Godefroy

Nous avons marché comme prévu pendant huit jours à trois-cents. Le moral était au plus haut et bon nombre de mes gars pensaient qu’avec Renaud, la victoire serait au rendez-vous et sûrement très facile.

Après ce long trajet, nous arrivâmes en face d’Altmar et, une fois que le soleil de midi eut dispersé la brume ambiante, nous aperçûmes le drapeau blanc flotter sur la muraille ; un immense cri de joie traversa instantanément les rangs et nous progressâmes à travers la plaine.

Nous avions fabriqué des échelles avant de partir afin d’escalader les murs de la cité, mais ne connaissant pas leur taille exacte, elles se sont avérées finalement bien trop grandes, enfin qu’importe, elles nous permirent de monter malgré tout. Je reçus l’honneur en tant que dernier capitaine d’Antamar de faire monter ma troupe en premier sur les murailles. Mes soldats commencèrent alors à escalader le mur mais à peine furent-ils arrivés en haut que j’entendis une mêlée se déclencher et des flèches commencèrent à fuser dans notre direction.

L’incompréhension gagna les rangs et même Renaud parut surpris, c’est alors que bouillonnant de colère, je me mis à hurler :

« Arrêtez de réfléchir, montez sur ces échelles et battez-vous ! »

Au même moment je commençai à escalader le mur. Lorsque je fus en haut, je vis un combat totalement décousu dans lequel mes hommes frappaient ceux de la ville… tandis même que nos opposants semblaient s’entretuer. Ne sachant pas qui attaquer je demandai des explications à un soldat que je connaissais. Il me répondit en haletant :

« Nous sommes montés comme prévu mais alors que Gaëtan est arrivé en haut, un enfoiré lui a transpercé la gorge avec son glaive… Mais juste après un gars d’en face a fait de même avec celui-là, puis ils ont commencé à se battre entre eux… »

Il reçut alors un coup d’estoc qu’il para de justesse avec son bouclier avant de répondre par une taillade qui toucha l’ennemi au ventre et le fit s’écrouler. Nos soldats continuaient de monter et la distinction entre les camps se faisait plus claire au fur et à mesure des échanges de coups. Le vampire qui commandait les troupes sur le mur hurlait à la trahison et semblait frapper des hommes qui lui étaient apparemment encore acquis, ce qui en retourna certains contre lui.

Le combat était violent mais notre mois d’entrainement semblait porter ses fruits puisque nous avions tendance à surpasser les combattants ennemis.

Nous essuyâmes alors une volée de flèches venant d’en bas de la muraille, une poignée de gardes dirigée par un vampire nous criblait de carreaux avec des arbalètes, sans faire de distinction entre nous et leurs frères d’armes. Je vis deux de mes soldats touchés, dont un qui tomba du mur et alla s’écraser à terre. Là où j’étais le vampire commençait à être submergé par les nôtres ainsi que par le nombre de plus en plus grand de gardes qui le trahissait.

Ce funeste combat avait lieu au son du tocsin pendant que de plus en plus de miliciens accouraient depuis les rues vers l’enceinte, toujours ravagée par la mêlée et les flèches. Je réussis pour ma part à désarmer un épéiste en assénant un violent coup de hache sur son arme, alors que je m’apprêtais à l’achever ce dernier se rendit et m’assura être prêt à se battre avec nous. Sans réfléchir je lui enfonçai mon arme dans la gorge et continuai à exhorter mes hommes à avancer. Après de longues minutes les fortifications étaient sous contrôle, et les nôtres commençaient à descendre afin d’affronter l’ennemi en contrebas. Nos derniers hommes ainsi que Renaud s’apprêtaient quant à eux à grimper sur les échelles, tandis que la bataille prenait place de l’autre côté de la muraille.

