Chapitre 1 : Renaud

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Prologue

Qu’il est difficile de démêler les sombres intrigues du passé et pourtant voilà la tâche que je m’imposai. Après bien des recherches, j’ai mis la main sur bon nombre de carnets datant de cette époque, chacun écrit par un des acteurs présents lors de ces fameux évènements. Je vais tâcher de choisir les passages les plus pertinents et les remettre dans l’ordre afin d’illustrer au mieux ce qui se passa en ces temps troubles. Toutefois ne sachant guère qui me lira, ni dans quel contexte, quelques explications s‘imposent.

Le royaume d’Orania, comme ceux aux alentours, était composé de deux races : les hommes, disposant d’une force médiocre, se reproduisant très aisément et ne vivant qu’autour d’un demi-siècle et les vampires, disposant de la force de trois ou quatre hommes, ne pouvant mourir naturellement, ne vieillissant plus à partir d’environ trente ans et se délectant du sang et de la chair des humains pour leur bon plaisir. En effet cela ne leur était nullement nécessaire, puisqu’ils pouvaient se nourrir de n’importe quel animal sans danger ; toutefois l’humain était le met le plus exquis qui leur était permis de déguster. Leur natalité était toutefois très basse, du fait qu’une femme ne pouvait pas donner la vie plus d’une fois par siècle et au mieux quatre à cinq fois dans sa vie. Il n’y avait donc pas un vampire pour vingt humains à cette époque. Ces derniers avaient été asservis lors de ce qui fut appelé la guerre des sangs il y a des millénaires de cela et aucun vampire qui y avait participé n’avait survécu jusque-là. La société était fort hiérarchisée, avec le roi, Vanceslas II à cette époque, puis la noblesse vampirique et enfin les humains, tous asservis au seigneur vampire local qui pouvait disposer d’eux comme bon lui semblait. Cette hiérarchie était justifiée par le Dieu du sang Valass que les vampires révéraient. Bien que de nombreuses révoltes humaines eurent éclaté depuis la guerre des sangs, aucune n’inquiéta véritablement l’ordre établi, qui était davantage menacé par les incessantes querelles entre seigneurs que par les humains, tout divisés qu’ils étaient jusqu’à cette période.

Arthur

Aujourd’hui, comme une fois par mois, le baron Miroslaw a réuni quelques centaines de cultivateurs. Je savais très bien ce qu’il allait se passer, étant dans la garde depuis longtemps. Je savais que cette fois encore une dizaine de mes semblables allaient être empalés, pendus ou bien écartelés ; peut-être pour dissuader les autres de toute révolte, mais surtout pour amuser ce vampire… Ce monstre assoiffé de sang et ses quelques amis qu’il a fait venir pour l’occasion… Il faut dire que même pour un vampire Miroslaw est réputé pour être particulièrement barbare… Ce qui amuse au plus haut point ses invités. Et moi j’étais là à regarder cette bande de malheureux s’avancer en ligne, rattachés les uns aux autres par une corde au cou éprouvant le lâche soulagement d’être à ma place et non à la leur. On apprend toujours au dernier moment ce qu’on doit leur faire, car ; comble de la cruauté ; le baron tient à ce que ce soit nous, les gardes, qui mettions à morts nos congénères…

Au moment où les neufs condamnés se furent avancés jusqu’à la place centrale du village et lorsque le vampire fut bien certain que tout le reste des habitants s’étaient assemblés pour assister à la démonstration il se leva ; ne pouvant empêcher un sourire de lui traverser le visage pendant un court instant laissant ainsi dépasser ses crocs. Mon cœur faillit trépasser lorsqu’il annonça le supplice… La roue… Je n’arrive tout simplement pas à décrire mes gestes ; mais tout en entendant les cris de peur, de supplication, de haine puis de souffrance et tout en m’imaginant mille révoltes je faisais machinalement mon ouvrage… Avec pour seul aide ce lâche soulagement de ne pas être eux. Encore une nuit que je vais passer sans fermer un œil…

Irinia

17 mars de l’an 5002 après la guerre des sangs

Ce soir, après les exécutions, je fis venir Renaud comme à son habitude. Malgré les horreurs qu’il venait de voir il restait digne et ne semblait nullement affecté par cette journée. Je m’excusais au nom de mon père, comme à chaque fois que ce genre de spectacle se produisait, comme trop souvent. Malgré tout je remarquai dans ses yeux marrons une étincelle inhabituelle, ou plutôt la même étincelle que d’habitude mais plus intense. Il s’avança tandis que j’étais toujours assise sur le lit et lorsqu’il fut juste devant moi il me dit d’un ton plein d’assurance, presque noble :

« Ma chère Irina, je sais bien que vous n’y êtes pour rien, toutefois vous n’aurez bientôt plus à vous excuser ! Je ne saurai assez vous remercier pour ce que vous avez fait pour les gens d’ici et moi tout particulièrement. Bien que vampire vous avez bravé votre père et avez pris à travers moi l’humanité sous votre aile, mais bientôt nous nous envolerons ! »

