95 – EURYTHMICS : Sweet Dreams (are made of this)

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Ils sont tous revenus heureux et souriant de cette escapade, une unité s’est reformée. Comme avant, je ne viens que de temps en temps, quand il y a tout le monde. Mes parents viennent régulièrement prendre un café ou un thé. Nous faisons quelques virées shopping avec ma mère. La toute première fois, c’est moi qui me suis retrouvée à la conseiller alors que c’est elle qui achetait mes vêtements auparavant. Certaines choses changent, ou deviennent plus profondes.

Mon père a trouvé ce qu’on pourrait faire des deux longs bâtiments derrière la maison, des locations de vacances. Il pense que dans celui avec étage qui servait de remise et de grenier à foin, il serait possible d’aménager cinq logements plus ou moins grands avec un jardinet pour la table et le barbecue. Il faudrait écrouler celui d’en face, en très mauvais état, afin de récupérer ou revendre les matériaux. A la place, faire creuser une piscine et créer une aire de jeu. L’idée fait son chemin, je dois la visualiser, la faire grandir.

Lors d’une de nos escapades, ma mère m’a demandé pourquoi je portais des choses aussi épaisses sous mon jean. La réponse était aisée, simple et vraie, ce sont des collants de contention. Ce qu’elle ne sait pas, et n’a pas besoin de savoir, c’est que se trouve, au dos de mes jambes, le vestige peu glorieux de ce qui s’est passé, de ma déchéance. C’est là où se trouve encore le mot en rapport avec ma condition passée, le seul endroit de mon corps resté intact.

Le corps médical n’a pas voulu y toucher, aussi parce que ça leur donnait un point référence en comparaison de ce qui se passait. Si je devais décrire la technique employée sur moi, je dirais qu’elle s’inspire grandement de celle des grands brûlés à laquelle est venue s’ajouter ce qui se nommait torture en d’autres temps vraiment très reculés. Mais je vais arrêter là, c’est juste idéal pour tout faire disparaître.

Je dirais que c’est finalement un bien pour un mal. Si ma nouvelle peau ne doit surtout pas être tatouée, c’est une émission diffusée à la télé sur les recouvrements qui me mènera vers une tatoueuse lyonnaise qui fera disparaître le nœud en haut de la cuisse et le mot au bas du mollet. Le premier a disparu sous un style ornemental.

Le second, dans la même veine, est recouvert d’une tulipe noire, en référence au film éponyme dont le rôle principal est tenu par Alain Delon. J’avais vu ce film pendant ma convalescence après ce qui s’était passé au lycée. Il est revenu comme une évidence, une sorte de parallèle entre ce qui se joue et ma propre vie.

Dire que le retour à la vie normale est simple serait totalement absurde, ou alors, je dois associer la simplicité avec le terme titanesque. Il y a des choses tellement évidentes comme se lever, petit-déjeuner, déjeuner, dîner, se coucher que j’essaye de mettre en place avec ma psy afin de structurer mon existence. J’ai aussi repris le sport, à petites doses d’abord, puis manière plus soutenue ensuite. Je cours tous les matins en augmentant la distance régulièrement, et je complète avec le banc de musculation que je me suis offert.

Je consulte un nutritionniste afin de me nourrir convenablement. J’assiste aussi à de cours de yoga, ce qui me permet également de me sociabiliser. Par le biais de la même association et dans le même but, je suis aussi des cours de pôle dance qui comme le précédent me permet aussi de me réapproprier mon corps.

Si on se demande ce que ça veut dire de vivre « normalement », je dirais que c’est ce que tout monde le fait tous les jours. L’un des premiers éléments que j’ai dû réapprendre, c’est la pudeur dans mes tenues afin de ne pas entendre ma mère me dire : « tu ne vas pas sortir comme ça ! » Mais je m’accroche en essayant de régler ma vie comme du papier à musique.

