96 – MARILYN MANSON : Sweet Dreams (are made of this – alt. version)
Un matin, alors que je faisais mon marché, sans savoir encore pourquoi, je suis resté quelque instant à regarder une personne âgée lire son journal à la terrasse d’un café. C’est à ce moment que je me suis souvenue de l’interview que j’avais donné. Après un moment, j’ai fini par trouver le site de la publication. Même si mes propos sont romancés, elles en ont conservé le sens :
Témoignage d’une professionnelle dans les métiers du sexe
(1)
Le titre de cet entretien risque de provoquer quelques réactions, et, en effet, il est révélateur de la volonté qui est la nôtre : laisser la parole à une personne qui exerce la prostitution, de reprendre les termes qu’utilisent les femmes prostituées quand elles se définissent et quand elles expliquent leur travail, y compris lorsqu’elles disent le pratiquer par choix.
Nous voulons éviter le discours sur LA prostituée, montrer les différences de parcours, les différences de pratiques. Ces différences permettent d’éclairer avec plus de nuances la définition de la prostitution qui ne recouvre que celle de la rue.
D’un point de vue théorique, nous trouvons réducteurs aussi bien l’approche inspirée de l’individualisme méthodologique (toute personne est l’actrice de sa vie) qu’une vision où le déterminisme social prime (les contraintes sont telles que chaque personne n’est plus qu’un être sans aucune marge de manœuvre).
Nous considérons les théories abolitionnistes comme une dérive du déterminisme social, puisque de fait elles considèrent les femmes prostituées comme des femmes plus aliénées que les autres. Par-là, elles reproduisent la division entre les femmes – d’un côté les femmes honorables, de l’autre les non-honorables – dont le patriarcat fait un de ses principaux outils de domination. On peut prolonger cette réflexion en s’interrogeant sur le nom de « putain » qui nomme et déshonore à la fois la femme prostituée. Pour elle, les concepts de « prostitution » et de « prostituée » sont des instruments de contrôle social. Cela permet à la fois d’isoler les prostituées, mais de plus rend certaines libertés incompatibles avec l’honorabilité (autonomie sexuelle, mobilité géographique, initiative économique, prises de risques physiques).
La théorie qui se rapproche le plus de notre démarche, et qui, selon nous, permet de sortir de la division entre les femmes à laquelle le système patriarcal nous contraint, est l’approche, dans une réflexion plus globale, qui prend en considération l’ensemble des échanges économico-sexuels avec les hommes. Cela permet de faire disparaître la rupture entre les femmes non prostituées et les femmes prostituées, de situer les différentes expériences sur un continuum. Ainsi, l’ensemble des rapports sexuels contre rétribution (cadeaux, paix du ménage, promotion, argent) est analysé sous l’angle des rapports sociaux inégaux entre les sexes. Ainsi, si on analyse le mariage et la prostitution, ils seraient opposés, mais il semble bien au contraire exprimer l’appropriation des femmes. On met donc au centre de ce propos la domination masculine qui s’exerce sur l’ensemble des femmes, et montre qu’il est vain de croire en l’abolition de la prostitution dans une société où la classe des hommes peut en tout temps s’approprier la classe des femmes.
L’entretien s’est déroulé à trois. Le « tu » est de rigueur puisque nous nous connaissons. Valériane est seule face à nous : deux femmes universitaires. L’une étant dans le comité de l’association dans laquelle elle travaille actuellement. La situation est manifestement dissymétrique. Une grande nervosité se dégage de part et d’autre. Aucune des trois femmes n’est très à l’aise devant le microphone. L’image que Valériane a de nos attentes a très certainement influencé sa décision de nous parler et son discours. Elle a fait le nécessaire pour le rendre « acceptable ». Elle y a mis les formes. Elle connaît également nos positions féministes et la position abolitionniste, courant dominant dans le féminisme. Malgré cela, elle a accepté de présenter son point de vue. Elle nous a livré avec beaucoup de courage des aspects très intimes de son existence et les contraintes liées à l’exercice de la prostitution. Et nous la remercions.
