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Les trois amis s’étaient enfin retrouvés au palais royal après de nombreux mois de détachement d’Armist et de Gregor, le premier semblant toujours prendre d’ailleurs un malin plaisir à chevaucher son saurien plutôt qu’un des chevaux géants des Guerriers de Jade quand il passait ses troupes en revue, comme un symbole de sa puissance, alors que le second traitait son rapace comme une véritable extension de lui-même et qu’Andreìs entretenait une relation quasi fraternelle avec Fury.
Ce jour-là, Armist semblait énervé et faisait les cent pas devant le regard impuissant de son ami d’enfance.
— Je ne comprends pas ce qui t’arrive, mon frère…
Armist soupira.
— Cesse donc de m’appeler comme ça…
Surpris, Andreìs répondit.
— Mais je t’ai toujours appelé comme ça. Avant même que nous ne soyons frères d’armes, nous étions frères de cœur…
Armist le coupa sèchement.
— Délires d’enfants rêveurs.
Gregor dévisagea son chef dont le visage affichait une stupeur profonde tandis que celui-ci répondait.
— Ça me fait beaucoup de mal, ce que tu me dis là… Dis-moi ce qui te rend si sombre, que je comprenne pourquoi tes mots sont si durs alors que tu n’en penses rien.
Tout à sa réflexion, Andreìs servit un verre de vin qu’il tendit à son ami. Armist observa le contenant quelques instants avant de le renverser d’un revers de la main, rependant le liquide rouge sur le tapis.
— C’est toi qui me mets dans cet état !
Gregor s’approcha de la dispute pour intervenir.
— Qu’a-t-il fait pour justifier de telles paroles ! Armist, Andreìs a tout fait pour nous garder auprès de lui ! Ton détachement n’est pas de son fait !
— Mais il est là, le problème ! Il nous a toujours gardés auprès de lui ! Et maintenant que nous sommes détachés, je découvre qu’il s’est accaparé toute la gloire ! Regarde comme nous avons été couverts de louanges pour nos services, ça ne s’était jamais produit avant ! Il n’y en avait que pour le Capitaine Andreìs Dimirov, le seul et unique Rark le Rouge ! Le Vainqueur ! Celui qui transforme les défaites en victoires !
Andreìs se mit à crier à son tour.
— Ce jour-là n’était pas une victoire, c’était une boucherie ! Et je ne suis jamais monté au front pour gagner, mais pour vous venger ! Je vous croyais morts !
Quelques serviteurs vinrent essayer de comprendre la situation avant de détaler comme des lasters alors qu’Andreìs regardait son ami avec des yeux embués de larmes et qu’Armist le dévisageait avec dédain.
— Toi et ton ami royal, vous faites tout votre possible pour nous garder dans votre ombre, et je ne suis pas le seul à le penser. Mais les choses changent. Avec la fin de l’invasion Arkol, les Guerriers de Jade interviennent de plus en plus dans les Mégacités, au contact des gens, et ils nous aiment, ils nous vénèrent. La famille royale court à sa perte, et toi avec eux.
Gregor porta la main à son épée.
— Sont-ce des menaces ?
Armist vint se coller contre lui.
— Si tel était le cas, tu ne pourrais jamais m’arrêter seul !
Andreìs les sépara, les repoussant tous deux de plusieurs mètres.
— Il suffit ! Nos retrouvailles sont trop peu fréquentes pour être gâchées en vaines querelles d’ego !
Se tournant vers son ami d’enfance, il reprit sur le ton de la supplique.
— Armist, je t’en conjure, calme-toi…
Un fugace voile de tristesse passa sur le visage du guerrier qui baissa légèrement la tête avant de se reprendre et de répondre.
— Oh, il n’y aura plus de vaines querelles… Parce qu’il n’y aura plus de retrouvailles.
Armist lança un document au sol.
— J’ai demandé à être affecté au corps des Guerriers de Jade, et ma demande a été acceptée. Ils sont fiers de m’avoir dans leurs rangs et m’encouragent à aller de l’avant. Ils pensent déjà que je pourrais être le prochain Premier Grand Maître de Jade, et que même le HCM me suivrait si je voulais me proposer à sa tête.
Andreìs, qui ramassait le document, redressa subitement la tête, profondément choqué par la révélation qu’Armist venait de lui faire.
— Quoi ?
— Tu as bien entendu. Donc, dès demain, je servirais officiellement en tant que Deuxième Grand Maître des Guerriers de Jade.
Se retournant, Armist quitta la pièce d’une démarche assurée, laissant Gregor hébété et Andreìs encore à genoux et l’ordre de mutation de son ami en main, profondément choqué.
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