Les joyeux chercheurs de joyaux

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« Comment ça, tu sais pas où on doit aller maintenant ? s’étouffa Ilphas en passant une main sur son visage.

— J’ai quelques pistes, mais rien de très concret…

— C’est-à-dire ?

— Qu’il faut trouver le Chevalier Rubis et que celui-ci habite un peu plus au sud, dans un village à deux ou trois jours de cheval sur la route de la capitale.

— Donc tu sais où le trouver ?

— Vous savez combien il y a de villages qui répondent à ces critères ? s’impatienta brusquement Ateus en levant les mains au ciel. Non ? Ni un, ni deux ni trois ni quatre… Zéro. Aucun. Pour la simple et bonne raison que la capitale est au nord. Donc pas de route vers le sud et la capitale. Soit l’un, soit l’autre. Mais pas les deux en même temps.

— Mais… D’où tu tiens tes informations ?

— D’un parchemin.

— Qui date de quand ? s’enquit Elvire, à peu près aussi perdue que si on lui parlait du marché des tissus ou des pierres précieuses.

— Pas si longtemps… Quatre, peut-être cinq cents ans…

— Ah. Oui, quand-même. Et euh… ils avaient une carte d’aujourd’hui quand ils ont eu cette vision ? Parce qu’elle existait peut-être à l’époque ?

— J’ai vérifié sur les cartes de l’époque, le réseau routier n’a pas bougé, les villes se sont développées mais elles n’ont pas bougé non plus. Aussi étonnant que ça puisse paraître, la prophétie ouvre un chemin vers un village qui n’existe pas.

— D’accord… Du coup on fait quoi ?

— Ben on va enquêter ! Le Chevalier Rubis, c’est une grande héroïne non? Tout le monde doit parler d’elle là où elle vit ! Ça devrait être facile de la trouver en demandant aux gens, non ? »

Ils échangèrent un regard. Effectivement, c’était peut-être la manière la plus rapide de la retrouver, même si ce n’est pas la plus efficace. Enfin, on ne peut pas non plus demander à des gens de leur niveau mental de penser à tout non plus.

« Allez, partons à la recherche du Chevalier Rubis !

— On commence par où ? demanda Ilphas en se détournant d’Elvire, cherchant sans doute un peu de réconfort dans la présence de son nouveau compagnon.

— Le village le plus proche est un peu plus haut, on devrait pouvoir y être avant midi. »

Ils se mirent donc en route et, comme l’avait prédit le Prophète, arrivèrent avec le doux parfum de la viande aux portes d’un groupement de maisons entourées de champs. Deux silhouettes en armure semblaient les attendre de pied ferme, sans pourtant réagir lorsqu’ils franchirent le pas de la porte. Et puis, avec une dizaine de secondes de retard, Ilphas se tourna vers Elvire, qui ouvrit la bouche, faillit dire quelque chose et se ravisa.

Mais pour le nain, parler était une question de vie ou de mort.

« Euh, Ateus… ?

— Je vais poser quelques questions aux gardes et je reviens, allez voir si vous pouvez obtenir d’autres informations pendant ce temps-là.

— Non, Ateus, on a un problème, là.

— Quoi ?

— Ben… Comment dire…

— On est littéralement en face de chez mes parents, là, non ? finit par remarquer la demi-lézard en levant les yeux de ses pieds. »

Il y eut un silence. Le Prophète les regarda droit dans les yeux l’un après l’autre, prit une grande inspiration et soupira. Longuement.

« Vous ne pouviez pas me le dire avant ?

— J’ai pas reconnu le chemin…

— Et moi la première fois je cherchais des herbes, j’ai bien vu la terre mais le paysage…

— Vous savez quoi ? s’agaça Ateus, les sourcils froncés, les poings sur les hanches. On va profiter du fait que vous connaissez les bonnes adresses pour déjeuner et vérifier que vous n’êtes passé à côté d’aucune information essentielle et puis on ira à la prochaine ville, en espérant que cette fois-ci vous regarderez le monde autour de vous… Enfin bref, je savais dans quoi je mettais les pieds, il va falloir faire avec.

— Eh, si on s’est perdu c’est quand-même pas de notre faute ! C’est toi qui sais pas où on doit aller, je te rappelle !

— Je veux bien ne pas connaître le chemin ni la destination, mais au moins je sais à quoi ressemble la route qui mène chez moi. Et puis, on n’est pas perdus, d’abord !

— Quand vous aurez fini de vous disputer, grogna Elvire, on pourra peut-être aller manger, j’ai faim, moi. »

Tous deux se retournèrent, presque surpris. La demi-lézard haussa les sourcils, puis son ventre protesta. Ils soupirèrent de concert.

— Oui, ben, manger c’est la vie. Et de toute façon, je discute pas avec mon ventre. Il réclame, on va manger, point. La seule question, c’est où.

— Comment ça, où ?

— Hors de question de manger chez mes parents.

— Je suis absolument d’accord. Hors de question de rester plus longtemps ici.

— Vous n’allez pas fuir votre propre village, quand-même ? »

Il n’avait même pas eu le temps de finir de poser sa question qu’Ilphas et Elvire avaient déjà tourné les talons. Il fallait dire, pour leur défense, qu’un certain couple de personnes qu’ils n’avaient absolument pas envie de voir venait de faire irruption sur la grand-route et se dirigeaient droit vers eux.