Notre démarche dans ce contexte a été de transformer le moins possible son discours. Malgré ces précautions d’usage, nous avons beaucoup hésité à vous présenter ce témoignage pour plusieurs raisons :
Nous occupons donc des positions sociales dissymétriques, et Valériane, en livrant son parcours, s’expose aux regards des sociologues et des politologues qui ont les moyens de disséquer sa vie grâce à des instruments intellectuels bien aiguisés. On peut craindre qu’elle soit considérée comme un objet, un objet de recherche cette fois, et que son discours soit utilisé pour illustrer telle ou telle position dans les luttes d’influence entre les différentes positions théoriques au sein des études féministes. Dans ces conditions, le risque de voyeurisme est présent, et nous estimons significatif qu’elle ait choisi de parler sous son nom de travail et non sous son nom de baptême.
Nous sommes donc dans une position dominante (jamais très évidente à admettre) par rapport à une autre femme et une autre catégorie sociale. Cette position dominante nous empêche, peut-être, de voir et de prendre conscience du pouvoir que nous exerçons. Ce rapport de domination s’illustre particulièrement dans une vision victimisante et misérabiliste des travailleuses du sexe. Leur parole, notamment sur la question du choix, est difficilement entendue.
(1) Provient en grande partie de cet article : https://shs.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2002-2-page-94?lang=fr
Interview
(2)
Comment en es-tu venue à te prostituer ?
Je n’ai ni père ni père, enfin, je ne m’en souviens plus vraiment, ils sont morts alors que j’étais très jeune. Sans famille proche, j’ai connu les foyers, les familles d’accueil, les fugues, les squats puis la drogue, et plus on en prend, plus on en veut. Alors j’ai sucé pour un joint, baisé pour un sniff et tout le reste pour un shoot.
La prostitution était donc une suite logique dans une course à l’argent pour son prochain fix, même si, dans ma tête aujourd’hui, tout est très vague, j’étais dans les vaps la majeure partie du temps.
Sur une overdose, j’ai fini à l’hosto, en psychiatrie puis en désintox. Une association a fini de me retaper et m’a placée ici, loin du milieu toxique qui a été le mien pendant des années. Je suis contente que ce soit arrivé, je me suis finalement beaucoup impliquée.
Pourquoi revenir à la prostitution au lieu d’un travail plus conventionnel ?
A l’époque, même avec un fil à la patte (la drogue), je vivais avec une certaine sensation de liberté, aussi, à choisir entre une b… dans la bouche et les mains dans la graisse, une charlotte sur la tête dans un fast-food, quitte à perdre ma dignité dans les deux cas, j’ai choisi de mener une existence selon mon rythme, mes envies, mes besoins et des revenus plus attractifs.
Puis qui voudrait de moi, qui pourrait avoir confiance alors qu’il ne verra que mon passé d’épave. Aussi, je préfère être heureuse sur le trottoir, volontairement, avec des copines, que malheureuse autre part.
Cependant, faire la pute n'est pas un projet d'avenir, il faut seulement essayer de faire en sorte que ça vous apporte plus que ça vous prenne. Entre ça et une précarité dont je connais les dégâts, j'ai choisi ce que j’ai considéré le moindre mal.
L’argent ?
Il y a énormément de choses qu'on ignore quand on se lance là-dedans. Il n'y a pas un manuel. L'idée de la pute est souvent associée à celle de l'argent facile par l'ensemble de la société. Les hommes associent souvent l’idée que ce serait pour les femmes un job qui lierait l'utile à l'agréable. Ça me fait beaucoup rire, si c’était de l'argent facile, qui joint l'utile à l'agréable, toutes les femmes seraient putes !
On gagne certes sa vie, mais on a aussi beaucoup de charges, mais c’est un autre sujet.
