Chapitre 4 : " Vous voilà à votre tour libérés de vos chaînes ! "
Irinia
22 mars de l’an 5002 après la guerre des sangs
Aujourd’hui j’ai enfin réussi à arrêter de pleurer. Renaud vint me voir et je ne pus m’empêcher de me jeter dans ses bras. Après quelques instants je le relâchai et m’assis sur mon lit, puis il fit de même. Il me demanda alors si je pouvais lui en dire plus sur le baron de Nozalmar. Je lui répondis que je ne le connaissais pas très bien, mais que mon père et lui ne s’entendaient pas très bien car il n’aimait guère les élans d’imagination concernant la mise à mort des hommes.
Toutefois il n’était pas pour autant un ami de leur espèce, loin s’en faut, il était juste plus sobre dans la façon de les tuer et il pratiquait cette activité moins souvent, ce qui avait rendu sa baronnie plus peuplée et plus prospère… Et comme cela il pouvait manger de l’humain plus régulièrement. Lorsque je fus questionnée sur les effectifs dont il disposait je répondis que je n’en savais rien. Je n’étais allée à Nozalmar qu’une seule fois lorsque j’avais autour de trente ans. Et le souvenir que ce village m’avait laissé n’était pas très marqué.
Après ce bref rendez-vous, qui ressemblait plus à un interrogatoire, Renaud se leva puis, après un moment d’hésitation, il déposa un baiser sur mon front et s’en alla. J’avais beau vouloir qu’il reste, je savais qu’il avait une bataille à préparer.
Arthur
Au bout de cinq jours d’entraînements deux éclaireurs accoururent à cheval pour nous prévenir que l’armée ennemie n’était plus qu’à quelques heures de marche. Ils étaient environ cent-cinquante dont dix vampires. Ces derniers étaient faciles à reconnaître grâce à leur armure et au fait qu’ils étaient les seuls à se battre à cheval. Renaud avait donné ses instructions en cas d’attaque l’avant-veille et ainsi chacun des capitaines se mit en place comme convenu.
Nous formâmes une ligne continue sur trois rangs entre l’armée ennemie et le village. J’étais en charge du centre. L’armée ennemie arriva, leurs gardes ressemblaient à s’y méprendre aux nôtres et l’étendard des barons de Nozalmar flottait dans le ciel, il était constitué d’un crâne rouge sur fond vert. Nous avions concocté le nôtre sur lequel figurait un homme l’épée à la main et des chaines à ses pieds.
Il devait être à peu près quatre heures lorsque le cor ennemi retentit et que la garde adverse se mit à courir dans notre direction. Nous serrâmes les rangs et nous préparâmes à encaisser le choc. La pente sur laquelle l’ennemi chargeait était légèrement inclinée contre nous ce qui faisait accélérer cette masse s’avançant à notre rencontre. Comme à leur habitude les vampires restaient derrière afin d’éviter tout débandade.
Le choc fut rude et bientôt nos hommes commencèrent à tomber à la renverse. La mêlée était furieuse mais l’élan de la charge leur avait donné l’avantage. Tout d’un coup je vis une femme s’enfuir, puis une autre et encore une ce qui jeta un vent de panique dans nos rangs qui se débandèrent aussi vite, fuyant sans écouter ni mes ordres, ni ceux des autres capitaines. La troupe, dont certain des membres jetaient leurs armes afin de courir plus vite, fuyait en direction du village. Les autres capitaines et moi-même les pourchassions afin de les rallier. Sans succès.
Ayant gagné de la vitesse en s’étant soulagé de leurs armes, nos soldats parvinrent à distancer l’armée ennemie… ou plutôt leur infanterie car les vampires sonnèrent la poursuite et se ruèrent à nos trousses, dépassèrent leurs fantassins et s’enfoncèrent à leur tour dans le petit bourg. Ils commencèrent à taillader quelques fuyards lorsque soudain un autre cor retentit, venant du village. C’était le même que le jour de la révolte.
Soudain des soldats sortirent des maisons et des quelques ruelles autour et prirent à parti les vampires qui s’étaient isolés en nous pourchassant trop loin. Ils furent promptement encerclés par des dizaines d’hommes et ceux qui fuyaient il y a encore quelques instants se retournèrent afin de participer à la curée ! Renaud apparut alors en retrait avec un sourire en coin observant la scène.
Les vampires se défendirent avec leur force habituelle faisant quelques pertes chez nous mais ils furent rapidement désarçonnés, mis à terre et tués avant que leur infanterie ne les rejoigne.
Lorsque tous les vampires furent occis Renaud nous fit baisser les armes et s’avança vers les fantassins ennemis abasourdis par ce qui venait d’arriver à leurs maîtres. Ce dernier les harangua alors :
« Soldats, vous voilà à votre tour libérés de vos chaînes ! Vos geôliers sont morts, comment allez-vous remercier vos libérateurs ? En les combattant alors que plus personne ne vous y oblige, ou en vous rangeant de notre côté devenant ainsi vous-mêmes des libérateurs ! Vos familles sont sans doute restées dans votre village, allons de ce pas les libérer à leur tour et exterminer les derniers vampires demeurés là-bas ! »
Après un moment où le temps fut comme en suspens, ceux qui étaient nos adversaires devinrent nos frères en mettant bas les armes et en hurlant « Hourra ! Hourra ! ». Renaud renchérit :
« Et vous qui, il y a encore quelques instants, luttiez contre eux ; n’éprouvez aucune rancœur car ils sont des nôtres et ne se battaient que contraints et forcés. Ecoutez comme leur cœur raisonne désormais avec les nôtres, comment nous ne formons désormais qu’une seule famille et comment, ensemble, nous allons détruire les vampires ! »
« Vive Renaud ! » Répondirent en cœur nos propres soldats, et moi-même je fus surpris à scander ces mots tout en levant mon épée.