Ce sont mes parents. Qu’est-ce qu’ils vont dire s’ils me voient là ? Est-ce qu’ils vont se fâcher ? Se moquer ? Essayer de me consoler, de me demander de revenir ? Est-ce qu’ils vont employer la force ? Est-ce que… Est-ce qu’ils vont tenter de nous séparer ? Je sais qu’ils n’apprécient pas particulièrement Ilphas, mais quand-même, de là à nous prendre en chasse…

Pas uniquement vous prendre en chasse, Elvire. Ils sont armés. Et vous êtes plutôt mal cachés. Enfin, heureusement qu’Ateus détourne leur attention sinon, qui sait ce qui vous serait arrivé…

Toi tu dois savoir, non ?

Oui je sais. Et non, tu ne veux pas savoir. Alors retourne dans ton tonneau et range-moi ta queue, tu as des écailles qui dépassent. Et rappelle à Ilphas qu’il a beau avoir le crâne vide, il y a des choses qui ne le sont pas et que ça risque de faire du bruit. Allez, planquez-vous, je vous tiens au courant. J’ai dit dans le tonneau, Elvire, si tu ne veux pas finir en potage ! Et Ateus a intérêt à être irréprochable si vous voulez vous en sortir.

Une foule de personnes arrivait effectivement vers le pauvre être dont l’apparence physique ne l’aidait malheureusement pas à passer inaperçu, et il fut vite encerclé par des villageois suspicieux bien qu’armés sommairement et dépourvus d’entraînement. Ce qui, à la réflexion, c’était pas forcément une mauvaise chose, considérant qu’Ateus lui-même, en sa qualité de Prophète, ne pouvait pas non plus être décrit comme un combattant hors-pair menaçant la paix puisqu’il n’était pas armé.

« Qu’est-ce qu’il nous veut, c’ui-là ?, bougonna un lézard aux écailles boueuses.

— Je ne suis que de passage, vraiment, je cherche simplement une auberge pour me restaurer, assura le pauvre être, les mains en l’air, un sourire crispé sur ses lèvres qu’il humidifiait en permanence du bout de la langue et les yeux se baladant chacun d’un côté différent pour essayer de deviner où pouvaient bien se cacher ses acolytes.

— C’est ça, oui, bien sûr. Qu’est-ce que tu es ? Tu es louche, tout seul, avec ta monture et ton armure. Elle est même pas à ta taille en plus.

— Je ne suis qu’un humain de passage, je vous le promets, je suis enregistré, je suis Prophète !

— Alors paniquez pas comme ça ! Qu’est-ce qu’vous faites hors d’vos bureaux, vous ? J’avais jamais vu un Prophète sur la route, à part pour aller boire un coup…

— Je… euh… Je… Je suis en mission. Une prophétie qui demande la présence d’un Prophète, euh, en permanence…

— Et où allez-vous ? l’interrompit Coline Ardog, en soulevant sa fourche d’un air un peu menaçant. Où est le reste de votre groupe ?

— Je vais...euh… Les rejoindre. Ils m’attendent, j’avais, euh… des affaires à régler, des affaires… Très importantes. Très très importantes.

— Ils vous attendent où ?

— Euh, pas très loin, à une demi-journée de marche, c’est juste un peu plus loin, pas très loin…

— Et vous voulez manger ici ?

— Voilà, c’est ça.

— Vous n’êtes pas accompagné ?

— Quoi ? Non, non ! Moi, accompagné ? Non, bien sûr que non...

— Vous n’avez croisé personne en chemin ? Pas de nain amateur de plantes ? Pas de guérisseur ? Pas de nécromancien ? Accompagné d’une demi-lézard, un peu plus grande que vous, pas très dégourdie ?

— Une demi-lézard ? Non, pas vue. Et puis j’imagine, c’est pas le genre de personne qu’on loupe, hein ?

— Ah non, celle-là, v’z’auriez pas pu la rater, moi j’vous l’dis… Encore heureux qu’vous l’ayez pas croisée, c’dommage, c’une bonne p’tite mais elle a d’mauvaises fréquentations… Un sale type, dans des affaires pas nettes… Il a disparu en brûlant tout c’qu’il laissait derrière lui, j’vous dis… Pas net le mec.

— Ah oui ? »

Il éclata d’un rire nerveux et passa une main aux doigts si longs que lorsqu’il s’ébouriffa les cheveux, on aurait dit qu’une araignée aux longues pattes s’était empêtrée dans sa toile. Si le groupe baissa les armes, il ne faisait aucun doute que les deux parents d’Elvire ne croyaient qu’à moitié à l’histoire d’Ateus et n’allaient sûrement pas le laisser partir comme ça. Ils firent mine de vérifier la position du soleil et estimèrent qu’il était l’heure pour eux aussi de prendre une pause. Ils l’invitèrent donc à manger avec eux dans la seule auberge du village et purent ainsi le garder à l’œil pendant près de trois heures, en ignorant les gargouillis peu discrets qui s’élevaient des tonneaux de vin entreposés sous leur propre fenêtre.

Il va sans dire que lorsque le nain s’aperçut du contenu du tonneau, il ne se fit pas prier. Son ventre n’arrêta pas pour autant de résonner comme un temple vide, mais en plus il se mit à chanter de la manière la plus fausse qu’il soit et Elvire fut obligée de changer de tonneau pour le bâillonner et éviter qu’ils finissent tous les deux…

Eh bien…

Puisqu’il faut dire ce qui est…

Enterrés.

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