A ce propos, les clients ?
Ils en veulent toujours plus, ce sont comme des enfants à qui tu donnes la main et qui veulent te prendre le bras. Ils essaieront le plus souvent d'en avoir davantage, et ça pour 80 % d’entre eux, au moins ! Ils le feront d'une façon plus ou moins subtile, d'une façon plus ou moins respectueuse, mais c’est ce qui fait qu'on se sent souillée, quand ils font ce à quoi on a dit non. Même si certains te respectent, tous tentent !
Qui sont-ils ?
On se fait souvent une idée de qui sont les clients de la pute, alors qu’ils sont en fait la société tout entière. C’est un panel énorme de celle-ci qui passe entre nos lèvres ou nos jambes. Ils ont tous les âges, toutes les nationalités, toutes les religions, viennent de tous les milieux sociaux. Ils ont tous un besoin similaire, celui de jouir.
Ce que j’en ai appris, c’est que pour les hommes, la sexualité n'est pas un luxe, un caprice, ou un désir, mais un besoin. Cependant, on ne rencontre pas des hommes, mais des clients pour qui on joue un rôle, de façon perpétuelle. On ne peut pas dire ce qu’on veut, on ne peut pas être qui on est, on dit ce qu’ils veulent entendre, on est ce qu’ils souhaitent.
Mais autant les hommes que les femmes ont des besoins !
Alors pourquoi la plupart des personnes qui se prostituent sont des femmes ? Il suffit de regarder les sites d’annonces ou d’escorte pour s’en rendre compte.
Pour en revenir aux clients, ils payent pour que la pute se déshumanise, qu’elle noircisse son âme, sourie et se taise. Est-ce qu’ils payent pour une prestation ou pour une personne, c’est ce qui fait toute la différence, celle entre respecter les limites fixées, tenter de les franchir ou passer outre, comme lorsque tu prends conscience, bien trop tard, que ton John a enlevé son préservatif.
Si une femme te demandait de lui décrire la prostitution ?
Il y a une façon simple de l'expliquer. Je l’inviterais, la prochaine fois qu'elle est dans un café ou un bar, à jeter un coup d'œil sur la clientèle masculine. Vieux, jeunes, gros, minces, grands, petits, beaux, laids ou repoussants, puis d’imaginer qu'elle soit obligée d'avoir des relations sexuelles avec eux, tous. De la même manière, est-ce que cela lui paraîtrait concevable de coucher avec quiconque franchit le pas la porte ?
Cela semble en effet très perturbant !
De la façon la plus le plus élémentaire, le fait que notre espace personnel soit violé par un étranger provoque une réaction de stress. Tout le monde le sait, tous ceux qui en font l'expérience y réagissent instinctivement. Aussi, comment se fait-il que tant de gens se trompent en croyant que le corps des femmes prostituées fonctionne différemment de celui des autres ? Pourquoi existerait-t-il des femmes qui se comporteraient de façon non-humaines, sans aucun sens des limites personnelles ni de réaction d’anxiété ou de dégoût ? La prostitution doit-elle être comprise comme un comportement étranger, une propension différente à ne pas penser ou ressentir ?
Pourtant la société tend à démocratiser la prostitution.
Il y a du vrai dans ce que tu dis.
Durant ma convalescence, j’ai lu énormément, et notamment sur la prostitution, je voulais comprendre. Seulement, avec le recul, même si comme je te l’ai dit, je n’ai pas de nombreuses années en référence, je trouve que tout sonne faux. Le vernis de ce qu’on voudrait faire passer pour « acceptable » termine toujours par se fissurer.
De là, que penser d’une jeune fille de dix-neuf ans qui se lance dans la prostitution après avoir regardé une série télévisée qui décrivait la prostitution comme glamour et émancipatrice. Il y a aussi cette femme d'une vingtaine d'années qui croyait, parce que des organisations bien financées lui disaient de le croire, que le « travail du sexe » était un emploi comme un autre. Ou encore une, dans la même tranche d’âge, disant, parce que le proxénétisme avait été décriminalisé dans son pays, que c’était acceptable dans la mesure où ce n’était plus légalement sanctionné.
