Chapitre 19 : Vivre à tout prix

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Godefroy

La campagne a commencé ! Avec tous les hommes disponibles et même des femmes pour les soins, nous avons foncé vers Urnia. Renaud voulait attaquer vite avant que le siège d’Imichk ne se termine. Comme prévu l’armée du comte qui nous faisait face recula jusqu’à passer le fleuve artère.

Là était notre premier défi, si nous nous engagions sur le pont gardé par l’armée ennemie, leur cavalerie nous aurait décimé sans difficulté en chargeant les premiers à passer en profitant du fait que le reste de l’armée serait restée derrière. Renaud feinta donc et tandis que le gros des forces restait face à celles de notre ennemi, il envoya le contingent du génie construire plusieurs ponts quelques lieues plus à l’ouest afin de permettre au gros des troupes de passer le plus vite possible.

Une fois ce travail accompli dans le plus grand secret, notre corps principal se mit en branle de nuit et se rua sur ces ponts. L’ennemi réagit, notamment grâce aux vampires qui pouvaient voir dans le noir mais la soudaineté de notre mouvement couplée à leur mauvaise discipline de marche les fit arriver trop tard. Lorsque le soleil se levait, l’armée ennemie venait d’arriver, tandis que la nôtre était entièrement passée et déjà en formation.

Les vampires reculèrent alors, jusqu’à s’enfermer dans Urnia et nous mîmes le siège en place. La cité ennemie disposait de quatre portes, chacune disposée sur un des murs d’enceinte. Un millier d’hommes furent placés devant chacune d’elle, tandis que le reste se déplaçait chaque jour entre ces différents camps, de telle sorte que l’ennemi ne sache jamais quand une porte se voyait mieux défendue qu’une autre. Ma compagnie était placée pour sa part au sud et une fois les tentes montées nous commençâmes à construire des échelles.

Dès que nous en eûmes suffisamment, Renaud ordonna une première attaque, espérant secrètement une révolte comme à Altmar. L’assaut fut donné à l’ouest mais après deux heures, il semblait que cela avait échoué. Nous avions perdu une centaine d’hommes contre à peu près rien en face. Visiblement le prêtre qui était parti à Urnia n’avait pas réussi à retourner la ville et, comme pour nous donner raison, son cadavre fut monté sur une pique en haut de la muraille qui avait subi l’assaut.

Comme prévu mais comme craint c’était un long siège qui s’annonçait… De plus le comte avait pris soin de brûler tous les champs et villages alentours, ce qui rendait notre ravitaillement d'autant plus compliqué. Chacun des deux camps avait préparé ce siège tout l’hiver durant, en améliorant la logistique et en apprenant la poliorcétique d’un côté, en amassant les vivres et en brûlant les terres alentours de l’autre. C’est désormais un combat de longue haleine qui va prendre place entre Renaud et le comte d’Urnia mais nous avons tous une immense foi en notre chef et nul doute que la cité finira par tomber !

Albert

Cette journée de massacre, couplée au départ de l’armée, avait donné à certains des envies de révolte. Ma proximité avec les gens ayant accouru au secours de la douce Margot était de notoriété publique chez quelques personnes avec qui j’avais travaillé. Aussi, après une semaine, je fus approché par une bande d’ouvriers que je connaissais vaguement. Ils voulaient que je les aide à faire comme au nord, c’est-à-dire se révolter et bouter les vampires hors de la ville de Vanov.

Ces gens étaient motivés mais manquaient d’effectifs, en effet l’impopularité des vampires n’était plus à démontrer mais la lâcheté et le souvenir de cette fameuse journée empêchaient la plupart des gens de se soulever.

