Quoi que tu fasses, fais ce qui te rend heureuse.

Lorsque j’entre dans la bibliothèque aux côtés de ma sœur, je me sens plus légère. Ce sentiment m’avait manqué. Sur mes gardes, je regarde autour de moi. Nous sommes samedi et je n’ai vraiment pas envie de Le croiser ici, de cette manière. A vrai dire, j’ai surtout peur qu’il m’ignore s’il me voit. Maëlle est en train de conseiller un client mais me fait signe d’approcher en me voyant. Je reste alors plantée comme un poteau près de son bureau, ma sœur m’ayant abandonnée pour s’extasier devant les bandes dessinées. Une fois le grand-père parti, la libraire se tourne vers moi avec un grand sourire et me prend dans ses bras.

- Que tu m’as manquée ! Je me suis inquiétée de ne pas te voir tu sais. Que tu ne viennes pas une fois ici en deux semaines, c’est que tu vas vraiment mal.

- Je suis désolée, je ne voulais pas te causer de soucis. En plus je t’avais dit que je t’aiderai…

- Ne t’en fais pas. C’est ma caisse qui a le plus souffert ! Sans toi pour acheter un livre par jour… Mais bon, on sait tous ce que c’est qu’une peine d’amour.

Ma sœur, qui s’était approchée sans que je ne m’en rende compte, s’exclame :

- Une peine d’amour ! C’est quoi cette histoire ?

- Evan est un autre client régulier, ils sont tombés amoureux.

- Ma sœur, amoureuse ! Si il lui a fait du mal, il va m’entendre.

- Oh non, c’est Emilie qui lui a fermé la porte au nez. Littéralement en plus !

J’essaie en vain d’en placer une, mais je suis bouche bée qu’elle sache ça. Comment est-ce possible, elle est devin ?

- Mais pourquoi ? Il n'est pas beau, c’est ça ?

- Oh si, il est très mignon. Mais elle ne s’est pas encore rendu compte qu’elle aussi est amoureuse.

- Mais ce n’est pas vrai ! je m’exclame

Maëlle se tourne vers moi en fronçant les sourcils.

- Tu ne ressens pas un pincement au cœur quand tu le vois avec une autre fille ?

- Oui, mais…

- Quand il est dans les parages, est-ce que ton cœur se met à battre la chamade et as-tu des papillons dans le ventre ?

- C’est juste parce que je suis timide !

- Occupe-t-il la plupart de tes pensées ?

- J’ai peur qu’il m’en veuille.

- Et quand il t’a embrassée, as-tu voulu qu’il recommence ?

Cette fois je reste coite. C’est écrit sur mon front ou… Evan lui en aurait-il parlé ? Instinctivement, je regarde autour de moi à la recherche du beau brun. Alors que ma sœur piaille dans tous les sens que j’ai embrassé un mec, Maëlle m’apporte des réponses :

- Il ne vient plus. Il est passé il y a quinze jours pour me raconter l’histoire et me demander de m’assurer que tu ailles bien. Il s’inquiète et il s’en veut. Il dit qu’il n’aurait jamais dû faire ça, que c’est normal si tu n’es pas prête à entamer une vraie relation, qu’il avait déjà eu de la chance de t’avoir comme amie… Enfin bref. Il m’a aussi dit qu’il ne viendrait plus trop parce qu’il sait que c’est ton refuge et qu’il se doute que tu ne veux pas le revoir.

Tout s’entrechoque dans ma tête. Il s’inquiète pour moi ? C’est qu’il ne me déteste pas, non ? Une vraie relation ? Non mais c’est comme sortir avec quelqu’un, je sors faire des courses avec ma sœur moi ! Une relation amicale, c’est quand même une véritable relation. Sinon, je ne suis pas la seule à être asociale. Et puis il me connait trop bien ! C’est tellement gentil de sa part de me « laisser » la librairie. Sauf qu’en réalité, j’ai envie de le revoir. Je suis juste terrorisée à cette idée.

Ma sœur me sort de mes pensées en balançant sa main devant mes yeux :

- Lili ? Tu restes avec nous ?

- Oui, oui, pardon… Tu disais ?

- Pourquoi tu lui as demandé de partir ? De ce que vient de me dire Maëlle il paraît super gentil.

Oh oui, il est gentil, attentionné, à l’écoute… Il arrive même à débloquer mes mots dans ma gorge. Alors même s’il est parfois dans la lune ( dans tous les sens du terme ) et qu’il m’a raconté un jour s’attacher trop rapidement aux gens, il a le don d’embrouiller mes esprits dès qu’il est là. Je sais que Maëlle a raison. J’ai lu bien assez de livres romantiques pour pouvoir mettre un mot sur mes sentiments, à mon grand damne.

- Je crois que j’ai peur de m’engager…

- Mais tu peux lui faire confiance ?

Je souris faiblement. Si elle savait que c’était justement le sujet de notre dispute.

- Il est digne de confiance, mais je ne sais pas si je suis en capacité de lui accorder la mienne.

- Tu te souviens, quand on était adolescente ? Tu avais plein de petites phrases accrochées sur les murs de ta chambre qui irait super bien avec la situation. Notamment celle-là : ne crains pas d’échouer, crains de ne pas échouer.

- J'ai peur qu'il m'en veuille...

- Si je peux me permettre Emilie, ça n'est pas du tout le cas. Mais quoi que tu fasses, tant que ça te rend heureuse, je suis sûre que ça ira à tous le monde.

- Et puis si tu as peur de le recontacter, on peut le faire pour toi !

Les deux femmes échangent un regard complice et je comprends qu'il est temps que je refasse confiance à mes proches.