En miroir, il suffit de regarder ce qui se passe en Allemagne, par exemple avec les bordels « forfaitaires » qui proposent l'équivalent d'un buffet à volonté. Les hommes payent une somme unique puis sont invités à utiliser le plus grand nombre de femmes possible. Le résultat, c’est le corps de cette allemande qui a été utilisée par entre 400 et 500 hommes au cours de son premier mois. Qui parle des répercussions psychologiques de cette sauvagerie censée s’appeler « travail », auront-elle jamais une fin pour elle ?
On m’a proposé d’aller y travailler, de faire notamment des remplacements, j’ai refusé. Je ne voulais pas qu’à y mettre un doigt, on me prenne tout le bras. Quand on mène cette vie, je crois qu’à chaque instant, il faut se regarder dans la glace afin de voir si on est toujours là, et envisager d’arrêter si on commence à disparaître, si l’actrice et la femme deviennent une même personne.
Pourtant de nombreuses auteures ou universitaires ont écrit positivement sur le sujet.
Il faut aussi ajouter les journalistes et des personnes de la mouvance sociales pour approuver et soutenir cette fiction. Le constat, c’est que ces femmes ne mettront jamais en pratique ce qu’elles prêchent. Elles ne sont généralement pas disposées à ce que leur propre corps soit utilisé pour prouver leur point de vue…
Ce qui m'a toujours particulièrement exaspéré chez les femmes socialement privilégiées qui popularisent ces opinions, c'est que, tout comme d’autres avant elles, elles sont si éloignées de l'expérience qu'elles ne peuvent pas s'identifier, même à un niveau théorique. Qui sont-elles pour donner leur avis sur celles qu’elles regardent de si haut ?
Il me semble que qu’une philosophe de renom a écrit que le travail du sexe serait mieux que beaucoup d’emplois subalternes occupés par des femmes, ou quelque chose comme ça. Je me demande si elle a réfléchi à ce que cela signifie réellement ? Dirait-elle à une femme de ménage qui nettoie les sols et récure les toilettes, qu’elle pourrait être mieux lotie avec la bouche et le vagin remplis de pénis inconnus. Elle serait certainement sanctionnée pour avoir tenue ce genre de propos tellement éloignée de la réalité.
Il y a bien sûr des femmes prostituées qui défendront ce point de vue, pourquoi ne le feraient-elles pas ? Qui d'entre nous ne défendrait pas la seule chose que nous avons ?
La question qui vient naturellement ensuite, la prostitution est-elle un travail ?
Ce pourrait être un métier si les barrières étaient respectées, ce pourrait être un projet d’avenir. Cependant, c’est impossible, car la justification du payement de la pute, c’est d’être le réceptacle de tous les fantasmes qui arrivent par dizaines dans ce qu’on reçoit chaque semaine par messagerie ou lors des rencontres.
Selon moi, la vérité est qu'il n'y avait aucun « travail ». Se prostituer, ce n'est ni du sexe ni du travail. Le sexe implique une nécessaire réciprocité, la prostitution en est dépourvue. L’argent vient combler cette brèche. Il est à la fois la preuve de ce qui contraint et ce qui est passé sous silence. L’exemple est simple, de quel droit porter plainte alors qu’on a été indemnisée pour ça ?
Travailler, c’est quoi ? Exercer librement et dignement une activité productive dans des conditions de sécurité acceptables contre rémunération. La prostitution viole tout ce que protège le droit du travail, par exemple les normes de sécurité sanitaire les plus élémentaires. On s’expose délibérément au sperme, à la sueur, à la salive, mais aussi au sang, à l'urine, assez fréquemment, voir aux selles. A ce niveau d’exposition, il faudrait une combinaison de protection contre les matières dangereuses, on est censée se contenter de préservatifs…
Si on parle de la fabrication de vêtement dans des ateliers clandestins, tout le monde va crier à la violation des droits de l'homme quant aux conditions de travail. Personne ne dit ça s’agissant de la prostitution, même si elle prive fondamentalement l’individu de sa dignité. En effet, le lieu de la violation est le corps lui-même.
