87 – SERGE GAINSBOURG : Des Laids des Laids
Je suis couchée sur le lit, mon cerveau est éteint. Est-ce que je n’arrive pas à penser, ou est-ce que je ne veux pas ? J’ai peur d’être vivante, peur de ce que cache ces bandages et autres pansements, j’ai peur de me souvenir. J’ai peur des questions que Stan va me poser, j’ai peur de l’avenir. Est-ce que ce ne serait pas mieux que je sois morte ? Trop à la fois, j’ai mis sur « OFF », espérant que je pourrais en régler le débit lorsque je tournerais le bouton sur « ON ».
On frappe à la porte ! Je n’ai le temps de rien, Stan entre, se précipite vers moi avant de stopper net, « mais qu’est-ce qu’on t’a fait ? » La question reste en suspens, je lui tends une main pour qu’il m’aide, « au secours Stan, aide-moi ! » C’est ce qu’il doit lire dans mon œil quand il s’assoit près de moi et m’attire à lui. Nous pleurons ensemble.
Des retrouvailles entre des personnes qui se connaissent à peine, mais qui savent. Au bout d’un moment, parce que le naturel humain est ainsi fait, il s’excuse de ce qu’on l’a obligé à me faire, puis se justifie, expliquant que le service, en la personne du Commandant Charles-Xavier, le tenait à cause des magouilles dans lesquelles sa sœur a trempé, bien involontairement ajoute-t-il.
S’il y a une chose que je réalise pendant que je l’écoute, c’est que je ne lui en veux pas, il a toujours été humain, de plus, il semblait si sincère quand il m’a donné sa carte. C’est la seule main secourable à laquelle j’ai pensé, je n’en voyais pas d’autre de toute façon. Dans le flot de paroles qu’il déverse, il conclut en disant que Christiane, avec qui il échangeait régulièrement, est venue le voir fin juin pour lui annoncer mon décès.
Quand il me demande ce qui s’est passé depuis la dernier fois qu’on s’est vu, pourquoi je suis vivante et dans cet état, tout ce que je peux lui répondre, c’est : « borburée et biolée bille bois » et lui tendre le courrier de Pim’s. J’ai honte de ma voix, honte de ce qu’il voit. Je n’arrive pas à en dire plus, puis raconter quoi, j’ai l’impression d’avoir fait une sorte de colis bien ficelé dans mon cerveau.
Je me sens en sécurité, et après un moment de silence, je comprends qu’il doit parler, vider son sac pour pouvoir passer à autre chose :
- Chax est venue me voir, me disant que j’allais pouvoir m’acquitter de ma dette. Son cahier des charges me semblait aussi vague qu’il était précis pour lui, il voulait le corps d’une actrice porno et un visage avenant. Je me souviens qu’il a dit, « des loches énormes, un cul large et rond et tu lui arrange sa gueule pour qu’elle soit bonne ». Il a ajouté que tu étais une fliquette qui avait fait chier les mauvaises personnes, qu’on t’avait retourné le cerveau, donc que quoi que tu dises tu serais toujours d’accord. Pour terminer de me convaincre, il m’a dit t’envoyer faire la pute alors que t’avais pas dû baiser plus de trois fois dans ta vie et que tu trouverais ça normal. Et enfin, que ça pourrait arriver aux femmes ou filles de mon entourage.
Il en termine en me disant que Chax l’avait cogné parce que mes nouveaux seins étaient trop petits à son goût, quand bien même il se soit justifié sous couvert de l’élasticité de ma peau. Qu’en fait, ayant compris que je n’étais pas libre de mon consentement, il voulait remplir son contrat sans me transformer en caricature.
Je sens ses remords transpirer à grosses gouttes, alors je lui dis, comme je peux, que je ne lui en veux pas, qu’il a fait du beau travail, que de toute façon, je voulais me faire refaire le nez. J’essaye d’en sortir comme je peux. Est-ce que c’est ce qui le fait sourire, peut-être, mais il se reprend, et le médecin avec lui quand il me demande s’il peut regarder.
Il a apporté sa trousse, qu’il pose sur le lit à mes côtés. Il me dit qu’il veut se faire une idée, pour savoir quoi faire. Que regarde un chirurgien-esthétique, le visage, est-ce naturel, aucune idée. Patiemment il défait, déroule, décolle, parfois, je vois l’expression du sien qui change plus il avance dans sa besogne. Quand il en termine, il est blanc comme un linge, une expression horrifiée figée sur son visage.
Pourquoi à ce moment-là, ce sentiment qui avait été le mien il y a quelques semaines revient, certes petitement, remontant comme une bulle contre le verre d’une bouteille. Il se reprend, sort une loupiotte, inspecte ma bouche et chaque centimètre de mon crâne. Silencieux, il est à vouloir me remettre des bandages lorsque je lui dis : « j’veux voir ! »
Il va tout faire pour me dissuader, que je ne dois pas, mais j’insiste, encore, encore, jusqu’à ce qu’il cède en m’extorquant une promesse, celle de le laisser faire tout ce qu’il faudra. Cette fois c’est lui qui s’impose jusqu’à ce que je cède, sans trop y réfléchir, car cette toute petite bulle qui montait vient d’éclater, celle de ma colère. Il me soutient jusqu’à la salle de bain.
*
Devant la glace, mon œil valide passe de ce que je vois à l’expression de Stan sans discontinu, mais ça ne dure que le temps d’un claquement de doigt avant que je perde connaissance. Sans entrer dans les détails, je comprends le temps passé par le geôlier, il me suturait, mon visage est comme un vieux tissu reprisé encore et encore avec la bouche du joker. Mon œil droit est si enflé qu’on distingue à peine l’espace entre les paupières, mon nez n’en a plus que le nom tant il a dû être cassé de nombreuses fois. Ce que je vois de mon cuir chevelu n’est qu’un amas de plaies.
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