Chapitre n°11 : Madame Madeleine
« Va falloir m’expliquer ! »
Je me battais avec moi-même alors qu’Eliott roulait à toute allure et que le lycée s’éloignait derrière moi.
« Qu’est-ce que tu faisais dans le lycée, alors qu’il fait nuit ? Tu aurais pu te faire arrêter ou je ne sais quoi ! s’écria Eliott.
-Je cherchais ce que tu refusais de me donner ! Tu n’es pas mon père, je ne te dois pas d’explication si je ne le veux pas. »
Il se frustre, je le vois à la manière dont il crispe ses poings sur le volant. Je sens que je suis sur la bonne route et qu’il a très bien compris ce que je cherchais dans les fins fonds des archives du lycée.
« Diane, je ne sais pas ce que je ferais si je te perdais. Je ne veux plus que tu cherches à savoir quoi que ce soit sur lui.
-Comment tu as su ? réplique-je
-De ?
-Comment tu as su que j’étais au lycée ? Comment tu as su ?
-Je t’ai vu entrer dans les toilettes et ne jamais en sortir. Ça s’est confirmé quand j’ai vu ton bus partir sans toi. A quel point tu es prête à te mettre en danger…
Il disait cette dernière phrase pour lui-même.
-C’est là le souci. Je ne sais pas quel danger je risque, je ne sais pas pourquoi je dois craindre ton demi-frère. Je ne sais pas non plus pourquoi tu refuses de me parler et je ne sais même pas ce qu’on est puisque tu ne peux pas me faire confiance.
-Tu n’as pas le droit de dire ça. Je te fais confiance Diane, ce n’est pas ça le problème !
-Si ! Si c’est un problème ! Tu ne me protèges pas en faisant ça ! Je suis plus en sécurité en pouvant prévenir ce qui va arriver, qu’à rester là à compter sur toi pour seulement marcher dans la rue ! Eliott ! Je suis une grande fille, je pense que je peux gérer ! Explique-moi !
-Je vais te raccompagner chez toi.
Une rage bouillonne dans mon ventre, quelque chose cloche et ça commence à me prendre la tête.
-Eliott ! Stop maintenant ! »
Il ne répondit pas. Nous avons terminé le chemin dans un silence de mort avant d’arriver devant chez moi et qu’il s’en aille, me laissant encore une fois sans réponse.
***
Le soleil se lève et mon réveil me braille dans les oreilles. Je ne traîne pas ce matin, j’ai une course à faire. J’entends ma mère m’alerter que j’allais louper le bus pour le lycée alors que j’ai une heure d’avance sur ledit bus. Une chemise blanche et un jean troué, accompagnés de mes bottines noires pour aujourd’hui. Avec un petit sac bandoulière, où s’entrechoquent un calpin, un stylo et une bouteille d’eau.
Je dis au revoir à ma mère qui m’a regardé un peu bizarrement en voyant seulement un petit sac pour une journée de cours. Mais je ne vais pas en cours aujourd’hui. J’attends sur le trottoir, une demi-heure en avance sur le bus. Sauf que le bus que j’attends vient de s’arrêter devant moi.
« Bonjour, vous allez bien à Eire ? »
Le chauffeur de bus hoche la tête et me prend un euro soixante-quinze pour le trajet. Celui-ci fut long voire gênant mais il eut pour issu de me conduire à bon port. Je descendis en même temps qu’une mère de famille et trois enfants dont deux jeunes qui semblaient être jumeaux et ainsi qu’un homme grand qui fila avant même que je ne vis son visage. L’attente avait été longue mais j’allais enfin avoir mes réponses, c’est comme ça, en marchant et cherchant l’ancienne adresse des Levigne que j’arrive devant la vieille maison. Sa façade de briques rouges accompagnée d’un tout petit perron de vieux bois rustiques. Je ne m’imaginais pas la maison d’Arthur comme ça mais l’habit ne fait pas le moine. Je marche sur le perron grinçant jusqu’à la cloche servant de sonnette et la fais tinter. Une vieille dame m’apparaît. Un chignon élaboré ornait le dessus de sa tête et mettait en valeur une chevelure blanche de neige. Sa peau ridée semblait d’une douceur extrême et ses yeux d’un marron sombre se posa sur moi comme une grand-mère protectrice.