Le soi-disant « commerce du sexe » est incongrue par rapport à n’importe quelle profession imaginable. Une femme qui a passé trente ans dans une entreprise par exemple, peut s’attendre à des augmentations de salaire, à une certaine sécurité et bénéficiera également d’une reconnaissance sociale pour son travail. La prostitution elle, fonctionne à l’inverse.
Certains définissent la prostitution comme un viol rémunéré ?
Est-ce qu’on a tout le langage nécessaire pour décrire la prostitution avec précision ?
Le plus souvent, on interprète le viol comme un rapport sexuel forcé, sans coopération, ni « consentement ». Ça n’a donc rien à voir, parce que dans la prostitution, il y a un élément supplémentaire, celui de l’échange lui-même. Lorsqu'une femme est violée, elle n'est pas coupable. Lorsqu’une femme a des relations sexuelles non-désirées dans le cadre de la prostitution, elle coopère à son propre viol, ce qui la hante et la fait également taire.
La vérité pour la femme prostituée, c’est qu’elle a non seulement été abusée sexuellement, mais trop de fois pour les compter. On cache la réalité de la prostitution, mais on la connaît tous, instinctivement. C'est pourquoi personne ne voudrait que sa sœur, sa fille ou sa mère fréquente un bordel.
Alors, est-ce qu’il y a différents niveaux de prostitution ou de prostituées ?
Si c’est comme parler de différences entre drogues dures et de drogues douces, ça n’en reste pas moins des drogues. Alors, se prostituer sur un trottoir ou dans un hôtel de luxe, c’est quand même de la prostitution. Cependant, celle qui ne fréquente que des hôtels étoilés dira qu’elle est une escorte, pas une pute. C’est ce que je disais, chacun garde son pré-carré, puis donner un autre nom à une profession, est-ce que ça la rend plus acceptable ? Pour moi qui fais les deux, je dirais une nouvelle fois que, au final, c’est la même chose.
On peut certainement faire énormément de différences, de distinction, mais y en-t-il une qui soit plus valide que les autres, je n’en sais rien. Je suis une pute et une escorte, je me prostitue, c’est tout. Pour ceux qui voudrez vraiment quelque chose, la toute première, serait peut-être ce qui a amené à la prostitution, un choix, la drogue, un proxénète, un partenaire dominant, le désespoir ou une situation désespérée ? Il y a certainement autant de variation que de fille.
Que dirais-tu à celle qui voudrait se lancer ?
De ne pas le faire, mais je ne suis pas certaine que ça serve à quoi que ce soit. C’est un peu comme l’automobiliste qui se dit que ça n’arrive qu’aux autres, c’est lorsque tout ce qui brille dans ses yeux se sera éteint qu’elle comprendra. La prostitution l’aura avalée toute crue, elle ne verra plus d’autre choix, elle sera seule parce que tout monde lui aura tourné le dos parce que ce qu’elle fait n’est pas respectable.
Alors, que va-t-elle faire ?
Est-ce qu’elle va avaler un verre pour se donner le courage d’aller avec le prochain client. Quand ça ne suffira plus, elle va fumer un joint, puis comme ce ne sera plus assez, elle va sniffer et enfin essayer tout qui l’emmènera autre part pour supporter ce qu’elle doit faire et refaire encore et encore. Elle sera tellement défoncée qu’elle acceptera n’importe pour continuer à voguer dans le monde où elle souhaite rester, jusqu’à ce qu’elle n’en revienne plus.
