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– Pourquoi tu aurais des ennuis ? Mmm, laisse-moi réfléchir…

Tu sens que tu vas te lâcher. Tu sens même que tu vas bien te lâcher.

Eh bien vas-y, profites-en.

– Peut-être parce que si tu n’avais pas d’ennuis, tu ne passerais pas nous voir à dix heures du matin un jour de semaine ? À klaxonner comme un péquenot sur le trottoir ? Un malotru incapable de sonner à une porte ou mieux de passer un coup de fil pour annoncer sa visite après trois ans d’absence ? Juste pour prendre des nouvelles de son vieux père malade ? Ha ! Ha ! Ha ! Peut-être aussi parce que tu as TOUJOURS eu des ennuis ? Peut-être tout simplement parce que tu ES un ennui ?

Eh ben… bravo ! Tu as pourtant lu « Se libérer de la colère, de la jalousie et de la peur » ! Tu reprends ton souffle, prête à continuer. Un bruit violent à l’étage t’interrompt. Manquait plus que ça. Sans un mot supplémentaire, tu bondis dans les escaliers. Zohal est étendue dans le couloir, totalement inconsciente, toute blanche, les yeux révulsés. Tu la tournes sur le côté en position de sécurité, comme appris à ta formation de secouriste. Tu ouvres la fenêtre vers le jardin et hurles :

– Naziiiiiiiir !

Elle a des convulsions et râle, la bouche entrouverte. Tu as l’impression qu’elle agonise. Ou est-ce une crise d’épilepsie ? Peut-être. Tu n’en sais trop rien.

– C’est quoi ce bordel ?

– Ta gueule, Maxime ! Appelle une ambulance.

Le gamin arrache le téléphone des mains de ton frère :

– Non, pas ambulance, NON. C’est normal.

– NORMAL ?

Tu hurles à nouveau.

Ton frère te soutient :

– Bon, en effet, fiston, euh, ce n’est pas… normal.

Il descend et forme le 112 à partir de la ligne fixe. Le gamin se met à sangloter. Sa mère ouvre les yeux. Elle vomit. Tu cours chercher une bassine, mais trop tard.

Ton frère remonte.

– L’ambulance est en route.

La maman se met à crier en pachto et le gamin revient aussitôt avec son voile, il l’aide à se couvrir les cheveux. Mais c’est bientôt fini ce cirque ? Tu envoies Maxime remplir un verre d’eau. Zohal semble récupérer, elle reste allongée sur le plancher, mais ses yeux sont ouverts, sa respiration semble redevenue presque normale. Tu demandes à ton frère de redescendre et de guetter les secours qui arrivent en moins de trente minutes. Une réelle prouesse. Les voisins sont probablement réunis sur le pas de leur porte à imaginer que ton père est à la mort. Deux ambulanciers, un homme et une femme équipée d’un gros sac à dos, montent l’escalier au trot. Tu expliques :

– Mon amie a fait un malaise.

Tu décris son état, sa pâleur, ses spasmes.

– Combien de temps est-elle restée inconsciente ?

– Quelques minutes. Je ne sais pas, cela m’a semblé long.

L’ambulancière s’accroupit près de Zohal.

– Comment vous sentez-vous, Madame ?

Nazir traduit. La mère gémit sans répondre, se remet à trembler. Après avoir écouté son cœur, pris sa tension, mesuré le taux d’oxygène dans son sang, l’ambulancière annonce :

– Bien, les paramètres sont bons. Certainement une syncope vagale. Madame avait bu ?

Tu lâches un ricanement excédé.

– Non, certainement pas.

– Les syncopes vagales sont impressionnantes, mais sans gravité.

– Vous êtes sûre ?

L’urgentiste acquiesce.

– Le stress est un élément déclencheur fréquent. On peut évidemment l’embarquer si ça vous rassure, mais selon moi, ce n’est pas nécessaire. Il ne faut pas qu’elle se relève trop brusquement. Et si ça recommence, allongez-la et surélevez ses jambes. Cela aidera l’irrigation du cerveau. Le mieux est qu’elle consulte son généraliste dans les prochains jours. Il lui prescrira éventuellement un électroencéphalogramme pour écarter tout possibilité d’épilepsie.

Tu les remercies, ils acceptent de noter ton nom sur la feuille d’intervention sans poser de questions. Tu signes alors la décharge pour confirmer que tu as refusé le transport en ambulance.

