Les Parents, le Prophète et… la vérité ?
Comment ça, enterrés ? Tous les deux ?
Toi sous les reproches et lui… Six pieds sous terre.
Mais pourquoi ?
Chuuuuuuut… Tais-toi et écoute un peu, sinon je vais rater des informations.
Tu n’es pas censé être omniscient ?
Chuuuuut.
Je soupire et étouffe encore un peu plus la voix d’Ilphas qui se débat toujours et qui, d’ailleurs, pèse son poids et me couperai presque la circulation du sang dans la queue.
À table, la conversation battait toujours son plein.
« Alors comme ça, vous cherchez un couple de voleurs ? demanda Ateus de son air le plus innocent en portant à sa bouche un morceau de viande rouge qu’il déchira d’un coup de dents pointues.
— Ce n’est pas vraiment un couple… Ni des voleurs d’ailleurs. Simplement, notre fille manque suffisamment de jugeote pour avoir remarqué qu’elle avait fait ami-ami avec un nécromancien recherché pour usage illicite de la magie depuis quelques dizaines d’années.
— Attendez, un nécromancien ? Pour usage illicite de la magie ? s’étonna innocemment Ateus en reposant son verre. Vous voulez dire qu’il en naît encore, de ces barbares ?
— Plus depuis des années, mais ceux qui résistent sont en fuite, soupira Ashvax le lézard en avalant à grands traits sa choppe de bière, qu’une serveuse lui remplit à nouveau dans l’instant. J’aimerais pas être à leur place, pour tout vous dire, mais ils sont un danger moral et magique constant. Vous vous rendez compte, ils ont le contrôle de la vie et de la mort, ils peuvent faire revenir des monstres surpuissants, ce sont des dangers publics ! Et ne me lancez pas sur leur manque d’empathie, comment apprécier quelqu’un qui se fiche que vous soyez vivant ou mort ? Ceux-là, ce ne sont pas des gens, ce sont des cibles à abattre. Quand je pense qu’on a vécu aussi longtemps à côté d’un tel monstre… »
Ateus fronça les sourcils et fit mine de s’intéresser au sujet.
« Vous m’avez dit qu’il ressemblait à quoi votre nécromancien ?
— Oh, c’est un nain, donc pas bien grand, pas bien intelligent non plus… Assez discret... Il se faisait passer pour un guérisseur…
— Diablement efficace, pour un guérisseur !
— Ah ça oui ! Et pourtant on l’a vu guérir du monde, mais on aurait jamais cru que c’était un nécromancien… Je veux dire, les fossiles du village, ils bougent toujours mais on pensait que c’était naturel !
— Vous voulez dire qu’il y a eu des cas dans le coin ?
— Difficile à dire. Des rumeurs, oui, surtout depuis hier, après impossible d’être sûr… Les gens du coin sont de vraies girouettes… Et crédules en plus !
— Mais il aurait été impliqué dans une grande quête, baragouina le lézard, qui en était déjà à sa douzième choppe, si bien qu’une serveuse stationnait à proximité de leur table pour remplir son verre. En tant que méchant… Il aurait voulu lever une armée de morts-vivants pour attaquer une ville ou quelque chose du genre… Mis en échec par des gamins… Une sale histoire, mais j’ai oublié le nom de la prophétie…
— Hmm… Les nécromanciens, ça court pas les rues ces derniers temps… La prophétie la plus récente, c’est celle du Sombre Ennemi de la Vie, c’est probablement celle-là, si le pauvre est encore en vie… Je comprends mieux pourquoi vous voulez sa mort. Mais celle de la lézarde… De ce que vous me dîtes, j’ai l’impression qu’elle n’a pas la moindre idée de qui est cette personne, si ?
— Impossible qu’il lui ait caché ça, déclara Coline en donnant la becquetée à son mari. On lui en a parlé, en plus. Elle est repassée hier chercher son cheval, alors j’en ai profité pour essayer de lui en parler. On lui a dit, je sais que c’est ton ami, mais c’est un nécromancien, il a ramené le voisin à la vie, Babette me l’a dit ce matin, même si elle n’en est plus certaine depuis… Mais cette petite naïve m’a dit que j’avais tort de m’inquiéter et que quand bien même il le serait, il resterait son ami. Comme si on pouvait avoir ce genre de gens comme amis. Cette petite n’a vraiment rien dans la cervelle. Elle veut croire que c’est une bonne personne, mais les nécromanciens sont dangereux. Et c’est notre faute si elle est partie avec lui, c’est nous qui le lui avons demandé, avant de découvrir tout ça… S’il lui arrive quoi que ce soit à cause de lui, ce sera notre faute et je ne pourrais pas me le pardonner.
— Vous savez, commença-t-il d’un ton plus discret et hésitant, de la part du Sombre Ennemi de la Vie... Tout est possible. C’est un nécromancien redoutable, ça oui, mais... Il est également très doué pour manipuler l’esprit des gens. Voilà. Il a des pouvoirs mentaux effrayants ! Alors que ce soit vous ou votre fille, vous n’êtes pas responsables…
— C’est qu’vous l’connaissez bien, l’bestiau ! V’z’êtes sûr de pas l’avoir croisé ? »
Ateus eut un petit rire gêné et se mit à s’agiter dans tous les sens tout en balbutiant avec un air simplet.