Je fus plus ou moins contraint de les suivre jusqu’à un sous-sol des plus crasseux où se tenait une de leur réunion secrète. J’étais visiblement l’attraction du jour car chacun se ruait vers moi pour me poser des questions sur mes anciens frères d’arme. Je leur expliquai la vérité et, tout impressionnés qu’ils étaient, ils me demandèrent de les former et de prendre la tête de leur révolte. Un seul resta sceptique et me demanda alors :

« Pourquoi n’as-tu pas aidé « tes frères » comme tu les appelles lorsqu’ils ont foncé pour sauver les nôtres ? »

L’homme qui se présentait se nommait Jules et était l’un des fondateurs de ce groupe, après la journée d’émeute.

« Alors, en premier lieu je dirais qu’ils essayaient bien davantage de sauver la donzelle que qui que ce soit d’autre, en second lieu je ferais remarquer que personne ici n’a semble-t-il beaucoup bougé non plus sans quoi il ne serait pas avec nous aujourd’hui et enfin en troisième lieu je soulignerais qu’à part ajouter des morts au compteur leur action n’a pas servi à grand-chose »

Jules et ses comparses semblaient quelque peu décontenancés mais rapidement l’un des plus jeunes s’écria :

« C’est bien la preuve que tu dois nous guider ! En plus d’être fort tu es intelligent, toi tu pourrais nous délivrer ! »

Un certain enthousiasme naquit, bien que Jules et quelques autres semblaient pour le moins dubitatifs.

« Nous ne le connaissons même pas, c’est un étranger » disait l’un d’eux. « Il n’a aucun enthousiasme, ça se voit dans son regard, je n’ai pas confiance en lui, renchérissait un autre ».

Les cris fusèrent alors entre ceux prenant mon parti et ceux qui étaient contre moi sans que je n’ai l’occasion de placer le moindre mot. Après quelques minutes d’inutile débat, le jeune homme se tourna vers moi et me dit :

« Dis-leur, toi, que tu es partant pour nous guider ! Dis-leur ! »

Il était appréciable que l’un d’eux réalise enfin que j’étais présent. Toutefois je n’avais aucune envie de risquer ma vie pour des gens que je ne connaissais nullement, aussi je répondis la chose qui me garantissait les meilleures chances de survie :

« Mais bien sûr, les vampires ont tout de même tué mes frères et ceci demande vengeance ! »

Une moitié de la salle applaudit tandis que l’autre restait toujours aussi méfiante.

Une autre dispute des plus stériles éclata et, après quelques arguments suivis de contre-arguments, le tout ponctué d’insultes et de menaces de temps à autre, le plus jeune, qui se prénommait André, d’après ce que je compris, conclut en m’adressant une tirade aussi naïve que pleine de passion :

« Bon tout le monde ne te fait pas confiance mais moi je te crois et mes amis aussi ! Demain on te présentera à l’ensemble de notre mouvement, nul doute qu’avec des hommes et même des femmes aussi motivés que les nôtres, ainsi que toi en commandant, on sera libre en un rien de temps ! Demain sois présent sur la place centrale à midi, on viendra te chercher !»

Je pus enfin partir sans échapper à quelques menaces de bon aloi.

Après avoir quitté cette lugubre cave et m’être assuré que je n’étais plus suivi, je me retournai et, en prenant un détour, je m’approchais de l’hôtel de ville ou étaient les vampires. Je pris la ruelle la plus discrète dont l’un des murs faisait partie de cet hôtel et, après un peu d’escalade, j’entrai par la fenêtre pour me retrouver nez à nez avec deux vampires.

Ils semblaient assez surpris mais tout aussi amusés. L’un d’eux ne put s’empêcher de dire :

« - Voilà que le dîner vient à nous désormais !

- Je ne saurais être le plat de personne d’autre que le seigneur Vassili, je vous prierai de lui annoncer ma présence, j’ai quelques informations de la plus haute importance à lui révéler ».

Je me tenais néanmoins sur mes gardes pour déguerpir au cas où leur réaction eut été de m’attaquer.

