94 – ROB ZOMBIE : Living Dead Girl

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« On sait ce qu’on perd, pas ce qu’on gagne. » C’est exactement la difficulté à laquelle je suis confrontée en ce moment. Je prends conscience, petit à petit de ce que j’ai perdu. Si mes frères et belles-sœurs connaissent mon parcours, de manière certes, une fois encore édulcorée, pour mes neveux et nièces, je ne suis plus « Tata Po », mais « Tata Vi », une inconnue.

De la même façon, pour la famille hors du cercle proche, Poéma est décédée. C’est la même chose pour toutes les personnes que je connaissais, je n’existe plus. Quand bien mon identité soit sûre, il y a toujours une part d’inquiétude, d’incertitude qui a fait de moi Valériane, une lointaine cousine qui a longtemps vécu aux USA. J’ai décidé de rentrer en France pour m’établir ici.

Les retrouvailles ont été chaleureuses, et même beaucoup plus que cela, mes frères ont retrouvé leur petite sœur, c’est au chaud, c’est doux, c’est bon, ça me remplit, ça comble une partie du vide que je ressens. Jamais je n’ai été aussi prompte à savourer tout cela. Je ris, je participe, la femme réservée est devenue quelqu’un d’enjouée, tellement différente de celle que j’ai été. Ce sont les braises qui maintiennent la chaleur de mon foyer intérieur.

Je vis chez mes parents pour l’instant. Les souvenir de ma solitude sont encore bien frais pour que je vive seule. L’autre raison, c’est que je n’arrive pas à envisager de vivre dans notre maison (c’est ainsi qu’elle s’appellera, « Notre Maison ») c’est le souvenir de Gilbert, des moments que nous avons passés ici, de ce qui s’est scellé entre nous. S’il vit dans mon cœur, cet endroit doit aussi renaître, je ne sais pas encore comment, mais je vais trouver, il m’y aidera.

Celui qui est ravi de mon installation, c’est mon banquier. Il est aux petits soins depuis que l’argent de la succession de Gilbert est venu garnir mon compte. Il a fallu que je calme son enthousiasme, un peu vertement. Je ne dois rien faire dans la précipitation, car même si je ne le montre pas, cet argent m’inquiète, notamment celui qui se trouve à Chypre. En effet, depuis le jour où mon compte a été approvisionné, la côte de la cryptomonnaie est passée d’environ 3000 à plus de 6000 euros.

Je téléphone régulièrement à Jack, le Notaire qui me dit que ce compte, c’est le meilleur des investissements, que ce soit à court ou longue terme, de ne pas m’en préoccuper. Ce qu’il me faut, me dit-il à chaque fois, c’est réapprendre à vivre, et si vraiment ça m’inquiète de m’adresser à un gérant de patrimoine. Il va chercher quelqu’un pour moi. Il me conseille cependant de me former. Savoir de quoi on parle, c’est important.

Comme je l’écrivais plus haut, on sait ce qu’on perd… Ça ne se résume pas à trois années de ma vie et à ma seule personne. Tout mon entourage a souffert, à commercer par mes parents. Ils ont pris un coup de vieux, c’est peu de le dire. Même si eux ne m’ont rien dit, mon aîné m’a raconté ce par quoi ils sont passés, et eux aussi, notamment les dissensions dans son couple le concernant, les enfants qui demandent après moi.

S’il y a quelque chose que j’ai appris dans ma carrière de flic et de prostituée, c’est à lire les personnes. Ce n’est pas une science, c’est moins encore exact, cependant, les informations fournies sont souvent précieuses. Je dis cela pour ce que je lis dans le regard de deux de mes belles-sœurs. D’un côté, les reproches pour ce qu’il leur a fallu traverser. De l’autre, cette bribe de phrase que je n’aurais pas dû entendre alors qu’elles discutaient ensemble et que l’une a dit « cette pute » en parlant de moi.

C’est notamment avec cela que je me dois d’apprendre à vivre, la prostituée qu’on a fait de moi, celle qui est dans ma tête, et enfin celle que je lis dans le regard des autres. Une fois encore, ne suis-je que ça ? C’est un des aspects du travail que je fais avec le psychiatre que je rencontre deux fois par semaine. Le contact est bien passé avec elle, puis je me sens en sécurité avec le secret médical qui remplace la distance lorsque je le trouvais de l’autre côté de l’Atlantique.

C’est justement là que je leur fais la surprise de les envoyer, à Orlando en Floride pendant une petite dizaine de jours. Avec l’agence de voyage, nous avons prévu des billets pour Walt Disney World, Universal Studios et une journée dans les Everglades à bord d’un Airboat. Départ prévu le 21 décembre, retour prévu le 02 janvier.

Je sais que cette famille a besoin de se retrouver, avec moi, et sans moi. Il est nécessaire qu’ils passent du temps ensemble sans que je ne sois une préoccupation, ni que je sois présente. C’est aussi ma manière de leur rendre un peu de ce bonheur qu’ils m’ont donné ces dernières semaines. Les mauvaises langues vont dire que je leur paye ça sur les fonds gagnés avec mes fesses, mais peu importe, personne n’a refusé.

Mes parents ont insisté pour que je vienne, pour passer ce premier Noël ensemble. Nous avons discuté, longtemps, avant de comprendre mon point de vue. C’est difficile d’expliquer, sans le dire comme ça, qu’on est un boulet pour sa propre famille, quelqu’un de toxique. Tout le monde me rend heureuse, je sais qu’ils le sont aussi, mais je suis aussi le symbole de leur peine. C’est aussi la raison pour laquelle, lorsqu’ils rentreront en ce début d’année 2020, j’aurais aménagé à Notre Maison.

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