89 – NICKELBACK : San Quentin
Dans les jours qui ont suivi, Gilbert, qui lui aussi voyageait beaucoup, est venu me raconter ce qui s’est passé durant ces deux ans. La toute première, a été de se remettre de l’appel de Stan qui faisait ce qu’il pouvait pour me cacher malgré une nouvelle identité qui semblait solide. Il s’est écoulé un long mois pendant lequel, ils ont pris connaissance de ce qu’on m’avait fait au travers du dossier fourni par Pim’s.
Il m’est impossible de ne pas avoir honte devant cet homme qui ne me laisse pas insensible, honte quand il me dit, qu’avec Stan, pour comprendre, ils ont regardé certaines vidéos. Il passe cependant rapidement, m’expliquant que faisant chacun jouer leurs réseaux, ils ont pu me faire transférer aux États-Unis.
Afin que je ne me demande pas quant aux considérations financières, la plupart des procédures dont j’ai bénéficié ont été prodiguées gratuitement ou presque, en raison de leurs caractères expérimentaux, mais aussi universitaires. En effet, de nombreux étudiants ont participé à mon rétablissement en forgeant ainsi leurs techniques.
Ce qui m’importe plus que tout ce qu’il vient de m’expliquer, c’est encore une fois la chaleur de sa main, celle qui tient chaud à mon âme, celle qui fait battre mon cœur. C’est grâce à lui que j’avance, que je tiens bon. C’est pour cela que je lui fais une demande particulière, qui le surprend puis à laquelle il va accéder. Nous en sommes heureux tous les deux. Ce sera mon fil conducteur pour toute la suite.
Il y a un dernier point qu’il veut aborder, sans savoir réellement de quelle façon. Il commence par la question qu’il s’est posé, pourquoi mes parents n’avaient pas réclamé ma dépouille. Il en est arrivé à la même conclusion que la mienne, soit ils m’ont renié, soit ils ne croient pas en ma mort. Penchant pour cette dernière hypothèque, sous couvert de recherche d’une maison, il est donc allé les rencontrer.
Parvenant à sympathiser, ils en sont arrivés à parler famille. Mes parents ont finalement évoqué leur fille. Bien qu’on leur ait annoncé sa mort, non sans avoir sali son image, ils veulent garder espoir. Ils espèrent qu’elle se trouve quelque part en sécurité. Il a vu une famille rongée par la douleur et le doute, alors sans entrer dans aucun détail, il leur a expliqué ce qui c’était passé, dans un résumé simplifié d’une vengeance sordide.
Il y a quinze mois environ, mes parents sont venus, sous couvert de vacances, me voir, même si emballée comme je l’étais, ça a été très difficile. Le besoin était tel, malgré les avertissements de Gilbert et de Stan, qu’ils ont pu venir au moment où on me retirait le masque qui soutenait mon visage. On lui a dit que ma mère s’était évanouie, que mon père avait pleuré devant le ravage que c’était encore à ce moment-là.
Ils sont revenus il y a environ six mois, et tout comme la première fois, ils restaient de longues heures à me lire ou poursuivre des livres qu’il avait apporté. Je pleurs, mes parents m’aiment, ils ne m’ont pas reniée. Bien malgré moi, j’ai conscience du mal que je leur ai causé, que je continue de leur causer. Est-ce que je peux les appeler, leur parler, qu’est ce qui va se passer, vont-ils vouloir me parler ? Tant de questions tournent dans ma tête pendant que des larmes pleuvent de mes yeux.
Gilbert me dit qu’ils n’attendent que ça, me parler, entendre ma voix. Il doit auparavant m’expliquer que, incertains de l’identité donnée par Pim’s, je dois les appeler avec le téléphone qu’il me tend sur un qu’il a donné à mes parents. Gilbert me dit qu’il aimerait avoir assez de contacts pour m’obtenir de nouveau papier. Je lui dis de ne pas s’inquiéter, qu’il fait déjà tant.
Qu’il m’est difficile de dire quelque chose à mes parents, j’y pense sans cesse en regardant le téléphone dans ma main. Quelque part, c’est comme s’il y avait une parenthèse entre le moment où je les ai quittés en gare d’Avignon, et celui où j’ai rouvert les yeux ici, dans cette clinique des États-Unis. Finalement, je réanime le portable pour appeler le numéro enregistré.
J’aurais pu dire : « bonjour, c’est Poéma », mais je fonds en larme en hoquetant « maman » à la voix de ma mère qui dit « allô ». La voix pleine de sanglots, elle me répond comme elle peut : « ma petite fille », puis parviens à appeler mon père. J’entends sa voix affolée qui demande ce qui se passe, puis, de façon lointaine, ma mère qui doit lui tendre l’appareil en lui disant un « Poéma » tout mouillé.
Mon père, qui pourtant ne jure jamais, dit « oh merde », alors que j’entends un gros bruit, et la seconde qui suit : « Poéma, c’est vraiment toi ma fille, trois ans que nous t’espérons. » Sa voix est serrée dans sa gorge, tout autant que la mienne qui lui répond un tout petit « oui ». C’est sincère et profond dans mon cœur, je les aime, je le leur dis, eux aussi, on se manque.
L’émotion reste intense, cependant, nous parvenons à parler de la famille, de ce qui se passe pour moi. Nous envisageons aussi mon retour, bien que cela reste pour l’instant un avenir, mais nous parlons principalement du présent. C’est bien suffisant pour remplir une très longue première conversation que je ne peux conclure sans m’excuser de ce que je leur ai fait subir à tous. Même s’ils ont été affranchis, je ne peux pas faire autrement.
Il n’en reste pas moins que ce sont des parents, les miens, tout à leur bonheur de retrouver leur fille, alors, le reste viendra plus tard. Je sais qu’ils auront des questions, aussi je dois être prête à y répondre, ce qui veut être suffisamment en paix dans ma tête. Au moment où je raccroche, je remercie l’inventeur du téléphone, je n’aurais pas pu les avoir en face de moi, si longtemps après, avec ce que j’ai fait.
Une fois encore, quand bien même en ayant été piégée, comment regarder ses parents en face quand ils savent ce que vous avez fait, après l’avoir vu, j’ai honte. C’est juste après ce coup de fil si bouleversant que le sentiment de colère pousse en moi. Quelque part, c’est un peu comme reprocher aux policiers le décès du conducteur d’un véhicule volé lors d’une course-poursuite. Le fait initial qui a conduit à la funeste conséquence, c’est le vol du véhicule, pas la police.
Reporté à mon cas, j’ai eu un accident avec un véhicule volé que j’ai été obligée de conduire. Les responsables sont donc ceux qui m’ont mise au volant. Je ne suis pas la seule en cause ! J’aurais bien ajouté qu’il va falloir qu’ils en répondent devant la déesse aveugle. Cependant, la balance qu’elle tient dans une main, la justice des hommes, ne la fera pas pencher. Aussi, est-ce que ne serait pas à moi de saisir le glaive qu’elle tient dans son autre main pour la rendre cette justice, sauf que ce sera la mienne…
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