Chapitre 13 : Miroslaw

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Irina

15 avril de l’an 5003 après la guerre des sangs

La semaine dernière l’armée du duc de Cracvonia est entrée dans la ville. Elle n’avait pas la même allure que celle du duc de Sartov mais semblait malgré tout un peu plus disciplinée que la moyenne. Le comte d’Aarsfald marchait devant et, comme il nous l’avait été ordonné, nous l’acclamions tous depuis le mur d’enceinte du cercle de sang au fur et à mesure qu’il s’avançait.

La cour était pourtant sans doute le dernier endroit où les gens étaient ravis de sa présence, eux qui avaient pris l’habitude d’appauvrir le royaume à leur profit, voilà maintenant qu’un vrai roi leur arrivait avec pour principale mission de mettre fin à leurs abus.

Cependant tous redoublaient d’entrain dans leurs acclamations afin de faire oublier leur corruption et de bien se faire voir du souverain, autant que du grand-duc. Les images du procès des anciens ministres étaient encore vivaces et, bien que Stanislas ait gracié toute autre personne, sa parole n’engageait que lui et non le nouveau roi qui était finalement assez peu connu. Ce procès avait été expéditif : lecture des chefs d’accusation, défense des ministres inculpés, témoignage de Stanislas, puis verdict rendu par Stanislas lui-même. Aucun des quatre procès ne dura plus d’une heure. Toutefois, comme le dit le grand-duc :

« La forme fut parodique, les verdicts on ne peut plus justes ».

Tous eurent la tête tranchée le soir même.

Il y eu le lendemain un autre procès, celui que Stanislas s’imposa à lui-même. Il était donc accusé, accusateur et juge. Sa sentence fut le châtiment de l’épuration accompagnée d'un sursis le temps que la situation du royaume soit stabilisée.

Si le grand-duc n’avait pas pris ce procès-ci autant au sérieux, c’en eut été drôle.

Lorsque le nouveau souverain arriva, suivi par le duc de Cracvonia et d’autres hauts seigneurs, il prit un instant pour faire son discours, tandis qu’il était toujours à cheval :

« Messires, je suis au courant de la situation et de vos inquiétudes. Sachez que, comme le grand-duc d’Ortov vous l’a promis, aucun d’entre vous ne sera inquiété pour ses actes passés, pourvu qu’il me jure allégeance. Toutefois je tiens à vous prévenir, le temps de la corruption est révolu ! Nous avons une révolte humaine au nord, le duc de Sartov soutient l’usurpateur Alexandrov à l’ouest ; tandis que des bruits de revanche se font entendre à nos frontières ! Le temps du repos et de l’oisiveté a cessé, celui de la guerre est de retour ! Nous allons montrer aux souverains d’Isgar et d’Aartov si Orania est affaibli ! »

Des applaudissements fusèrent, bien que la plupart était sans doute plus faits par flatterie que par réelle conviction, pourtant ce simple discours suffit à me convaincre que ce Miroslaw n’avait que peu de choses à voir avec Vanceslas II. Il dégageait un charisme qui faisait cruellement défaut à son oncle… Quelque part cela m’inquiète, le précédent souverain semblait être un adversaire bien plus facile pour Renaud… Mais je m’en fais sans doute pour rien ; aujourd’hui même nous avons encore reçu la nouvelle de l’un de ses succès : le comte d’Altmar avait été vaincu ! Plus le temps avance et plus je pense que cet avenir fait d’entente entre nos deux races se rapproche, si Renaud arrive à devenir assez fort, les vampires n’auront d’autres choix que de négocier… Et j’espère que Renaud sera assez sage pour ne pas gâcher une telle occasion.