« Je peux t’aider jeune fille ? dit-elle d’une voix fatiguée et pourtant si douce.
-Excusez-moi de vous déranger, oui. Je cherchais quelqu’un qui pourrait me renseigner. Etes-vous une Levigne, Madame ?
-Une Levigne ! Ah ça non ! C’est mon foutu gendre qui porte se nom, ajouta-t-elle pour elle-même, bien que ce soit aussi celui de ma fille maintenant.
-Votre fille ? Est-ce qu’elle s’appelle Laura ?
-Oui, mon chou. Mais viens entre, je vais servir le thé. Tu me feras de la compagnie !
J’entre donc après que la vieille dame s’est retournée et empressée vers la cuisine. Une odeur de toasts fraîchement grillés flottait dans l’air et un doux parfum de fleur laissait comme un fumet par la dame emplissait mes narines comme un bouquet. Je ferme la porte derrière moi et ne sachant que faire, je décide de regarder les photos encadrés sur une petite table de l’entrée étroite. Les cadres dorés contrastaient avec le rouge des papiers peints des murs ainsi qu’avec le tapis d’un noir profond de devant la porte. Je sursaute alors quand, lorsqu’en me retournant, je vois la grand-mère à quelques centimètres de moi, admirant la même photo que moi qui semblait avoir déjà bien vécu.
-C’était mon mari. Il est beau dans son uniforme vous ne trouvez pas ? Il est mort durant la guerre d’Algérie. Cette photo fut prise une semaine avant son départ.
Ses yeux commencent à rougir et je vois une larme se former dans le creux de son œil.
-Je suis désolée… Je ne voulais pas…
-Oh non jeune fille. Si cette photo est là c’est pour être regardée ! Ne t’en veux pas. Installe-toi dans le salon, j’arrive avec le thé.
Je me dirige donc vers le salon qu’elle me montre de la main avant de disparaître à nouveau. La petite pièce chaleureuse, toujours aux murs rouges, dispose d’un canapé de taille moyenne à motif à fleur ainsi qu’un petit fauteuil du même motif. La table basse en bois semble être une pièce antique mais fort raccord avec la salle de séjour qui dispose d’une télé écran plat, seul objet technologique avancé dans la pièce. Je m’assois donc dans le canapé, ne sachant si elle avait une préférence pour le fauteuil qui, je le sais pour avoir vu mon père avec celui de chez-nous, est sujet à bien des querelles si sa place est usurpée.
-Allons très chère, dit la vieille dame en déposant un plateau de deux tasses et une théière, si nous devons discuter, tu devrais me dire ton nom ! Appelle moi Madeleine.
-Je m’appelle Diane, Madame Madeleine.
-Enchantée, tu n’as pas besoin de temps de formalité, me réprime-t-elle.
-Excusez-moi Mada… leine, je souris gênée tandis qu’elle fut amusée.
-Oh et puis ! Appelle-moi comme tu veux, elle rit.
Je vais enfin pouvoir commencer mon enquête.
-Madame Madeleine, vous êtes la mère de Laura Levigne donc.
-Oui très chère. Que cherches-tu exactement ?
-Je connais son fils, donc votre petit-fils, Arthur. C’est un ami à moi.
Elle pousse un cri choquée qui me déstabilise quelque peu.
-Tout va bien ? Madame Madeleine ?
-Ami avec ce voyou ? Le même que son père ! elle prend une mine renfrognée qui suggère un événement fâcheux. Creusons.
-Pourquoi dire que c’est un voyou ? J’aimerais aussi savoir pourquoi Laura, votre fille, ne vit plus avec Arthur et son père. Vous pouvez me le dire ?