« Vous savez, c’est un cas d’école, tous les Prophètes savent que cet homme est un monstre et qu’il est véritablement dangereux. Mais il n’est pas censé réapparaître, rassurez-vous. Quoi qu’il ait décidé de faire, aucune prophétie n’a été émise contre lui. Si le Grand Seuta a décidé qu’il ne représentait plus un danger, nous devons avoir foi.
— C’est sûr que si le Dieu des Prophéties lui-même ne considère pas ce nain comme un ennemi... admit la femme en tamponnant les lèvres d’Ashvax. Enfin, j’espère qu’il ne se trompe pas, c’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec un Roi-Démon y a pas si longtemps, non ? »
Le silence était éloquent. Le Prophète n’ayant rien à répondre et un verre vide, il avala le reste de son assiette à grand bruit et la reposa brutalement, faisant sauter la vaisselle de ses compagnons. Les regards de travers qui se posèrent sur lui ne le firent pas spécialement réagir et il ne reprit la conversation que pour changer de sujet.
« Et El...euuuh, la demie-lézard, elle a une prophétie, non ? C’est peut-être pour ça qu’elle ne vous a rien dit, si elle savait qu’elle fréquentait un nécromancien ?
— C’est vous le Prophète, à vous de nous le dire, non ? »
Ateus se dit qu’il faisait soudain très chaud dans cette pièce. Il n’avait pas posé la question la plus intelligente de son existence, et il avait failli se vendre tout seul comme un grand. Peut-être méritait-il vraiment son équipe de bras cassés, finalement…
« C’est vrai, balbutia-t-il donc, en essayant de trouver une explication crédible tout en s’épongeant le front, mais je viens d’arriver en ville, je n’ai pas vraiment eu le temps de lire tous les dossiers, vous savez… C’est une grande ville, hein. Beaucoup de gens. Beaucoup de dossiers. Des piles très grandes. Très très grandes. Et j’ai dû partir très vite. Donc euh… Je ne suis pas trop au courant, vous comprenez… »
Les parents échangèrent un regard, et ils soupirèrent. C’est Ashvax qui reprit la conversation, le jugement un peu obstrué par l’alcool.
« Pas de prophétie pour Elvire, mon p’tit Prophète. Rien du tout.
— Vous devez faire erreur.
— Non non, rien du tout. Mon mari et moi, c’était celle des Soixante-dix-huit corbeaux, donc on s’attendait à quelque chose en lien, vous comprenez. C’est quand-même la petite-fille de deux clans qui se sont massacrés parce que ses parents sont tombés amoureux hors de leur espèce. Mais rien du tout. Même pas une petite citation, et pourtant les gens comme elle, ça ne court par les rues. À croire que votre Dieu l’a oubliée.
— Il n’a jamais oublié personne ! s’insurgea Ateus, écarlate.
— À part ma fille.
— Oui, bon. Que voulez-vous c’est l’exception. Mais ça va arriver, croyez-moi, si Seuta le Grand a fait ce choix, parce que c’est forcément un choix, vous comprenez, c’est qu’un destin encore plus grandiose l’attend, quelque chose de révolutionnaire, sans doute…
— Sans doute, oui, répliqua Coline, peu convaincue. De toute façon, rien ne sera plus grandiose que notre amour. Et puis, si ça se trouve, elle est juste le fruit de notre prophétie, et c’est déjà suffisamment grandiose comme ça. Bon, en tout cas, bonne route, monsieur…
— Ateus. Ateus Bobarcel. Prophète en mission.
— C’est ça, Ateus. Allez, on retourne patrouiller chéri. On a assez perdu de temps comme ça. »
Les deux villageois se levèrent, jetèrent quelques pièces sur le comptoir et récupérèrent leurs armes avant de reprendre leur ronde. Heureusement pour nous.
Pour nous ? Non mais tu te prends pour qui, toi ? T’étais pas en danger à ce que je sache !
Qui a dit qu’on avait besoin d’une réalité physique pour s’inquiéter ? Et puis t’en sais rien, alors sors-moi l’autre alcoolo de son tonneau et magnez-vous de partir d’ici avant qu’Ateus ne lâche le mot de trop. Il va bientôt avoir fini et il devrait se rendre compte rapidement que tes parents n’ont même pas payé un repas avec ce qu’ils ont laissé et qu’il n’a pas assez pour compléter, donc vous allez pouvoir repartir rapidement. Allez, on y va !
Je sors donc Ilphas du tonneau et, toujours pliée en deux pour ne pas être remarquée, je me dirige vers l’emplacement de l’ancienne maison de mon ami, l’endroit le plus sûr et le plus proche des limites du village.
Le plus sûr ? Tu espères que personne ne monte la garde, c’est ça ?
J’espère… ne croiser personne sur le chemin ?
… Je vais faire comme si je n’avais rien entendu.
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