En tout cas quelques ombres au tableau demeuraient pour Miroslaw, l’archiprêtre Mirov s’était enfui peu avant son arrivée, en laissant un message comme quoi nul ne le forcerait à couronner roi un vampire qui n’en n’avait pas le sang. De plus la majorité des chevaliers de l’ordre des sanguinaires, un ordre de prêtre guerrier dont chaque représentant est marié avec une sanguinolente, était également partie avec leurs femmes pour rejoindre le duc de Sartov et Alexandrov. Malgré ces quelques désertions, le reste des troupes était resté. Un nouveau prêtre fut rapidement promu archiprêtre et le sacre de Miroslaw put enfin avoir lieu. La cérémonie fut somptueuse et les chants des sanguinolentes demeurées fidèles magnifiques. Miroslaw prêta serment, jurant de « servir le royaume et le culte de Valass sans faillir jusqu’à son dernier souffle » puis reçut la couronne de crocs ainsi que Brise l’âme et tous les nobles présents, moi comprise, lui rendirent hommage et lui jurèrent fidélité.

Une fois ceci fait, la première décision de Miroslaw en tant que roi fut de se lancer en campagne contre le duc rebelle. Les armées déjà présentes du duc de Cracvonia et de ses alliés, du grand-duc d’Ortov, du comté d’Aarsfald et de Valassmar formaient un contingent de trente mille hommes et un millier de vampires. De plus le ravitaillement amassé pour l’armée du duc de Sartov et dont il avait été privé était toujours là et permettait à l’armée de Miroslaw de partir en campagne dans les plus brefs délais.

Ainsi selon les bruits de couloir l’armée partirait demain pour achever l’armée affamée du duc tandis que le grand-duc d’Ortov resterait ici pour organiser l’effort de guerre.

Nikolaj quant à lui semblait satisfait de ce changement d’ambiance à la cour bien que la situation de son frère en campagne contre les hommes semblait l’inquiéter. Maintenant que le comte d’Altmar était défait, Piotr se retrouvait seul contre Renaud. Néanmoins Nikolaj ne doutait pas qu’une armée lui serait donnée afin de porter secours à sa famille.

J’espère que cela ne se fera pas, je serais très attristée que Nikolaj et Renaud prennent les armes l’un contre l’autre, alors que je suis certaine qu’ils pourraient être les piliers d’un monde meilleur.

Ivan

Après quarante jours de marche, nous étions enfin arrivés à Sartov. Les pertes avaient été insignifiantes, bien que la plupart des hommes avaient bien maigri. Les « généreuses donations » des seigneurs chez qui nous passions ainsi que l’envoi des dernières denrées qu’il restait à Sartov par le fils du duc avaient permis de limiter les pertes et la désertion à tout juste cinq-cents hommes.

En cours de route, une partie du haut clergé de Valass, dont l’archiprêtre Mirov lui-même, nous avait rejoint ainsi que soixante-deux chevaliers sanguinaires, l’ordre de chevalerie le plus prestigieux du royaume, accompagnés de leurs sanguinolentes.

Malgré tout la situation n’était pas excellente à notre arrivée, la nourriture manquait du fait qu’une bonne partie des réserves avait été envoyée à Valassmar, le moral était atteint après plus d’un mois de retraite et l’ennemi disposait sans nul doute d’une écrasante supériorité numérique.

Pourtant, après quelques jours, le vent tourna. Tout le duché fut mis sur le pied de guerre, les civils furent rationnés et la nourriture ainsi dégagée permit de nourrir l’armée pendant un temps. Les forteresses inutilisées depuis longtemps furent réoccupées et les aménagements les plus essentiels furent opérés. Mais surtout les messages que le duc avait envoyés aux seigneurs du royaume pour qu’ils se joignent à sa cause n’avaient pas été vains !

Le comte de Vanov arrivait avec deux mille hommes à Sartov pour servir sa propre cause mais, plus important, nous allions être rejoints dans les semaines à venir par Serguei, marquis de l’ouest, le fils du ministre Andropov qui avait été exécuté par le grand-duc d’Ortov. Il accourait avec cinq-mille hommes, et quantité de nourriture depuis sa forteresse d’Altor pour venger son paternel. D’autres seigneurs nous soutenaient également mais étaient trop éloignés pour venir nous prêter main forte, comme les fils des autres ministres décapités, ou encore les enfants d’Alexandrov. Avec tout ce monde, nous devrions avoir une armée d’à peu près vingt mille hommes, tandis que nos alliés isolés détourneraient au moins une partie des troupes de notre ennemi.

