101 – ROBERT MILES : « Children »
J’ai contacté un architecte qui s’est récemment installé dans la région, les travaux avancent bien. Comme prévu, il y aura cinq logements tous de tailles différentes, avec des aménagements variés. Ce sera parfait pour de la location, pour des saisonniers dans la restauration, ou de vacances pour des familles. La piscine est elle terminée. L’autre bâtiment a été détruit. Une partie de la pierre de taille a été réutilisée, d’autres éléments comme des poutres, ont été cédées à une entreprise de recyclage de matériaux anciens.
J’ai également fait restaurer la maison du métayer qui dispose de son propre accès. L’intérieur, avec ses deux chambres, n’est pas immense, cependant l’endroit est vraiment beau. Comme pour les autres, j’ai tout concédé à la location auprès d’une agence immobilière locale, un peu empressée, en me proposant de la mettre plutôt à la vente. J’ai refusé, je ne veux pas de voisins, et moins encore de locataires à l’année.
Sinon, ma maison se transforme parfois un restaurant. J’ai été démarché le chef d’un des restaurants locaux qui ne travaille qu’en saison afin d’organiser des dîners gastronomiques en dehors. C’est un peu sa vitrine afin de développer son entreprise de chef à domicile. Au lieu d’un rémunération, je lui ai demandé de fournir la main d’œuvre pour un déjeuner familial, ce qu’il a accepté.
Je viens d’acheter une maison au États-Unis, pas très loin de l’hôpital qui m’a si longtemps accueilli, et qui va nous accueillir prochainement ma mère et moi. Mon père est aussi du voyage. Il y a certaines choses que l’on peut faire là-bas et pas en France. Il y a un élément dont je n’ai pas parlé, lorsqu’on m’a dépouillée de mon intérieur, des ovules ont pu être prélevées.
Il y a également une autre disposition qu’avait prise mon cher Gilbert, celui de faire un don de sperme auprès d’un établissement américain, dont je suis la bénéficiaire. Après bien des tracasseries, j’ai pu importer ma contribution. Mais il y a plus important, ma mère, aujourd’hui ménopausée, va me donner son utérus afin que je puisse porter nos enfants.
Elle n’a pas hésité une seconde à me dire oui après avoir regardé mon père dans les yeux. Cependant, je n’ai pas voulu qu’elle fasse cette démarche comme ça. De toute façon, il faudra des certificats médicaux à n’en plus finir afin que chacun soit conscient des enjeux. Mais tout s’est bien passé, même si elle a eu a posteriori, un petit coup de blues, rien de plus normal.
Ma mère s’est rétablie, d’autant que nous sommes rentrés en France dans la mesure où nous devons attendre six mois. Il a par contre fallu faire face au verdict du corps médical, si la greffe prend, ce qui semble être le cas, pour moi, ce sera un « one shot » compte tenu de ce qui s’est passé. Je ne pourrais être enceinte qu’une seule et unique fois, et ce sera extrêmement risqué.
Il y a eu un changement de comportement de ma mère, et nous en avons beaucoup parlé, de ce lien particulier qu’elle aura si je parviens à être enceinte. Nous avons fait la part des choses comme on dit, et tout va bien entre nous. Elle a retrouvé un équilibre et avec le mien, ça nous a permis de nous rapprocher, réellement comme une mère et une fille.
La greffe a pris, nous sommes de retour de l’autre côté de l’Atlantique. Afin de maximiser les chances de grossesse, il a été décidé de m’implanter plusieurs embryons en espérant qu’il y en ait un de viable. Si la greffe est opérationnelle, elle demeure cependant fragile, normalement un seul ovule fécondé est implanté dans cette situation.
Autant le dire, ça a très bien fonctionné, sauf que de grossesse à risque, nous sommes passés à dangereuse dans la mesure où je suis enceinte de triplés, dont des jumeaux. J’ai refusé qu’on m’enlève le troisième embryon, pour une raison toute bête, je suis confiante, je le sens, au plus profond de mon être. Puis même si ça peut paraître fantasque ou déplacé, je sais que leur père veille sur eux de là où il est.
On m’a imposé une discipline drastique, alors je m’y tiens, mon ventre grossit, je me demande où il va s’arrêter, voir même si je vais pouvoir passer les portes ? Mes seins eux aussi grossissent, pas à proportion de mon ventre heureusement, ils en suivent la progression. Sinon, j’ai à peine pris un peu de fesse, à croire qu’ils mangent déjà bien mes enfants, qu’ils pompent tout ce que je mange.
