84 – OTEP : Fillthee

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*

Un homme me sort de ma torpeur, je ne sais bien évidemment de quelle façon. Il est blanc, blond aux yeux bleus, c’est la premier que j’en vois un, y en a-t-il eu d’autres avant lui ? Je ne comprends pas ce qu’il fait là, un spectateur qui a payé pour participer ? Peut-il y avoir une autre réponse moins trash, Alphonse ayant évoqué uniquement des migrants.

Il s’affaire des plus sauvagement entre mes jambes, prononçant des phrases que j’ai déjà tellement entendues, sauf une : « mais tu vas crever salope ». A-t-il parié que le numéro 522 sera le moment de ma mort ?

Hors de lui, il me frappe une fois, deux fois je ne sais pas où, puis une troisième fois au visage. J’ai entendu un « crac » dans mes oreilles, puis un « stop » venant de l’extérieur. C’est une voix que je connais, qui est-ce ? Le quatrième coup reste suspendu ! Cependant, je le vois se pencher vers moi, une main fait tourner ma tête d’un côté, face à un objectif qui doit plus encore se délecter que celui qui me regarde constamment.

Quand mon crâne retrouve sa place, je vois que sa bouche est ensanglantée. Il me crache ma propre hémoglobine au visage puis s’en retourne non sans copieusement m’insulter.

* [523]

De quel pays est originaire le suivant tant sa peau est sombre ? Il ne me touche pas, ne me regarde pas, fait sa petite affaire puis s’en va…

[524]

Je tourne et retourne cette dernière année, même si c’est plus que ça dans ma tête, parce que c’est plus que ça. Je ne me limite qu’à cette période, pourquoi je ne remonte pas avant ? Je pourrais me souvenir de tout ces moments en famille ou avec des copains, l’école, les vacances, je ne les effleure même pas. Est-ce que je veux avoir tellement usé cette période qu’elle ne viendra pas défiler devant mes yeux au moment où je quitterais ce monde, comment pourrai-je le savoir…

[591]

Je me souviens de ce moment où, consultant les demandes de rendez-vous, j’étais tombée sur ce message de journalistes féministes me demandant un interview. Étais-je légitime à leur dire quoi que ce soi, je ne suis pas une vraie prostituée, ce fut ma réflexion. J’étais cependant revenue plus tard, conservant malgré tout leur message, afin de lire le texte qu’elles avaient ajouté, qui en serait le prologue (1) :

[593]

Témoignage d’une professionnelle dans les métiers du sexe

Le titre de cet entretien risque de provoquer quelques réactions, et, en effet, il est révélateur de la volonté qui est la nôtre : laisser la parole à une personne qui exerce la prostitution, de reprendre les termes qu’utilisent les femmes prostituées quand elles se définissent et quand elles expliquent leur travail, y compris lorsqu’elles disent le pratiquer par choix.

[596]

Nous voulons éviter le discours sur LA prostituée, montrer les différences de parcours, les différences de pratiques. Ces différences permettent d’éclairer avec plus de nuances la définition de la prostitution qui ne recouvre que celle de la rue.

[597]

D’un point de vue théorique, nous trouvons réducteurs aussi bien l’approche inspirée de l’individualisme méthodologique (toute personne est l’actrice de sa vie) qu’une vision où le déterminisme social prime (les contraintes sont telles que chaque personne n’est plus qu’un être sans aucune marge de manœuvre).

[598]

Nous considérons les théories abolitionnistes comme une dérive du déterminisme social, puisque de fait elles considèrent les femmes prostituées comme des femmes plus aliénées que les autres. Par-là, elles reproduisent la division entre les femmes – d’un côté les femmes honorables, de l’autre les non-honorables – dont le patriarcat fait un de ses principaux outils de domination. On peut prolonger cette réflexion en s’interrogeant sur le nom de « putain » qui nomme et déshonore à la fois la femme prostituée. Pour elle, les concepts de « prostitution » et de « prostituée » sont des instruments de contrôle social. Cela permet à la fois d’isoler les prostituées, mais de plus rend certaines libertés incompatibles avec l’honorabilité (autonomie sexuelle, mobilité géographique, initiative économique, prises de risques physiques).

[600]

La théorie qui se rapproche le plus de notre démarche, et qui, selon nous, permet de sortir de la division entre les femmes à laquelle le système patriarcal nous contraint, est l’approche, dans une réflexion plus globale, qui prend en considération l’ensemble des échanges économico-sexuels avec les hommes. Cela permet de faire disparaître la rupture entre les femmes non prostituées et les femmes prostituées, de situer les différentes expériences sur un continuum. Ainsi, l’ensemble des rapports sexuels contre rétribution (cadeaux, paix du ménage, promotion, argent) est analysé sous l’angle des rapports sociaux inégaux entre les sexes. Ainsi, si on analyse le mariage et la prostitution, ils seraient opposés, mais il semble bien au contraire exprimer l’appropriation des femmes. On met donc au centre de ce propos la domination masculine qui s’exerce sur l’ensemble des femmes, et montre qu’il est vain de croire en l’abolition de la prostitution dans une société où la classe des hommes peut en tout temps s’approprier la classe des femmes.

[603]

(Provient en grande partie de cet article : https://shs.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2002-2-page-94?lang=fr)

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