Un autre entretien de famille

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Valentine arriva la première pour le rendez-vous familial. Elle tenta d’ouvrir la porte de la salle où se déroulaient les entretiens, mais cette dernière était fermée. Elle fit alors les cent pas dans le couloir, songeuse, en attendant son frère et les autres participants.

Soudain, elle entendit sa mère lui souffler,

— Bonjour Valentine.

Sa voix était douce, cela alerta Valentine, elle n’avait pas l’habitude d’associer sa mère à de la douceur. Tendue, elle lui répondit, sur un ton qu’elle voulut neutre,

— Bonjour maman.

Valentine regarda par-dessus l’épaule de sa mère et vit son frère discuter avec Annie et son père… À l’autre bout du couloir. Elle eut l’impression qu’ils mettaient une éternité à traverser ce couloir.

Sa mère l’interrogea, toujours sur le même ton.

— Tu as l’air tendue Valentine, c’est à cause de moi ?

Ce ton qu’elle ne lui connaissait pas lui hérissa les poils. D’une manière brusque, Valentine lui répondit,

— À ton avis ? Comment voudrais-tu que je me sente bien à tes côtés ? Tu ne m’inspires qu’horreur et frayeur.

Les thérapeutes qui étaient arrivés entre-temps invitèrent Valentine et sa mère à entrer dans le local.

Chacun s’installa, Grégory à côté de sa sœur, leurs parents et Annie face à eux. Les thérapeutes replacèrent le but de la réunion, indiquant qu’Agnès voulait expliquer sa version de la mort de sa mère.

Valentine glissa à son frère,

— Ça va, toi ?

— Oui, ne t’inquiète pas… Qu’allons-nous apprendre ce jour ?

— Oh, je m’attends à tout…

Agnès commença à expliquer que sa mère ne l’aimait pas, n’aimait pas son père et répéta qu’elle l’avait étouffée avec un coussin, dans son lit.

Annie soupira doucement puis intervint,

— Mais non, Agnès, c’est faux et tu le sais très bien…

Agnès rétorqua vivement,

— Tais-toi ! je sais ce que j’ai fait.

Annie garda un ton doux en s’adressant à sa sœur,

— Maman t’aimait, elle t’a toujours protégée.

— Elle n’avait pas à me protéger !

— Oui… Elle devait, et elle a bien fait, souviens-toi quand nous étions petites…

— Tout s’est bien passé, ne revient pas avec ça, j’étais très bien avec papa !

Annie soupira à nouveau devant l’obstination de sa sœur. Intriguée, Valentine demanda,

— Qu’est-ce qu’il s’est passé quand vous étiez petites ?

Annie la regarda puis regarda sa sœur qui détourna le regard et s’enferma dans le mutisme.

— En fait, votre grand-père, à Greg et toi, était mélancolique.

Agnès pouffa et glissa

— Pff n’importe quoi…

Annie s’éclairci la gorge puis continua,

— Lors de ses phases dépressives, il lui arrivait de nous mettre en danger. C’est ce qui est arrivé à votre mère lorsqu’elle avait dix ans ; notre père et elle, ont disparu dans la nature ; ils étaient censés faire une balade en forêt, mais ils ne sont pas revenus et le soir venu, notre mère a alerté la police pour partir à leur recherche.

Elle fit une pause, attendant une éventuelle réaction d’Agnès, puis continua,

— Agnès et papa furent retrouvés deux jours plus tard.

Agnès sortit de son mutisme pour crier, à l’adresse de sa sœur,

— Je n’étais pas en danger ! Arrête de mentir !

Annie regarda sa sœur en hochant négativement la tête,

— C’est faux Agnès, vous étiez tous les deux à demi-inconscients, affamés et déshydratés, les secours sont arrivés juste à temps pour vous sauver.

Sur le même ton, Agnès renchérit,

— Oui, c’est ça et après ils ont transformé papa en plante tellement ils le bourraient de médicaments !

— Ils le soignaient pour sa maladie Agnès, comme ils t’ont soignée pour que tu reprennes des forces.

— Papa a mis des mois à revenir, c’est de sa faute à elle ! J’ai vengé papa ! C’est elle qui l’a tué !

Valentine et Grégory écoutèrent et regardèrent leur mère et leur tante… Un peu ébahis. Grégory lui demanda discrètement,

— Ça va, tu suis ? Tu vois ce que c’est le mélanco truc ?

— Oui, une dépression très sévère, qui débouche souvent sur un suicide. Purée, je comprends mieux pourquoi je me suis spécialisée en psychiatrie !

Ils se recentrèrent sur les échanges et entendirent Annie dire à sa sœur,

— Agnès, souviens-toi, je t’en prie, papa est mort, maman n’y est pour rien.

Avec un peu d’appréhension, Valentine demanda,

— Il est mort de quoi ?

Sa mère la dévisagea puis hurla,

— Il a eu un accident de voiture !

Valentine regarda Annie, elle hochait négativement la tête, Valentine demanda, en s’adressant à Annie,

— Que s’est-il passé, réellement, Tante Annie ?

— Notre père s’est suicidé.

Agnès la coupa en criant,

— Non, c’est elle qui l’a tué !

Des larmes dans les yeux, Annie tenta de conserver un ton doux en interpellant sa sœur,

— C’est faux Agnès, souviens-toi, maman a trouvé sa lettre, elle a directement commencé les recherches, elle nous a contactées, toutes les deux, pour savoir si nous l’avions vu.

En s’adressant à toute l’assemblée, elle expliqua,

— Notre mère s’en voulait de ne pas avoir vu qu’il avait à nouveau replongé dans la dépression, elle a remué ciel et terre après l’avoir cherché dans toute la maison. Finalement, notre père a été retrouvé à quelques kilomètres de la maison, il avait foncé dans un arbre. Depuis, notre mère n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Abattue, Agnès marmonna

— C’est elle qui l’a poussé !