-Diane. Laura est partie parce qu’elle avait peur de ce que pouvait faire Robert. Plusieurs fois, il levait la main sur ma fille et sur le petit Arthur lorsqu’il n’était pas plus vieux qu’un oisillon. Je pense que c’est là que tout a dérapé. Oh oui, tout a dérapé. Et je t’assure qu’en l’apprenant j’étais tout à fait choquée ! Oh Henri, si tu avais vu ta fille lorsqu’elle est rentrée ! Mon mari se retourne encore dans sa tombe. Je suis tout à fait heureuse qu’elle se soit enfuie, c’est juste dommage qu’elle n’ait pas pris le petit Arthur avec elle. Oh mon Dieu, quel scandale ça a fait quand elle l’a déposé chez moi !
-Vous voulez dire que vous avez élevé Arthur ?
-Et comment ! Je l’ai eu lorsqu’il avait une dizaine d’année. Je l’ai récupéré avec des bleus et un poignet cassé ! Il était tout à fait charmant lorsqu’il était petit, puis il a passé trop de temps à se faire battre par son père.
Elle ralentit soudain son débit de parole qui était jusqu’ici un flux torrentiel. Elle parle désormais avec gravité et tristesse :
-Je pense que quelque chose, s’est brisé en lui. Quelque chose qui le faisait tenir en place. Oh Diane, je ne pouvais pas le garder. Ce petit garçon n’était pas mon petit-fils. Et qu’aurais-je pu dire lorsque son père est venu le chercher à ses quinze ans ? Je n’avais fait aucune démarche pour être sa tutrice légale et Robert avait fait une cure de désintoxe contre son alcoolisme. Il avait vraiment repris sa vie en main. Je ne pouvais pas le garder, il… Je ne pouvais pas.
-Madame Madeleine. Qu’a-t-il fait pour vous effrayer autant ? dis-je d’une voix calme et compatissante.
-Oh Diane. Un jour, alors que je faisais le ménage et qu’il était à l’école, je suis montée dans sa chambre. Une odeur fétide m’a piqué le nez. Et pourtant je suis bonne ménagère, ça a toujours senti bon dans ma maison ! J’ai cherché l’origine de cette pestilence. Ce parfum de mort qui embaumait la pièce jusqu’à me faire remonter mon estomac. Je me suis abaissée sous le lit de mon petit-fils aux cheveux blonds si purs. Elle fit une pause de quelques instants. J’avais un chat Diane, reprit-elle. Un petit chat tout gris que j’avais baptisé Minou. Il était sous le lit Diane… Je ne l’avais pas vu depuis une semaine et il était sous le lit…
-Vous voulez dire qu’il était… ? Je laissais ma phrase en suspens.
-Il y avait du sang plein sur son pelage et ses yeux… Il n’en avait plus. Je ne comprends pas ce qu’y a poussé Arthur à tuer mon petit Minou… dit-elle les yeux embués. Je l’ai laissé là, tellement choquée. J’ai attendu que le petit rentre de l’école et je lui ai dit qu’il était assez grand pour faire le ménage dans sa chambre tout seul. Et il était futé ce petit garçon, futé, parce que le lendemain, quand il retourna à l’école, et que je suis remontée dans sa chambre, Minou n’était plus sous le lit, comme s’il n’avait jamais été là…
-Quel âge avait-il, Madame Madeleine ?
-Onze ans. »
Nous continuâmes de discuter de la pluie et du beau temps ainsi que de tout ce que cette vieille dame avait à dire depuis tellement longtemps. Je pense qu’elle se sentait seule et qu’elle n’avait pas reçu de visite depuis un petit moment. Elle m’invité à rester manger et je partis dans les alentours de quatre heures de l’après-midi pour être de retour chez moi dans les mêmes horaires que le lycée. Dans le bus, je me suis mise à faire un ensemble de schéma relatant tout ce que j’avais appris depuis le début de la journée et même ce que j’avais appris la veille. Toutes les infos que j’avais écrit relataient tout ce que je savais d’Arthur Levigne. Je sentais que j’étais proche du but, je sentais que bientôt j’allais découvrir ce que tous me cachaient.
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