90 – DEPECHE MODE : New Life
Aujourd’hui, c’est le grand jour, je vais me voir, constater tout ce qui a été fait pour moi. Là où je suis aujourd’hui, j’ai demandé à me voir avant, je veux savoir ce qu’Alphonse, Jonas et toute leur clique ont laissé faire pour que je meurs, ce à quoi ils m’avaient condamnée. J’ai vu, ce qui n’a fait qu’augmenter le feu sous la marmite.
Lorsque je ne suis pas occupée avec ma rééducation, les soins ou mon cerveau, j’ai entrepris de potasser l’ensemble des documents que Pim’s m’a laissé. Ils sont nombreux, puisque c’est lui qui a entièrement monté cette opération sur les instructions du président et une initiative commune de Jonas et Alphonse. Ce dernier d’ailleurs règne sur la Belgique, où se trouve son QG, l’Allemagne et la France ou il s’implante, grignotant des territoires petit à petit.
C’est une sorte de parrain du 21ème siècle qui règne sur les filles, la drogue, le jeu ou les armes. L’une de ses stratégies est simple, s’associer avec des policiers ou des gendarmes aussi véreux que vénales, ou les piéger afin qu’ils soient à sa botte. Apparemment, et de ce que je comprends, c’est Jonas qui serait allé le voir, autant pour l’argent que pour redorer un blason familial en berne avec son fils.
Sa présence à l’I.G.S est un atout qui permet de mettre la pression pour que des yeux regardent autre part. Le fiston bénéficie de son côté des informations fournies par le président. Il peut ainsi procéder à de nombreuses interpellations afin de laisser la place à de nouveaux chapitres de motards qui mettent les territoires conquis en coupes réglées.
J’ai donc contrarié leur expansion, ça je l’ai compris. Seulement, j’ai beaucoup de peine lorsque je réalise l’étendue de la corruption, jusque dans de hauts services de l’État. J’ai du mal à réaliser que la probité peut être aussi facilement dévoyée, utilisée afin d’envoyer une pauvre fille comme moi, amoureuse de ses fonctions vers une mort programmée.
Mon médecin reprend avec moi l’importance des médicaments que je dois continuer de prendre. De la combinaison que je dois continuer à porter toutes les nuits jusqu’à la disparition complète de toutes les marques de sutures. Les bas de contention que je dois porter, été comme hiver, jusqu’à la fin de mes jours afin de maintenir un bon flux sanguin.
Il aborde un dernier point, dont personne ne m’a parlé, et auquel je n’ai aucunement pensé, tellement important pour beaucoup de femme, les cheveux. C’est au moment du grand dévoilement que j’apprends que ma capillarité est à l’équivalent d’une boule de billard, c’est à dire nulle. En d’autres termes, certains n’ont pas emporter qu’une mèche de cheveux, mais aussi la peau qui va avec. En d’autres termes, comme le trophée emporté par les indiens, j’ai été scalpée.
Même si cela me mine, de me voir, d’enfin sortir l’emporte. J’ai fermé les yeux, ma combinaison est enlevée, le masque suit la cagoule. Lorsque je peux enfin me regarder, c’est vrai j’ai beaucoup de difficulté à me reconnaître. L’image que me renvoie le miroir a un air de famille, il faudra que je me l’approprie. Sinon, de haut en bas, je suis encore zébrée de lignes rosées qui se croisent et s’entrecroisent, telles un patchwork constitué à l’aide de pièces disparates ou hétéroclites.
Après avoir été examinée sous toutes les coutures, et c’est le cas de le dire, je demande à Gilbert de m’emmener à l’extérieur. Il a été absent pendant plusieurs semaines, mais il a fait le déplacement aujourd’hui. Il semble fatigué, même s’il tente de le cacher. Nous nous promenons comme les deux amoureux que nous sommes, nous parlons, discutons et échangeons.
Au bout d’un moment, aussi fatigué l’un que l’autre, nous prenons place sur un banc sous le couvert des feuillages de grands arbres. Il me fait savoir que mon identité de Valériane est sûre, selon un enquêteur de ses amis. Il m’annonce aussi que la maison que nous avions partagé à Grignan m’appartient désormais, il l’a acquise en mon nom.