Tu remontes près de Nazir qui a déjà nettoyé le vomi. Il se ronge les ongles, pauvre gosse.

– Ne t’inquiète pas, les ambulanciers n’ont même pas noté votre nom.

– Merci, Madame.

Tu remarques qu’il essuie une larme. Tu penses que c’est mieux de les laisser.

Ton frère s’est rassis près de ton père. Il a sorti la bouteille de péket et deux verres à gouttes.

– Tu sais que Papa ne peut pas boire d’alcool, Maxime.

– Oh, c’est bon ! Arrête ton char. Il aime ça.

C’est vrai. Et toi aussi, d’ailleurs. Tu attrapes un troisième verre et te sers généreusement. Il te sourit, enfin :

– Alors Françoise, c’est qui ces deux bachi-bouzouks ?

– Maxime, je ne te répondrai pas si tu ne modifies pas les termes de ta question.

– Hein ?!

– …

– M’enfin, qui sont ces… gens ?

– C’est une maman et son fils qui passent quelques jours ici. Ce sont des réfugiés. Ils sont afghans.

– Mais pourquoi ?

– Ce sont mes amis. Puis ce n’est pas ton problème.

– Pas mon problème ? Des Afghans ?! Tu ramènes des terroristes chez mon père et ce n’est pas mon problème ?

– T’es vraiment trop con.

Il ne te répond plus et se ressert à ras bord. Tu penses à Vasile.

Il tente encore :

– Et Ben Laden alors ?

– N’importe quoi. Et il n’était même pas afghan !

– Ben, c’est pas une raison pour faire entrer n’importe qui ici.

– Maxime, c’est ma maison, c’est ma vie.

– Oui, mais c’est mon père.

– Et ?

– Je ne comprends pas pourquoi tu t’acharnes à le garder prisonnier ici.

Cette fois-ci, c’est toi qui te ressers. Et tu en reverses à ton père tant que tu y es.

– Bon, Maxime, qu’est-ce que tu veux à la fin ?

Et hop, on y est, il éclate en sanglots. Tu as l’habitude de ça aussi. Un scénario tellement récurrent. D’abord l’arrogance et les vantardises, puis l’agressivité et les reproches et à la fin le désespoir et les sanglots. Le problème : cela fonctionne. Toujours. Tu te lèves et le prends dans tes bras. C’est ton petit frère et il pleure. Pauvre Maxou.

Tu aperçois Nazir se glisser derrière vous pour rejoindre le jardin. Tu imagines que Zohal est retournée se coucher. Cette femme ne te coûte pas grand-chose en nourriture.

Ton frère peut déverser son histoire.

Il est à la rue. Voilà.

Il a perdu son boulot il y a plus de dix mois déjà. Il a aussi perdu ses droits au chômage suite à tu ne comprends pas quelle connerie. Déborah est propriétaire de l’appartement où ils vivaient. Quand elle l’a jeté dehors, il a été hébergé par l’un ou l’autre pote. Mais là, c’est bon, il n’en peut plus de s’incruster. Ou ses potes n’en peuvent plus de lui.

– Je suis arrivé à Baulà hier soir. Tard. J’ai pas osé venir chez toi. Me suis arrêté sur un chemin dans les bois d’Hormelange. J’ai dormi dans ma voiture. Il a fait froid.

Il renifle.

– C’est une voiture chère, non ?

– Mon cul. Elle a plus de cent-soixante-mille kilomètres. De toute manière, elle est vendue. Je dois la laisser à l’acheteur demain après-midi. J’ai rendez-vous à quinze heures sur le parking situé à la sortie de « ton » autoroute.

Décidément, Vasile revient souvent dans tes pensées aujourd’hui.

Et comme le hasard n’existe pas… Et comme les synchronicités surviennent pour t’éveiller au Sens du Destin. Et comme…

Bref, c’est exactement au moment où tu penses encore une fois à Vasile qu’un nouveau coup de klaxon retentit côté rue. Un bruit vaguement comparable à une corne de brume.

Un klaxon de camion ! Tu cours à la porte. Garé devant la voiture de ton frère (et devant les quatre maisons voisines), un énorme semi-remorque chargé de troncs de sapins.

Non ?

Si ! Vasile est au volant, un énorme sourire sur son visage lifté.

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