est fait, Sonia acquiesce, il ajoute : « fais passer le mot, il n’y a que les patrons où moi qui s’en occupe, compris. » Affirmative, elle hoche la tête puis part faire ses ablutions. Il me demande de le suivre jusqu’à un vestiaire contenant des vêtements à foison, enfin, si on peut dénommer ça comme tel.
Il me demande d’enfiler un porte-jarretelles, des bas noirs et la première paire de chaussures à ma taille que je trouverais sur les étagères. Il s’absente pendant que je m’habille et revient avec une photo de moi en buste prise la nuit dernière alors que je boucle la sangle du second escarpin à plateforme vert pomme que j’ai chaussé. Ça le fait sourire, mais comme il me l’a demandé, j’ai pris la première paire à ma taille.
Après un passage par les toilettes, il me donne deux comprimés, que j’avale, ainsi qu’une bouteille d’eau supplémentaire. A travers un étroit couloir, il me conduit ensuite vers une pièce dans laquelle se trouve ce qui ressemble à un lit médical au pied duquel se trouve un trou oblong obstrué par un rideau de franges noires. Il me demande d’y passer mes jambes, de m’allonger sur le dos et part en me disant qu’il va de l’autre côté.
Peu de temps ensuite, je sens des mains qui ajustent mes fesses puis qui, après avoir saisi chacune de mes jambes les attachent en l’air aux chevilles. Il revient finalement pour me sangler au niveau du bassin, au-dessus de mes seins, puis mes poignets au-dessus de la tête, derrière le dossier qu’il a relevé. Un frisson parcourt mon corps, je me demande pourquoi, la réponse reste perdue, quelque part.
Quand il appuie sur un interrupteur, je devine le halo d’une lumière rouge qui vient de s’éclairer. Immédiatement, je devine, comme un imaginaire, des doigts qui me touchent, des langues qui me lèchent, des bites qui me… Ce ne sont pas des sensations, seulement des impressions, sauf que, petit à petit, la possibilité de bouger quoi que ce soit devient prégnante, je n’en éprouve aucune inquiétude. Je ne peux plus bouger, et alors ? Seul le reptilien fonctionne, la base. Je respire, je déglutis, je cligne des yeux, une poupée vivante décérébrée, c’est ce que je suis à cet instant.
*
Effet du breuvage dont je suis sevrée, ma conscience se fait jour à nouveau. J’ai le sentiment d’émerger d’un épais brouillard, d’une gangue des plus épaisse de laquelle j’essaye de m’extirper pour gagner un point lumineux qui semble si lointain. Lorsque j’en émerge, mes yeux sont rivés sur une palissade surmontée d’une lumière rouge au travers de laquelle la moitié de mon corps disparaît.
Je comprends que ce ne sont pas mes yeux qui bougent, mais mon corps qui est agité de haut en bas de manière régulière. Je me souviens de cette sensation dans mon corps que j’associe avec le fait qu’Henry m’ait attachée. A la manière de l’eau mise à chauffer dans une bouilloire, la panique d’abord fait jour, frémi, frissonne, bout et tempête. Je voudrais hurler, aucun son ne sort de ma bouche. Je voudrais me débattre, mais aucun mouvement ne m’anime…
Mon corps est devenu mon propre cachot, mes yeux une lucarne qui va de droite à gauche et de haut en bas au gré de tressautement qui me sont infligés. Un cri silencieux, « aidez-moi », ma vision se trouble, des larmes, seule manifestation, bien involontaire de surcroît, dont ma personne me fait grâce. Je suis à genou, criant et martelant à la porte de mon propre corps.
Je vois des doigts saisir mon visage, puis le visage potelé d’une femme lourdement maquillée. Au coin de mes yeux certainement exorbités, elle ramasse une larme et la pose sur le bout de sa langue. Je hurle « à l’aide », je ne suis que silence, je voudrais arracher mes liens, je ne suis qu’immobilité. Elle plonge ses yeux dans les miens, les inspecte en relevant mes paupières tour à tour : « on dirait que ça fonctionne bien, avec les yeux que tu as, ce doit être un vrai carnage là-dedans ». Elle sourit largement, découvrant des dents jaunies par le tabac si j’en crois son haleine, « je reviens te voir dans un moment » dit-elle en me tapotant une joue avant de s’en aller.
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