_12, Le soleil
Si ce qui est fait est fait, c’est que c’était fait pour être fait.
Il est dix neuf heures, la boutique est fermée mais Maëlle m’a laissée les clefs. Elle a appelé Evan pour lui demander son aide avec une livraison et il devrait arriver d’un instant à un autre. Ma sœur m’a fait la morale pour s’assurer que je ne m’enfuirai pas. En vérité, j’en ai assez de fuir, c’est seulement que j’ai peur qu’il soit trop tard et qu’il ne veuille plus de moi. Pour rassurer Lou, je lui ai expliqué que quoi qu’il arrive, Evan m’a montré que je pouvais aller mieux. Alors, je me battrai pour reprendre enfin le cours de ma vie.
On toque à la porte. Je prends une grande inspiration avant d’ouvrir. En me voyant, le jeune homme devant moi semble plus que surpris. Il ouvre la bouche à plusieurs reprises, comme un poisson rouge.
- Je suis désolé… C’est Maëlle qui ma demandé de l’aide pour du rangement… Je ne savais pas que tu serais là, finit-il par dire.
Je me mordille la lèvre avant de lui répondre.
- Je sais. A vrai dire, j’aimerais te parler. Tu entres ?
Evan m’accompagne silencieusement jusqu’au rayon astronomie, où la libraire a installé un petit canapé « pour ceux qui restent lire ». Il s’assoie tout au bout, comme s’il avait peur de m’approcher.
J’ai mis trop de temps pour le recontacter. C’est trop tard. Mais bon, tant que j’y suis, autant me lancer. Au pire, je ne le reverrai plus jamais.
Alors que je cherche mes mots pour lui demander pardon – car sachez que c’est bien plus difficile de parler que de penser ou qu’écrire, mon ex-ami prend la parole d’une voix rauque :
- Je suis désolé de t’avoir embrassée. Je n’aurais pas dû.
Je suis bouche bée. Je ne m’attendais pas à ça.
Il regrette ? Bien sûr que oui il regrette ! Comment pourrait-il amer une fille comme toi hein ? Tu t’es vue ? T’as l’air d’un cadavre tout droit sorti de sa tombe et tu es aussi sociale qu’un caillou au fond d’une chaussure.
Je me mets une paire de claques intérieurement. Il est vraiment temps que je pense à donner des congés à ces petites voix. Je ferme les yeux et pense à tous mes camarades à qui j’aurais aimé dire d’aller voir ailleurs, à cet homme que j’aimerais remercier de m’avoir sauvé de la noyade, à Sophie qui n’a pas su m’approcher et à lui, qui m’a prouvée que ça n’était pas pour rien si j’étais toujours vivante.
- Moi aussi je suis désolée. Désolée que tu sois désolé, désolée de t’avoir mis à la porte alors que tu m’as tant apportée, désolée de ne pas avoir voulu te faire confiance, désolée de t’avoir laissé sans nouvelles depuis deux semaines. Mais je ne suis pas désolée que tu m’aies embrassée. Ca a été un des meilleurs moments de ma vie. D’ailleurs, en y repensant, sans toi, je serai encore à croupir sur mon canapé. Je n’aurai peut-être pas fait certaines crises d’angoisse, je n’aurais peut-être pas pleuré. Mais je n’aurais pas autant ri non plus. Alors je suis désolée de plein de choses, mais surtout pas de t’avoir rencontré.
Je crois que je n’ai jamais parlé aussi longtemps depuis des années.
Des secondes passent, puis des minutes, et toujours aucune réponse. J’ai le regard fixé sur le sol, je ne veux pas voir dans ses yeux ce qu’il pense. J’ai peur que ça me fasse trop mal.
Pourquoi ne part-il pas s’il ne parle pas ? Il veux me voir pleurer ? Dans ce cas, il faudrait que je le prévienne que ça n’arrivera pas, je me doutais que rien ne se passerait.
Pourtant, je sens un trait de fraicheur barrer ma joue. Et un doigt suivre doucement ce chemin. « Ne pleure pas. » chuchote un souffle chaud au creux de mon oreille. « Ce n’est pas moi qui pleure mais mes yeux ». J’entends rire mon voisin de banc. Il fait glisser, lentement, son nez depuis mon lobe d’oreille. Il suit ma mâchoire, remonte sur ma pommette où il dépose un baiser. Mon cœur résonne dans ma tête.
- Je pensais que tu voulais que je sois désolé de t’avoir embrassée.
- Tu penses trop. Et puis pas avec le bon cerveau.
- Je t’ai fait pleurer ?
- Non, je suis très forte pour me démoraliser toute seule.
Nos lèvres murmurent à quelques centimètres les unes des autres. Je ferme les yeux pour mieux profiter de ce moment.
- Laisse-moi être ton trou noir, Em, ton soleil. Ma vie ne tourne déjà plus qu’autour de toi alors…
Je ne le laisse pas terminer et l’embrasse. Nos lèvres se cherchent, se trouvent, jouent ensemble comme deux meilleures amies trop longtemps séparées. Evan glisse sa main sur ma nuque pour intensifier notre baiser et je me perds entre ses bras. « Oui. » je lui dis en reprenant une inspiration.
Je ne sais pas ce que sera demain, mais à cet instant précis, il n’y a plus que lui et moi.
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