Tout s’était passé selon le plan de Renaud, la pente donnerait un avantage aux ennemis ce qui justifierait notre fuite, sentiment renforcé par la présence de femmes dans nos rangs. La méconnaissance que nous avions de notre ennemi était compensée par la méconnaissance de ce dernier vis-à-vis de nous ; il n’avait donc aucune façon de deviner qu’il restait d’autres soldats, les meilleurs, cachés dans le village. La perte de nos armes doublée du sentiment de puissance procuré par l’imminence de la victoire allait pousser les vampires à la poursuite, aidés en cela par leurs chevaux. Enfin en ne tuant que les chevaliers nous pûmes facilement rallier l’infanterie humaine. « Nous commençâmes cette bataille cent-cinquante et la finîmes trois-cents » me confia Renaud. Ce soir encore une belle fête va être donnée et je m’impatiente déjà !
Irinia
27 mars de l’an 5002 après la guerre des sangs
Le lendemain de sa victoire, Renaud vint me voir. J’avais observé la bataille depuis la muraille malgré les mises en garde de Renaud qui n’aimait pas que je sorte. En effet la plupart des humains préféreraient me voir morte malgré la protection que m’apportait leur chef. Ceci ne me dérangeait pas, je n’avais jamais été extravertie, et depuis le massacre des miens je n’éprouvais que dégoût pour chacun des hommes que j’avais participé à libérer.
Renaud s’assit comme à son habitude à mes côtés et m’expliqua la suite des opérations. Toute l’armée ennemie s’était ralliée et pas un vampire n’en n’avait réchappé. Il souhaitait donc envoyer cent-cinquante hommes à Nozalmar, dont certains déguisés en chevaliers, afin de se faire ouvrir les portes et d’éradiquer les derniers représentant de ma race restés là-bas. Il avait récupéré les armures, les étendards et même la plupart des chevaux.
Les vampires sont toujours trop sûrs d’eux, surtout quand il s’agit de combattre des humains, il était donc sûr qu’on ouvrirait la porte aux siens et que les trois chevaux manquant seraient considérés comme des pertes dus à la bataille, ce qui en soi n’était pas faux. Il tirait là encore magnifiquement avantage de nos quelques faiblesses.
En effet le soleil nous affaiblissant considérablement, nous ramenant au niveau d’un humain en ce qui concerne la force, c’est pourquoi les vampires se battent toujours dans des armures opaques ne laissant comme ouvertures que les articulations ainsi qu’une visière pour les yeux. Malgré cela les miens ne combattent quasiment jamais de nuit car bien que notre vision nous le permettrait, en l’absence d’humains nos effectifs seraient bien trop faibles, ce qui nous oblige à en recruter et donc à livrer bataille de jour. Or cette particularité implique qu’on ne peut pas voir le visage d’un vampire sous ces cuirasses, ce qui est parfait pour un déguisement… D’autant plus lorsque personne ne s’attend à une défaite.
J’étais une fois encore émerveillée par Renaud. J’avais beau savoir que sa victoire serait encore suivie de massacres semblables à ceux que j’ai vécu, je ne pouvais m’empêcher de l’admirer.
Après m’avoir exposé son plan il me dit que je pourrais lui rendre un immense service… Si cela ne me dérangeait pas d’encore lutter contre les vampires. La joie m’avait quittée depuis cette fameuse après-midi mais la perspective de trahir encore davantage des miens accentuait malgré tout ma tristesse. J’avais beau le refouler, au fond je regrettais mes actes. Seuls les sentiments que j’éprouvais pour Renaud me réconfortaient.
Je commençai à pleurer après avoir entendu cette demande quand Renaud me prit dans ses bras en disant d’une voix douce :
« Ne vous en faites pas, je ne vous forcerai à rien, vous avez déjà tant fait pour nous… Sachez juste que si vous acceptez, vous devrez aller à la cour du roi à Valassmar afin d’être mes yeux et mes oreilles mais je ne vous force à rien. Répondez-moi demain, répondez-moi dans une semaine, ne me répondez jamais si vous le voulez. Sachez simplement que mon but n’est nullement d’éradiquer les vampires mais bien de créer une société paisible pour tous. Je ne tuerai jamais plus que nécessaire »
Tout en pleurant je lui demandai en effet du temps pour réfléchir, il s’en alla paisiblement tout en m’adressant un regard qui feignait la compassion plus qu’elle ne l’exprimait réellement.
Actuellement je ne sais que faire… Je ne sais pas s’il m’aime ou s’il se sert de moi… Je ne sais pas s’il veut juste libérer les humains ou éradiquer les vampires… je ne sais pas et je suis des plus malheureuses…
Annotations