Un garde ennemi visiblement rallié vint me voir et me dit tout essoufflé :

« Bonjour monsieur, comme vous l’avez vu la situation est compliquée mais en gros une moitié des gardes s’est ralliée à vous. Hélas nous n’avons pu le faire que par surprise et au dernier moment »

Sans que cela ne m’aide vraiment je lui ordonnai alors de descendre afin d’aider en bas. Le combat s’était clarifié et il semblait qu’une ligne avec un nombre égal de soldats de part et d’autre se soit créée entre le mur et les habitations. Toutefois les vampires présents chez nos ennemis semblaient faire pencher la balance en leur faveur lorsque, soudain, alors que j’étais sur le point de descendre à mon tour, je vis Laurent et Charles, accompagnés d’une foule de civils armés de couteaux, de chaises, ou de toute autres armes de fortune, se jeter sur le dos des ennemis en hurlant « A mort ! ». Cela surprit totalement nos adversaires, tout comme nous d’ailleurs. A cette vue la plupart de leurs gardes commencèrent à essayer de s’enfuir, mirent bas les armes ou se rallièrent. Une poignée seulement continuèrent à sa battre tandis que tous les vampires ne faisaient plus la moindre différence entre alliés ou ennemis. Ils ne faisaient que trancher les humains à leur portée mais, tout chevaliers qu’ils étaient, ils finirent submergés par le nombre.

Après que ce carnage fut achevé, Laurent et Charles nous indiquèrent l’imposante villa où trônaient les derniers vampires.

Je menai mes hommes jusqu’à cette dernière, accompagné par la foule qui semblait encore plus assoiffée de sang que nous. Nous aperçûmes alors quelques vampires s’enfuir en direction des docks. Une partie de la population et de mes hommes s’en alla piller la demeure malgré mes ordres, tandis que je menai la poursuite avec les autres. Partout où ces lâches passaient le peuple se soulevait et leur jetait des meubles, des légumes et même des excréments de telle sorte que chaque maison semblait être un fortin d’où était tiré toute sorte de projectiles, sauf des flèches. Néanmoins les quelques groupes qui essayaient de les arrêter directement étaient hachés menus sans pouvoir les ralentir.

Nombre de femmes vampires étaient escortées par une vingtaine de leurs chevaliers en armure qui s’occupaient de l’arrière garde et qui nous tenaient à bonne distance. Les rues étant étroites, j’ordonnai à mes hommes de ne pas charger les vampires dans ces conditions puisque nous ne pouvions pas profiter de l’avantage numérique et nous étions bien incapables de les affronter de front.

Une fois arrivés dans le port, les vampires les plus en avant montèrent sur un bateau tandis que ceux de derrière continuaient à nous retenir. La foule qui accompagnait les quelques soldats que je connaissais était incontrôlable et rendait toute manœuvre impossible tant et si bien, qu’à part un vampire qui resta sur le pont menant au navire et qui s’y sacrifia pour nous retenir, tous les autres réussirent à prendre le large.

La ville était à nous mais les pertes étaient lourdes. Dans notre armée de départ, nous déplorions vingt morts et une trentaine de blessés. Dans la garde ennemie une centaine y étaient passée ainsi que dix-huit vampires au total.

Renaud arriva un peu plus tard sur les quais accompagnés d’Arthur et Louis, tous deux dans un sale état. Leur peau se détachait de leur visage et leur torse était lacéré de telle sorte que l’on voyait leurs muscles à vif. Renaud exigeait des explications sur ces déboires. Un garde arriva et se présenta :

« -Bonjour, je m’appelle Hugues et je peux tout vous expliquer. Il y a deux jours, ces deux personnes sont arrivées dans notre caserne pour nous exhorter à la révolte. Leur action a échoué et ils ont été emprisonnés. Nous avons eu l’ordre de retrouver les deux personnes qui les accompagnaient lorsqu’ils sont arrivés mais sans succès… Jusqu’à aujourd’hui

- Et vous osez me dire ça alors que vous y étiez, que vous avez laissé deux de mes meilleurs hommes finir dans cet état, hurla Renaud en dévisageant Hugues.