— C’est faux et tu le sais très bien Agnès.

Elles se turent, toutes les deux, puis Annie demanda à sa sœur,

— Agnès, qu’est-ce que maman t’a dit avant de mourir ?

Sur un ton plein de hargne, elle lui lança,

— Tu veux savoir hein ?! Ce qu’elle m’a dit juste avant que je la tue…

Annie soupira face à l’obstination de sa sœur,

— Tu ne l’as pas tuée, elle était déjà morte quand tu as posé le coussin sur sa tête.

Elle avait des larmes plein les yeux lorsqu’elle regarda sa sœur qui, à nouveau, détourna le regard.

Valentine demanda, d’une voix pleine de douceur,

— Tante Annie, que… Que s’est-il passé, tu dis qu’elle était déjà morte… Comment le sais-tu ?

Annie s’essuya les yeux, se redressa et prit une grande inspiration avant d’expliquer ce qu’il était arrivé à sa mère.

— En fait, depuis la mort de papa, maman n’allait pas bien, puis, un jour, elle s’est sentie mieux. Agnès et moi étions plus sereines, elle semblait avoir dépassé la mort de papa. Cependant, il n’en était rien, hélas, elle allait mieux, parce qu’elle avait pris la décision de le rejoindre. Elle a alors préparé son départ ; votre mère et moi étions déjà grandes, Grégory était déjà là… Notre mère a préparé la succession et tout ce genre de choses, puis, une fois tout planifié, elle a pris les médicaments de papa et c’est là que nous l’avons retrouvée, dans son lit.

D’une voix cassée, Agnès lança, faiblement,

— C’est faux…

— Non, c’est ce qui s’est passé, Agnès.

En s’adressant aux autres, elle précisa,

— Nous avions senti, toutes les deux, que quelque chose se passait, nous nous sommes retrouvées là-bas, Agnès est allée directement vers le lit, notre mère avait entrouvert les yeux, moi, j’ai vu les boîtes de médicaments vides sur la table de nuit et j’ai immédiatement appelé les urgences… En pleurant. Tu dois le comprendre, toi, Valentine, elle avait avalé deux boites d’un antidépresseur retard qui n’est plus en vente actuellement.

Valentine acquiesça,

— Oui, je vois, ça ne rate pas, au niveau cardiaque notamment…

Valentine regarda tristement sa tante, elle vit la souffrance qu’elle éprouvait encore à parler de ce à quoi elle avait assisté.

— Effectivement, notre mère savait très bien que, quoi que l’on fasse, il serait trop tard… Elle s’est donné la mort avec les médicaments de papa, qu’elle avait conservés en secret.

Elle souffla doucement, jeta un regard à sa sœur qui sembla se tasser tout doucement sur elle-même puis continua,

— Elle nous a laissé une lettre à chacune, elle nous y indiquait le pourquoi de sa démarche, elle y disait que depuis le départ de son rayon de soleil, la nuit était tombée sur sa vie et tout lui semblait froid et noir. Elle avait choisi de rejoindre son bien-aimé.

Annie regarda alors sa sœur et lui redemanda,

— Agnès, quels ont été les derniers mots de maman ?

Pleine de rage, Agnès lui lança,

— Elle a osé me dire qu’elle nous aimait, Annie ! Je n’ai pas pu faire autrement que de la tuer en l’étouffant !

Annie secoua la tête négativement,

— Elle était déjà morte quand tu as pris l’oreiller…

— Non, c’est moi qui l’ai tuée !

Agnès avait des larmes dans les yeux… Soudain, elle éclata en sanglots et dit,

— Elle nous a abandonnées Annie, elle m’a abandonnée ! J’avais besoin d’elle et elle a choisi de partir… Je ne pouvais pas la laisser partir… Je ne voulais pas qu’elle s’en aille… J’avais encore besoin d’elle, Annie.

Annie prit sa sœur dans ses bras et la consola, les thérapeutes décidèrent de clore l’entretien et d’en refixer un autre.

Valentine et Grégory laissèrent leur père et leur tante entourer leur mère. Ils étaient un peu chamboulés. A l’extérieur, installée sur un rebord, à côté de son frère, Valentine lui dit,

— Mince, Greg, tu imaginais, toi, que notre mère puisse avoir un cœur ?

— Ok, d’accord, c’était touchant, mais n’oublie pas, Val, elle a voulu te tuer !

— Je sais Greg, je n’oublie pas, mais… Ça me fait bizarre… En fait, je suis un peu choquée de m’apercevoir qu’elle est capable de ressentir des sentiments… Ça me fait vraiment bizarre.

— Oui, cela avait un côté touchant, mais il n’empêche que cela n’efface en rien ce qu’elle a fait.

— Je sais Greg, je sais… Mais toi, est-ce que ça va ?

Il fronça les sourcils, en hochant positivement la tête.

— Greg, je te connais… Comment tu vas, toi, depuis la perte du bébé ?

Il soupira et sentit monter des larmes dans ses yeux.

— Ben… Ce n’est pas évident Val… Tu sais, autant au début, j’étais un peu sceptique par rapport au fait d’avoir un enfant avec Fran, autant quand elle m’a annoncé qu’elle était enceinte et que j’ai vu les effets que cela lui faisait… Je me voyais déjà avec cet enfant dans les bras, je le voyais déjà Val, je l’attendais.

Valentine le serra dans ses bras, il poursuivit,

— Ça me fait mal au ventre de l’avoir perdu Val, j’espère que nous finirons par en avoir un avec Fran, vraiment.

Elle berça son frère et le réconforta.

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