Il ne faut pas qu’elle croit que ça va se passer comme avec son petit ami ou dans un fantasme de « faire la pute » comme elle a pu en lire mille récits qui la convainquent que c’est fantastique. Quand tu fais le trottoir, tu prends les clients comme ils viennent, et ils sont loin d’avoir tous pris une douche le matin même.
Est-ce que tu veux vraiment que j’aille au bout, ça risque ne plus être très « acceptable ? »
Si c’est ce que tu veux dire, vas-y !
Même si tu as passé un coup de lingette, tu sais ce que tu mets dans ta bouche, sans préservatif pour 30 euros, puisque c’est le tarif. Parce que tu sais le faire, tu vas essayer que ça aille vite et tu vas tout avaler parce que c’est ce qu’il veut. Mais souvent, il va te tenir la tête et te baiser la bouche comme un sauvage. Il s’en fiche que tu n’arrives plus à respirer, que tu vois des étoiles, et ta seule pensée, c’est ce que tu dois faire, maîtriser tes hauts le cœur pour ne pas lui vomir dessus.
Quand un John te donne 40 euros pour te baiser, souvent il vient chercher ce qu’il n’a pas à la maison, alors il va te bourrer comme un sac à patates en te sortant tout son répertoire d’insultes. Ton seul nom pour lui, c’est « sale pute ». De la même façon quand on te donne 60 euros pour te prendre par derrière, tous ne sont pas là pour enfiler des perles une par une, petit à petit, mais pour enfoncer le clou d’un coup de marteau.
Si on reprend ce dont nous avons déjà parlé, une fois l’argent échangé, il pense qu’il peut faire ce qu’il veut, donc essayer aussi de franchir comme par exemple, t’enfiler l’œillet même s’il n’a pas payé pour ça ou que tu ne le fais pas. Quand tu te prostitues, dans le regard du client, tu n’es qu’une poupée gonflable, certes vivante, mais sans identité, sinon tu redeviendrais humaine, à peine un pseudo, une marque, comme si tu étais un produit.
On en vient donc bien au constat d’un rapport dominant-dominée…
C.Q.F.D
Ce serait tellement bien si le client pouvait se restreindre à ce qui a été convenu. Dans une relation sexuelle tarifée, il y a forcément et effectivement un dominant et un dominé, celui qui est payé n’est pas acteur de ce qui se passe, d’où sa difficulté, voire parfois son impuissance, à fixer des limites. A ce moment, on ferme les yeux, on pense à autre chose, et on attend que ça se passe.
Je ne raconte rien de glamour, je ne suis pas certaine que mes paroles dissuadent, que sont-elles en comparaison de toutes ces éminences grises ?
Je voudrais ajouter un mot sur le dépistage régulier des M.S.T, avec l’angoisse du résultat notamment quand un préservatif a craqué. Même si j’essaye de vérifier pendant, c’est aussi quelque chose qui se produit.
Est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?
J’en ai déjà dit beaucoup, trop peut-être.
Encore une fois, se prostituer, c’est se mettre en danger volontairement, autant mentalement et physiquement, il faut en être consciente, et l’assumer. Toutes les personnes que nous rencontrons sont potentiellement dangereuses, qu’elles portent un jean et un tee-shirt pourris ou un costume sur mesure.
Toutes celles qui te disent que c’est fantastique te mentent. Soit, elles ne savent pas de quoi elles parlent, soit elles mentent, voir se mentent à elles-mêmes. De toute façon, on pourrait en discuter pendant des heures sans en avoir fait le tour…
Une conclusion ?
Oh, le métier le plus ancien au monde est celui de sage-femme. La prostitution n’est pas une profession comme une autre, encore moins la plus ancienne.
(2) Librement inspiré de l’interview sur France Inter de Louise Brévins pour son livre « Pute mais pas soumise » éd. Grasset et de cet article : https://psyche.co/ideas/the-reality-of-prostitution-is-not-complex-it-is-simple
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