- Vous ne connaissez pas Altmar monsieur, lui répondit-il, anxieux au possible à cause des regards oppressants et plein de ressentiments que lui lançait l’ensemble de la foule, moi compris. Ici les gardes sont très bien traités, nos familles vivent dans un quartier particulier qui n’est jamais touché par les purges ou autre massacre. Cela crée une certaine fidélité de notre part aux vampires, toutefois nous devions malgré tout ramener deux ou trois personnes par mois aux vampires pour leurs festins. Un bon nombre de gars, sans faire dans la lutte armée, essayait tant bien que mal de limiter au maximum le nombre de victimes mais d’autres s’en fichaient, après tout nous ne connaissions pas ceux que nous envoyions à la mort. Toujours est-il que lorsque vos amis sont venus, un certain nombre de soldats ont décidé de vous rejoindre en cas d’attaque. Hélas nous ne pouvions pas trop en parler entre nous et donc bien nous organiser puisque, encore une fois, une bonne partie des soldats était tout à fait satisfaite de son statut.

- Et pourquoi sont-ils dans cet état-là, demanda Renaud, les traits déformés par la colère ?

- Lorsque les vampires eurent vent de la situation, ils torturèrent vos deux amis jusqu’à tout savoir à propos du drapeau blanc et de votre attaque le cinq. Il nous fut ordonné de dresser un drapeau blanc et de vous cueillir par surprise. Notre groupe décida alors de se retourner à ce moment-ci, que ce serait l’occasion ou jamais de nous délivrer des vampires. Mais nous-mêmes ne savions pas exactement qui serait avec nous ou non, ce qui explique la confusion en haut des murs et même en bas. »

- Et la population ? Interrogea Renaud ? »

Laurent s’avança et se mit à raconter comment il avait suivi un groupe de gens visiblement effrayés par les gardes, comment ces civils apeurés se laissèrent rapidement convaincre d’agir si le succès semblait possible et comment ils avaient attaqué les gardes durant la bataille. Comme le reste de la population vivait isolé de la milice et était régulièrement arrêtée par cette dernière, très peu éprouvaient des réticences à se révolter. Il fut donc facile d’organiser un mouvement de foule sans éveiller les soupçons.

Après ces informations, Renaud ordonna que Louis et Arthur soient soignés du mieux possible.

Renaud exigea ensuite qu’on réunisse les gardes d’Altmar et que Hugues lui indique ceux qui l’avaient rejoint avant le début de la bataille, ou au commencement. Ce dernier eut beau lui rappeler que certains s’étaient spontanément révoltés en voyant son groupe le faire sur le moment tandis que d’autres s’étaient organisés sans qu’il ne le sache, Renaud ne voulut rien entendre. Les gardes du groupe d’Hugues, dont Éric qui m’avait parlé pendant la bataille ainsi que quelques soldats qui s’étaient manifestement révoltés en premier furent mis à l’écart. Il en fut séparé environ quatre-vingts sur deux-cents. Tous les autres hurlaient qu’eux aussi s’étaient révoltés dès le début et rappelaient toutes les fois où ils avaient aidé la population. A croire que sans nous la révolte aurait de toute façon eut lieu.

Rien n’y fit, Renaud exigea qu’ils soient passés au fil de l’épée. Il vint ensuite me voir, exténué au possible. Tandis que la foule et une partie de nos soldats se ruaient sur les condamnés, je ne pouvais m’empêcher d’éprouver à la fois de la satisfaction en voyant périr ces gens qui avaient pris les armes contre nous alors que nous voulions les libérer et une profonde empathie envers ceux qui avaient eu le malheur de ne pas avoir été vus lors de leur soulèvement.

Je fis mon rapport à Renaud, il exigea que je punisse les soldats qui avaient préféré piller plutôt que de poursuivre les vampires, que j’organise l’incorporation des nouveaux dans l’armée, que je les forme, que je fasse Hugues capitaine et que j’enterre dignement nos morts. Quant à lui, il s’en alla se reposer dans une maison abandonnée en exigeant qu’on ne le dérange pas sauf pour le tenir informé du rétablissement d’Arthur et Louis.

La victoire était chère payée et ce massacre salissait l’image que je me faisais de notre cause… Mais nous ne pouvions en effet pas accepter d’éventuels traîtres dans nos rangs. Je m’en allai donc mettre au trou pendant une semaine les indisciplinés qui préféraient piller plutôt que d’obéir puis je participai aux festivités de la libération ! Cette journée fut épuisante du début à la fin.