L’un d’eux me demanda ce que je voulais au seigneur Vassili. Je répondis que je ne parlerai qu’à ce dernier mais que s’il voulait partager le contenu de la conversation que nous aurons, il le ferait. Voyant que le manque de jugeote n’était point le monopole de l’humanité, c’est toujours rassurant, je rajoutai que s’ils m’emmenaient au seigneur Vassili j’aurais bien du mal à m’échapper ou à le tuer seul. Ils ne risquaient donc pas grand-chose, si ce n’est d’être félicité par leur chef si jamais je m’avérais utile.

A ces mots, l’un d’eux quitta la pièce et revint quelques instants plus tard en me demandant de le suivre.

Je me rendis compte qu’en fait je ne devais pas être beaucoup plus intelligent pour obtempérer ainsi mais au fond il n’avait aucune raison de me tuer et, de ce que j’avais vu, j’avais toute confiance en Vassili pour reconnaître mon utilité et donc ne pas me faire de mal.

Je fus emmené à travers les couloirs peu éclairés de l’hôtel de ville jusqu’à la salle à manger où le seigneur Vassili était, selon toute évidence, en train de finir son dîner.

Sans dire un mot il me regarda d’un air interrogatif, je lui dis alors :

« Bonsoir messire, je me nomme Alfred et je viens vous révéler l’existence d’un réseau prévoyant une nouvelle révolte contre les vampires en cette ville. »

Son regard ne changea pas, ce qui dans un sens traduisait une certaine forme d’intelligence, et c’était bien là-dessus que je comptais pour assurer ma survie et peut-être même ma prospérité :

« Mais en effet après ces derniers évènements il eut été idiot de ne pas imaginer l’existence d‘un tel réseau, par contre je peux également vous mener à l’ensemble de ses membres et ce dès demain. »

Vassili finit d’avaler ce qu’il avait dans la bouche, puis me demanda :

« Seul deux types de personnes pourraient venir afin de m’informer de cela : un homme cherchant quelques avantages matériels ou bien un rebelle cherchant à nous mener dans un guet-apens, comment savoir que tu es de la première catégorie ? »

Je souris, il n’était en effet pas idiot, loin s’en fallait. Je répondis alors le plus calmement du monde :

« Et bien demain, à midi, je serai mené depuis la place centrale jusqu’à un lieu qui m’est encore inconnu afin de prendre connaissance de tout ce beau monde. Je ferai durer les discussions jusqu’à ce que vous soyez sûr qu’aucune embuscade n’est en place et que vous soyez également assurés qu’il s’agit bien là de rebelles. Une fois que vous estimerez avoir assez de garanties, je vous fais entièrement confiance pour découper tout ce qui bouge à ma notable exception. Et je ne dis pas ça par reconnaissance pour le service que je vous aurai rendu mais pour tous ceux que je pourrai vous rendre dans le futur si vous me conservez. »

Encore une fois mon salut dépendait de son intelligence cependant je ne doutais absolument plus d’elle. La seule chose que j’entendis en retour fut :

« Soit faisons comme cela. »

Puis les vampires qui m’avaient accompagné me ramenèrent dans la pièce où j’étais entré et je partis comme j’étais arrivé.

Le lendemain à midi une femme vint me chercher et me demanda si j’étais bien Albert.

« En effet, je dois avoir un physique bien singulier pour que vous m’ayez trouvé dans une telle foule », dis-je en rigolant.

« Vous faites une tête de plus que tout le monde ici », rétorqua-t-elle avec un léger sourire. Elle était petite et avait un visage tout à fait attendrissant surplombé d’une tignasse blonde d’où sortaient deux tresses qui lui arrivaient aux épaules.

Elle me fit la suivre et, après quelques déambulations pendants lesquelles elle s’assura que nous n’étions pas suivis, nous finîmes par entrer dans une maison un peu plus grande que d’accoutumé, dans laquelle une quantité impressionnante de personnes toutes serrées les unes contre les autres nous attendait. Je reconnus ceux que j’avais déjà vu la veille, ainsi que quelques autres visages que j’avais semble-t-il déjà croisés au cours de mon séjour dans cette ville.