Avec mes roploplos énormes et mon ventre, j’ai l’air d’une grosse vache croisée avec une baleine. Les jumeaux sont des garçons, en coupant le prénom de leur père en deux, il se prénommeront Gilles et Bertrand, viendra ensuite le prénom de mon père, puis chacun aura le prénom d’un grand-père. J’ai demandé à ma mère de choisir le prénom de ma fille. Ce sera donc Zoé, suivi de son prénom, de celui des deux grands-mères, puis de Véronique, car quelque part, sans elle, rien ne se serait produit.
Je suis dans mon huitième mois, les médecins ont décidé de me garder à l’hôpital depuis la moitié de mon septième car mon état de santé les inquiète. Je cumule tout ce qu’une femme enceinte pourrait avoir comme problème, incontinence, donc problèmes de reins, de transit, de vue, de foie, et surtout de cœur. Parfois j’ai le sentiment de ressembler à la reine des monstres dans le film « Alien » avec tous les câbles qui partent de moi.
Pour faire un résumé, plus mon corps tient, meilleur sera le développement et la santé de mes enfants. J’avoue, j’aimerais parfois que ça se termine, je me sens au bout. Souvent je pense à Gilbert, injustement parfois, je le maudis pour mon état, mais j’en souris juste après, c’était notre décision. Je pense aussi à ce que je vais dire à mes enfants, à son propos. Même si ça ne me plaisait pas, il souhaitait rester anonyme pour nos enfants, tout préservant son souvenir pour ses aînés.
A l’âge qui était le sien, sachant par la suite pour sa maladie, je comprenais la démarche de laisser ce qu’il fallait dans un établissement. Je comprends aussi que d’avoir des enfants, d’autant plus post-mortem, avec une prostituée, ce n’est pas très reluisant. Même s’il y a aussi une volonté de nous protéger, en évitant des propos déplacés sur notre histoire et mon passé, je ne peux qu’avouer que je lui en ai quand même voulu, un peu.
Comme je n’ai rien d’autre à faire, j’ai fini par comprendre sa demande, à force d’en analyser les composantes. Même si je sais qu’il est là, à veiller sur nous, comme tant d’autres fois, j’aurais envie de le rejoindre, de le retrouver, de sentir réellement la chaleur de sa main dans la mienne, ou le son de sa voix à mon oreille, je me sens tellement épuisée. C’est sur cette pensée que je pars, comme glissant de mon corps, même cette alarme, ce son strident ne sait pas me retenir.
Tout ira bien, c’est la sensation qui est la mienne, même en regardant tant de personnes s’affairer atour de mon corps, je me laisse porter, mon esprit est vide. Il n’y a plus ni bien ni mal, ni joie ni peine, ni bonheur ni tristesse. J’ouvre les yeux, je suis statufiée, au seuil d’un endroit en dehors de ma compréhension. Quelqu’un approche, je sais que c’est Gilbert, je voudrais courir vers lui, mais je ne peux pas.
Ce sont ses bras qui m’étreignent, je ne peux en faire autant malgré l’ardent désir que j’éprouve. C’est là que je l’entends, dans tout mon être : « tu voudrais bouger, mais tu ne peux pas. Tu voudrais parler, mais tu ne peux pas. Ainsi sont les règles ici, cependant, je sais, tout. Ne t’en veux pour rien, du moment que c’est bon pour toi et que tu es prudente. Tu nous as fait de beaux enfants, maintenant, tu dois t’en occuper, retourner auprès d’eux, comme je reste auprès de toi. »
Je pourrais dire que de me voir partir, ses larmes sont comme des perles de glace, mais en fait, ce sont les miennes. Ce sont des yeux embués que j’ouvre dans la pénombre de la nuit, je voudrais qu’il soit là, l’avoir ramené avec moi, mais ce n’était qu’un rêve, ou pas… La chaleur dans ma main est très maternelle, ses mots sont rassurants, autant pour elle que pour moi.
Sans rentrer dans les détails, rupture de l’utérus, qui a été enlevé, hémorragie, césarienne, je suis passée de vie à trépas, encore une fois, la dernière j’espère. Le plus important, les enfants se portent bien, je les allaite, ce qui est un vrai plaisir, d’autant qu’ils ne rechignent pas et suivent les courbes de croissance. Une satisfaction pour mon père, celui d’être allé déclarer la naissance de ses trois petits-enfants au consulat de France.
Les semaines passent, j’allaite mes enfants, et j’en bave, non parce qu’ils sont difficiles, bien au contraire, ils font leurs nuits, mais parce qu’outre me remettre de mon accouchement, je dois gérer ma production laitière trop conséquente. Je sais, dit comme ça, ce n’est pas très joli, je trouve juste l’expression cocasse dans la mesure où, il y a quelques années, qui aurait parié sur mes deux œufs au plat, aussi, je donne mon lait.
Nous rentrerons bientôt en France, ce sera à la fois une conclusion, mais aussi un commencement…
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