Bien qu’il ne m’en ait jamais parlé qu’à demi-mot, je sais qu’il ourdit une révolte… Et je sais comment elles se terminent… Pourtant lorsque je me remémore la journée d’aujourd’hui… je me dis que chacun des humains ici paye le prix d’une révolte chaque jour sans pour autant en avoir commis… Je ne pus donc ne serait-ce que faire semblant de l’en dissuader et lui répondis simplement :

« Vole donc, du mieux que tu peux, mon esprit est avec vous et mon cœur avec toi »

En disant ces mots je me souvins de comment je découvris cet homme et comment j’appris à aimer ses semblables ; c’était il y a une vingtaine d’années, mon père avait organisé une chasse. Je voulais à tout prix en être car toutes les personnes qui y avaient participé en avaient dit le plus grand bien… Du moins les vampires. Et comme c’était mon anniversaire, mon père daigna accepter que j’accompagne sa troupe.

Il lâcha une dizaine d’humains, hommes, femmes et enfants dans un petit bois non loin de notre bon village d’Antamar. Ils se mirent aussitôt à courir comme des lapins s’enfonçant ainsi plus profondément dans la végétation. Après un certain temps d’attente, émaillé de quelques paris sur qui attraperait le plus d’humains et de quelques discussions sur la façon dont ces derniers seraient mangés le soir venu, la troupe s’élança à leur poursuite au son du cor qui faisait fuir les animaux et hurler les vampires.

Surprise, je fus vite distancée. Je tâchai de les suivre au mieux et, après avoir seulement fait quelques mètres, un bruit m’alerta non loin de moi. Je me retournai et découvris au fond d’un trou un petit homme tout recroquevillé. Je me réjouissais déjà de ramener à mon père une proie qui leur aurait échappée sans moi. Visiblement cet enfant préférait la ruse à la course, je m’en allais le lui faire payer. Je ramassai non loin de là un bâton que je cassai afin d’en faire un pieu. Toutefois lorsque je fus suffisamment proche le petit être me dit :

« Arrête, je suis aussi un vampire, mais mes crocs ayant mal poussé on me prend encore pour un humain ! »

Toute interloquée je m’approchai sur mes gardes. Il était vrai qu’il me ressemblait tout compte fait. Il devait avoir douze, peut-être treize ans ; mais à cet âge je lui ressemblais. J’entendais toujours au loin les cris de fureur se déchainer et les râles d’agonie se multiplier. Il me regarda m’avancer et plus je m’approchais plus son expression changeait. Petit à petit la peur se dessinait sur son visage tandis que je remarquai le bâton qu’il cachait maladroitement derrière son dos se dévoiler à force de tremblements. Je réalisai alors que je n’avais jamais vu d’homme d’aussi près et qu’à part les crocs, nous nous ressemblions. Je le pris en pitié et lui dit :

« Très bien petit « vampire », je te laisse partir si tu promets de venir me voir de temps à autre… Sans quoi je te recommande à mon père pour ses « spectacles » et ne fais pas cette tête-là, si je n’avais pas été en retard, tu aurais échappé aux chasseurs, tu devrais bien être capable de berner quelques gardes ».

Ainsi il vint me voir régulièrement usant de mille stratagèmes pour parvenir jusqu’à moi et il me décrivit la vie des hommes, leurs souffrances, leurs joies… Et plus il m’en racontait plus je les admirais et les trouvais infiniment meilleurs que nous les vampires et plus j’aimais Renaud. Je lui appris alors ce que je savais comme la lecture, l’écriture en espérant ainsi améliorer leurs conditions… jusqu’à ce soir où il m’a annoncé de vive voix vouloir se révolter… Et donc potentiellement tuer ma famille.

C’est une chose que je ne réalise d’ailleurs qu’à l’instant… La rencontre d’aujourd’hui fut en effet assez brève. A peine avais-je dit ces quelques mots qu’il repartit sans se retourner.

Autant je n’apprécie guère mon père et sa mort créerait sans doute en moi une coupable satisfaction, mais ma mère a toujours été tendre avec moi… Bien qu’elle n’ait jamais protesté à ma connaissance elle trouvait les exécutions tout à fait déplaisantes… Pourtant je ne doute pas un seul instant de l’amour sincère qu’elle porte à son époux et rien ne la rend plus heureuse que sa présence… Je préfère pour l’instant me réfugier dans le songe que j’ai peut-être mal interprété ses paroles, ou que ma mère n’aura rien… En fait je préfère ne pas y penser…