J’entrai et avant même que j’eus le temps de dire quoi que ce soit, les disputes auxquelles j’avais eu droit la veille recommencèrent, encore amplifiées par le nombre de participants. Seule la jeune fille, Juliette de son prénom, me disait à l’oreille qu’ils étaient toujours comme ça. Cela semblait rendre cette bande bien sympathique à ses yeux. Après quelques minutes André s’approcha de moi en se frayant un chemin entre les convives et me présenta :

« Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, voici Albert : un fier capitaine de la légendaire armée de Sartov, poursuivi par les vampires, dont tous les camarades furent tués sous ses yeux et dont la famille a été éventrée et dévorée vivante sans la moindre pitié ! »

Tant d’exagération et de mensonges pour me faire accepter me firent sourire. Je me disais que ma famille avait bien de la chance d’être loin de tout ça et à peu près en sécurité.

Un nouveau barouf se fit entendre et je me demandais comment toute la ville faisait pour ne pas encore être au courant de notre présence et de nos activités. Il était vrai toutefois qu’une certaine joie de vivre couplée à une forme d’insouciance régnait en ce lieu et, malgré les disputes, une camaraderie que je n’avais plus connue depuis l’armée liait chacun de ces hommes.

C’est à ce moment que les vitres se brisèrent ! Des arbalètes pointèrent vers le groupe et tirèrent leurs carreaux. Au même moment des vampires en armure entrèrent en enfonçant la porte et découpèrent tous ceux qu’ils voyaient. Je me mis à l’écart et Juliette se jeta dans mes bras, tandis que la plupart des gens cherchaient à fuir en se marchant les uns sur les autres. Après cinq minutes de lutte décousue, les vampires marchaient dans les tripes des rebelles et une quinzaine de rescapés avaient été faits prisonniers.

Les survivants étaient tenus en joug par les gardes, tandis que Vassili s’approchait de moi. Je n’avais pas eu tort ! Nous n’avions pas été suivis mais durant tout le trajet je voyais des gardes ou des gens bien trop seuls et immobiles pour être honnêtes. Vassili avait fait placer des hommes à lui un peu partout dans la ville de telle façon que quelle que soit la maison dans laquelle nous allions pénétrer, il serait mis au courant. Le vacarme de ces gens avait fait le reste pour les convaincre de la nature du rassemblement.

Le seigneur vampire me demanda alors de tuer les survivants moi-même à commencer par la jeune femme qui était toujours dans mes bras. Avec son armure à tête de serpent Vassili était tout à fait effrayant, ce qui fit se blottir encore davantage Juliette. Une épée me fut tendue. C’est alors qu’André qui était en train de gésir dans son propre sang cria avec ce qui lui restait de force :

« Vous perdez votre temps, Alfred est avec nous… »

L’entendre crier toute la journée m’avait suffisamment indisposé comme ça. Je m’empressai donc de le faire taire à tout jamais avec ma lame. Juliette hurla et s’éloigna de moi. Un des hommes prisonniers hurla alors :

« - N’as-tu donc ni scrupule ni honneur ?

- Oh j’ai dû perdre tout cela quelque part au milieu de mes trente années de guerre » répondis-je avant d’embrocher la fille et de tuer les derniers survivants sans davantage d’hésitation. Vassili retint ma lame pour les deux derniers afin de pouvoir les interroger. Même lui semblait surpris par mon aisance. Il me dit :

« Je pensais que tu étais un lâche qui préférait trahir ses amis plutôt que de risquer ta vie dans une révolte… Mais en fait tu n’éprouves juste pas de sentiments, tu te fiches des autres tant que tu as la vie… Impressionnant, il faut des siècles aux vampires pour en arriver là et toi qui ne dois même pas avoir la cinquantaine tu en es déjà à ce point… Tu serais presque mûr pour succomber à la malédiction de l’ennui si tu n’étais pas mortel… »

Je le regardais sans trop comprendre de quoi il parlait, mais bon, j’avais la vie sauve et j’allais pouvoir continuer à en profiter sans souci dans cette ville et ce, je l’espère, jusqu’à la fin de mes jours.

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