Sans parler de ce qui s’est passé en Belgique, je n’ai pu que me rendre à l’évidence, je ne redeviendrais jamais celle que j’étais, cette personne-là est perdue. Elle a sombré corps et âme dans la prostitution sous couvert d’une carotte factice. Parfois, ça m’arrive encore de me réveiller en me disant que je dois me préparer. C’est lorsque je m’assois sur mon lit que je réalise, que les larmes se mettent à couler, comprenant que ce que j’ai vécu m’a changée.

Ce qui me perturbe énormément, c’est justement que ça se poursuive. Quand j’ai compris que les deux mots prononcés par Alphonse, « petit scarabée », étaient ceux qui avaient levé mon conditionnement, je me suis demandée pourquoi je n’étais pas revenue à avant. J’ai donc appris que même conditionnée à quelque chose, ça n’en reste pas moins sa vie, ça s’y imprime, c’est réel. La fin ne veut pas dire passer d’un état à un autre, comme un robot auquel on formaterait le disque dur, mais en avoir, une fois encore, pleine conscience.

C’est quand je me demande si tout ce que j’ai fait, c’était consciemment ou non, que je le prends en pleine figure. Est-ce que ça tu l’as fait parce que le conditionnement ou parce que c’était moi. « HARLOT » sera toujours gravé, même s’il est caché. De la même façon, « Slut », « Fuck me Hard », « DIRTY WHORE CERTIFIED » ou « Slave » seront toujours visible pour moi, un peu comme le membre fantôme d’une personne qui a été amputée. J’ai été cette personne, je dois en devenir une autre maintenant.

Si j’apprends ce que c’est de gérer un patrimoine, et le courtier que m’a conseillé Jack est réellement sympathique et patient, je travaille aussi sur ce que m’a laissé Pim’s. Passé le fait d’admettre qu’une autre personne a orchestré votre vie, faisant de moi sa marionnette, de qui a participé, des implications, de l’argent gagné sur mon existence, je me suis résolue à me regarder.

Je devais le faire, comme si c’était la toute dernière étape afin de passer à autre chose. J’ai acheté un ordinateur portable dans ce but, modifié afin qu’il n’y ait aucune connexion possible à quoi que ce soit. Ce que j’y ai trouvé, c’est la réalité de ce que j’avais lu, c’est à dire que via les sites sur lesquels j’avais déposé mes annonces, moyennant un abonnement mensuel, il était possible d’accéder à un site qui se nomme « Les Vidéos Volées de sa vie de Putain. »

J’écris au présent, car le site est toujours actif, sauf que vis à vis de la présentation que j’en ai, il manque le bandeau « PRENDRE RENDEZ-VOUS » qui devait renvoyer à ma page. Sauf qu’avec ma disparition, le site s’est ouvert à la publication de ceux qui se filment en action avec une prostituée. Il y a des prénoms, même parfois l’adresse du morceau de trottoir où un numéro de téléphone.

Même si je me souviens de beaucoup, c’est impossible de chaque client, mais c’est pour moi accepter la réalité. Le site est fourni, avec de nombreuses pages, c’est en cliquant sur la dernière que je me trouve. Il y a des vidéos du boulevard, certainement avec des caméras discrètes. Plusieurs sont en vision nocturne, un client régulier dont je reconnais la chevalière.

D’autres plus nombreuses, se déroulent dans des chambres d’hôtel ou au domicile de certains clients. Je reconnais certains lieux, des voix, la plupart des visages sont floutés. Je reconnais la mise en scène d’Antoine. Il y a aussi les vidéos de Monsieur Fantasmes, une de Monsieur Godemichet, même celle tournait dans la chambre d’Éric-Alexis, ce qui suscite une certaine incompréhension.

Je ne les regarde pas en entier, à peine la première minute me suffit. Celles provenant de Belgique se trouvent sur un autre site, la dernière sur le Darknet, je n’ai cependant pas le courage de la regarder, pas même quelques secondes. C’est trop, je ne veux pas ouvrir cette vanne dans ma tête dont j’ai l’impression de ressentir chaque cicatrice.

Tout ce que je sais, c’est qu’il faut que ça cesse…

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