Arthur

Cet après-midi, après ma ronde, j’ai vu Renaud, il m’a pris à partie et m’a dit vouloir entrer en rébellion… Jusque-là ça n’avait rien de surprenant, tout le monde ici veut se révolter. Ça s’est même déjà fait mais ça a toujours échoué… A chaque fois le baron avait été mis au courant et avait fait exécuter de façon encore plus spectaculaire que d’habitude les conjurés… Enfin c’est ce que raconte les vieux. Pourtant Renaud avait l’air sûr de lui… En même temps il a toujours l’air sûr de lui, ça fait des années que je traîne à ses côtés et c’est grâce à lui que j’ai appris à lire, à écrire et que j’ai un bon poste dans la garde…

N’empêche qu’aujourd’hui il avait vraiment l’air sûr de lui ! Une fois qu’il se fut assuré qu’on était seul il vint me dire qu’il savait qui était le mouchard ou plutôt comment le démasquer ! Bon, je ne savais pas trop de quoi il parlait mais il avait l’air de s’y attendre. Il m’expliqua donc qu’après avoir écouté des dizaines de fois les histoires de soulèvement des anciens, il en avait déduit qu’un humain prévenait les vampires dès qu’une révolte se préparait. Je n’y croyais pas trop puis il me dit que ce gars faisait sûrement parti de la garde car sans nous pas de révolte et, en effet, maintenant qu’il le dit, à chaque fois les vieux précisaient bien que la milice avait été sollicitée pour fournir des armes… Ce qui semble logique. Il me soumit donc un plan pour savoir qui c’était.

Il me dit alors qu’il avait déjà vu quelques bouts de papiers accrochés au mur avec des choses écrites dessus dans la caserne. En tant que laveur ça ne m’étonne pas qu’il ait remarqué ce genre de choses. Il passe plus de temps que nous dans la caserne pour essayer de la maintenir debout. Il m’a dit qu’en cinq ans de travail il n’en avait vu que douze, qu’il avait toujours enlevé avant midi, comme son travail l’y obligeait. Ce qui était apparemment parfait. A chaque fois il s’agissait d’un rendez-vous nocturne. Il m’a donc expliqué qu’il pouvait en déduire trois choses : L’espion sait lire, les vampires pensent que personne d’autre n’a cette compétence, ce qui implique qu’il n’y a que ce dernier capable de comprendre le message et enfin, d’après le contenu des messages, il agit seul. En plus de tout ça ; cerise sur le gâteau on va pouvoir découvrir l’identité de cet enfoiré dès cette nuit ! Lorsque je lui ai demandé pourquoi il n’était pas allé au lieu de rendez-vous lorsqu’il y en avait un il m’a répondu qu’il avait déjà essayé, mais que la rencontre se déroulait sur la place du village. Il ne pouvait donc pas s’approcher sans être repéré et la nuit était trop sombre pour qu’il y voit quoi que ce soit d’autres que quelques silhouettes parlant entre elles.

Sa plus grosse peur était qu’un vrai message ne tombe en même-temps que le faux qu’il projetait d’accrocher. Mais apparemment un vrai message est tombé hier, il a ainsi pu en mettre un nouveau cette nuit pour piéger le traître ! Dans à peine deux heures au moment où j’écris ces lignes nous saurons de qui il s’agit ! Parce que c’est vrai qu’il est rusé Renaud, mais niveau force ça ne vole pas haut… C’est pour ça qu’il m’a pris sous son aile m’a-t-il dit, ça et le fait que je sois « taciturne », il aime utiliser des mots savants. Comme ça, apparemment, je ne risque pas de gaffer lorsqu’il me dit des trucs un peu secrets ou qu’il m’apprend à lire et à écrire… En tout cas dans quelques heures il va falloir que j’aille sur la place centrale pour enfin faire connaissance avec notre ami, et là Renaud va avoir besoin de moi pour le faire saigner !

Irinia

19 mars de l’an 5002 après la guerre des sangs

Cette journée a été bien agitée. On a retrouvé le cadavre fortement mutilé d’un membre de la garde en pleine place centrale. Des règlements de compte ça arrive régulièrement, surtout après des exécutions. Les gardes qui commettent ces méfaits sont pourchassés par les familles et il n’est pas rare que cela finisse en bain de sang, ce que mon père adore… Il dit toujours « Au fond si on n’était pas là pour tenir ces humains ils s’entretueraient encore plus ». Toutefois cette fois-ci, et ce pour la première fois de sa vie, un meurtre ne semble guère le réjouir.

Peut-être me trompe-je mais je ne peux m’empêcher d’y voir la marque de Renaud. Ce qui m’inquiète le plus c’est l’immense massacre que semble préparer mon père ; même depuis ma chambre je l’ai entendu vociférer avec ses amis et proférer mille menaces contre les humains. J’espère que Renaud sait ce qu’il fait. J’aimerai tant aller l’informer mais si on apprend que j’ai adressé la parole à quelque humain que ce soit ce dernier endurera des souffrances que je n’ose imaginer et encore moins décrire.

Pour le moment j’essaye juste de ne plus entendre mon père. Son ton autant que ses dires m’effraient au plus haut point.

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