Je suis touchée et heureuse, quelque part impatiente d’y partager des moments avec lui, même si je sais qu’il va m’annoncer autre chose, je le vois dans son regard. Il garde le silence malgré tout, soucieux de ne pas gâcher ma première journée de vivante. Aussi, je reste tout à mon bonheur, je savoure ces instants auprès de lui. Même si ce n’est pas autorisé, même si mon corps n’est pas encore totalement prêt, cette nuit-là, je lui ai donné la nouvelle virginité que la chirurgie m’a offerte.
Lorsqu’il est parti le lendemain, j’ai beaucoup pleuré. Il y avait ce sentiment, tout au fond de moi qui me dit que je ne le reverrais plus. J’aurais aimé repartir avec lui, seulement je dois encore rester à la clinique pour valider les procédures employées, dont deux font l’objet d’une thèse. Quelques jours plus tard, je dis au revoir à tout le monde pour retourner en France. Il est prévu qu’on se retrouve à ma descente de l’avion avec Stan et Gilbert.
Mon inquiétude va grandissante avec mon impatience, je n’aie pas eu de nouvelle de mon bien-aimé ces derniers jours et je n’arrive pas à le joindre. A la tristesse affichée sur le visage de Stan, je sais que mes inquiétudes se confirment, mon amoureux est mourant. Je ne pense pas à autre chose qu’à lui en retournant dans l’est.
Après avoir accusé le coup, soutenue par la présence d’un Stan lui aussi très affecté, je cherche immédiatement une correspondance que je trouve sans peine avec quatre-vingt-dix minutes d’attente. Je reste en compagnie de Stan qui ne peut malheureusement m’accompagner que par la pensée. Il m’explique que Gilbert a un cancer qui a récidivé de manière particulièrement virulente, ne lui laissant que quelques semaines de sursis.
Il tient cependant à me dire quelque chose, que son amour pour moi est sincère. Que c’est certainement ce qui lui a permis de tenir et de se battre avec autant de force. C’est au moment de nous quitter qu’il me remet une enveloppe que Gilbert lui a confié à mon attention. Assise dans l’avion qui m’amène en Suisse, au plus proche de ma destination, je reste de longues minutes à la regarder sans oser l’ouvrir, comme un trésor. Puis finalement, parce qu’il le faut :
« Ma très chère Valériane,
Je sais que ce n’est pas le prénom avec lequel je t’ai rencontré, mais c’est celui avec lequel j’ai appris à t’aimer, quand bien même la façon dont nous nous sommes connus.
Si je suis toujours resté amoureux de ma Véronique, j’ai eu ce bonheur de t’aimer aussi, et tout autant. Je peux me considérer comme un homme particulièrement chanceux d’avoir pu aimer aussi profondément deux fois dans la même vie.
J’aurais souhaité que la vie me prête encore quelques années afin de t’aimer plus longuement et te démontrer que dans celle-ci, il y a également le bonheur, non seulement des épreuves.
J’ai fait ce que tu m’as demandé, avec d’autant plus de joie au travers de ce sentiment que nous partageons.
Mon notaire te remettra les indications nécessaires outre le titre de propriété de notre maison et d’autres renseignements. Tu as ses coordonnées ci-après, il a les tiennes, et toute ma confiance, tu peux donc te fier à lui.
Je voulais que tu ailles au bout de ton séjour afin que tu puisses maintenant aller de l’avant, car c’est ce que tu dois faire, même si je te connais.
C’est pourquoi j’ai laissé cette lettre à Stan, pour que tu lises ce que je ressens pour toi, que tu en sois certaine, car je ne pense pas que je puisse te dire combien je t’aime de vive-voix encore une fois.
Ne l’oublie jamais, même si tu te sens perdue, je serais toujours là pour toi, à murmurer à ton oreille.
Avec tout l’amour de celui qui t’aimera à jamais,
Gilbert »
Mes yeux coulent, mon cœur gonflé d’amour saigne pour cet homme.
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