La principale déception résidait dans le fait que la plupart des grands seigneurs de guerre de l’époque de Boleslaw étaient soit restés neutres, soit avaient rejoint nos opposants. En effet le règne de Vanceslas II avait été source d’appauvrissement pour eux au profit de la cour et ils étaient convaincus qu’Alexandrov continuerait dans cette voie. D’une certaine façon Miroslaw était l’héritier de Boleslaw et Alexandrov celui de Vanceslas II.

Une seule constante subsistait durant cette période de troubles : la qualité de l’armée du duc restait inchangée et demeurait notre meilleur atout dans la campagne à venir, laquelle allait sans nul doute bien avoir lieu !

Godefroy

Après notre victoire au chemin de Tussola notre armée a foncé vers celle du comte d’Urnia. Nous étions plus de quatre mille tandis que ses forces était constituée selon nos éclaireurs d’environ trois-mille hommes. Toutefois il avait été rejoint par les vampires qui avaient fui lors de notre dernière confrontation ce qui faisait monter à au moins deux-cents cinquante le nombre de chevaliers présents dans son armée.

Renaud avait appelé des renforts, notamment les hommes présents dans la forteresse de Suna, et quelques soldats en fin de formation à Altmar.

Mais quelque chose mit à mal les plans de Renaud : contrairement à la dernière fois, le comte d’Urnia refusa la bataille et se replia vers sa capitale.

Renaud hésitait. Fallait-il le poursuivre, ou bien patienter ? La guerre que se livraient les vampires entre eux était une bonne nouvelle, il ne semblait pas que d’autres armées viendraient nous attaquer pour le moment, le comte d’Urnia était donc notre seul adversaire mais Renaud avait vu les ravages que pouvait provoquer une charge de cavalerie et, selon Irina, les hommes du comte d’Urnia seraient plus fiables que ceux du comte d’Altmar. Il semblait que notre ennemi était un des rares vampires appréciés des humains. Charles et Jacques étaient les plus agressifs, selon eux, il fallait « poursuivre le comte et l’écraser » ; pour ma part je n’étais pas de cet avis. En effet le comte pouvait reculer jusqu’à Urnia et nous ne pouvions en aucun cas mener un siège pour le moment ; je proposais donc plutôt de ratisser les dernières baronnies et autres villages de la région encore sous le joug des vampires et de profiter de cette période de répit pour essayer de former une cavalerie de combat ainsi qu'apprendre la poliorcétique. Nous n’étions qu’en mai mais il semblait que les grands combats de cette année étaient déjà derrière nous.

Renaud abonda dans mon sens et ordonna qu’un groupe d’éclaireurs continue à suivre les mouvements de l’armée ennemie, tandis que le gros de nos troupes attaquerait les derniers bourgs vampiriques. Pendant ce temps une centaine d’hommes serait formée à l’art de la construction de machines de siège et une autre centaine à la charge de cavalerie lourde. Pour se faire tous les livres contenus dans les bibliothèques des vampires devaient être étudiés, le moindre savoir en forge, en ingénierie ou encore en tactique militaire serait d’un précieux secours. L’apprentissage de la lecture fut ainsi étendu afin de pouvoir s’accaparer le plus de connaissances possibles en un minimum de temps.

Pour ma part, me voilà à la tête d’un millier d’hommes en route vers une obscure bourgade nommée « Poldamar » selon la carte et qui sera sans doute désertée lorsque nous arriverons… Enfin au moins grâce à ça d’autres humains se rallieront à notre cause et pourront participer à notre grande destinée !

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