Chapitre 39 : Préparer la campagne à venir
Godefroy
L’hiver n’était pas une raison pour arrêter l’entraînement. Surtout après le siège de l’année dernière durant lequel nous avons perdu presque mille-cinq-cents soldats. Beaucoup d’hommes venant d’Urnia sont arrivés à Altmar cette semaine afin d’y suivre une formation de fantassin plus poussée. Ils avaient repris des couleurs et du poids par rapport à la dernière fois où je les avais vus, tout affamés qu’ils étaient.
Néanmoins la prise de la cité, malgré les pertes, était du pain béni pour nos effectifs car elle était incroyablement peuplée, presque autant à elle seule que tout le territoire dont nous disposions avant cela. Sans compter les innombrables villages, fermes et moulins que nous avons pu prendre par la suite.
Je reçus donc la charge d’une centaine de nouveaux membres de la grande destinée, étant donné qu’il était désormais obligatoire de se convertir, tant afin de dévoiler la vérité aux nouveaux hommes libérés, que pour créer un lien spirituel entre des gens qui ne se connaissaient pas et ne partageaient rien jusqu’à aujourd’hui. Ces conversions n’étaient généralement pas trop dures à obtenir, en effet personne n’avait de vraie croyance auparavant et la plupart haïssait les vampires. Il y avait bien quelques individus qui croyaient en Valass et considéraient que leur place légitime était aux côtés des vampires à les servir mais après quelques semaines en notre compagnie, la liberté et la fin de la peur les faisaient vite changer d’avis. Les très rares fanatiques refusant éperdument de renier Valass par crainte de quelques châtiments se voyaient au bout d’un certain temps exécutés, il eut été en effet stupide de conserver des traîtres assumés dans nos rangs.
Les hommes que je tâchai d’entrainer étaient assez motivés, ils avaient déjà reçu quelques leçons et avaient été sélectionnés pour à terme rejoindre la deuxième compagnie. Jour après jour je formais mes troupes pour que jamais ma compagnie ne faillisse à sa réputation de mur infranchissable. Je leur enseignai donc le maniement de la hallebarde, de l’arbalète, de la hache et de l’épée ; comment former un rang, comment encaisser une charge de cavalerie, ou encore comment se retirer de la première ligne sans briser la formation si l’on est blessé.
Toutefois il sembla que je ne resterai pas bien longtemps à la tête de cette compagnie, en effet avec l’augmentation des effectifs résultant de la prise d’Urnia, l’armée fut de nouveau réformée et désormais un nouvel échelon a été créé. Les compagnies ont été réunies deux par deux afin de former des bataillons de mille hommes environ. Renaud me confia donc le deuxième, constitué des anciennes deuxième et cinquième compagnies, toutes deux jadis chargées d’encaisser les chocs sur la ligne de front. Me voilà donc commandant et je ferai tout pour que le second bataillon de l’armée des hommes soit à la hauteur des attentes de notre chef ! La devise de cette nouvelle entité est désormais : « Là où nous nous posterons, nul ne passera ! ».
Durant toute la saison les entraînements continuèrent, tant à Urnia qu’ici à Altmar. Nous apprenions à manœuvrer en compagnie, ainsi qu’en bataillon et nous, les officiers, étions formés à prendre des initiatives sur le champ de bataille. Etant donné que Renaud ne pouvait pas transmettre instantanément ses ordres et qu’il n’était pas omniscient, il fallait être capable de réagir en cas d’imprévu. Ainsi, comme Renaud le disait : « Les soldats doivent former leur corps et vous vos esprits. Qu’ils deviennent aussi affutés que vos lames ! ».
De petites manœuvres étaient donc régulièrement organisées afin de marcher, se mettre en ligne, se tourner d’un côté pour parer une attaque de flanc, puis sur un autre et ainsi de suite pendant tout l’hiver et ce malgré la neige. Tous les hommes apprenaient à se connaître et la cohésion ainsi que la réactivité de la troupe qui en résultaient s’en trouvaient renforcées de jour en jour. Lors de certaines manœuvres nous voyions même la cavalerie opérer. Je ne suis certes pas expert mais il me semblait qu’elle était bien plus compacte et véloce que l’hiver précédent où l’entraînement se faisait à tâtons. Albert a beau se moquer de notre cause, il semble connaître son affaire et, en voyant cela, je ne peux que me ranger de l’avis de Renaud ; si en servant ses propres intérêts il nous sert, tant mieux !
L’apothéose de ces mois d’entraînements fut atteinte lorsque le vingt mars l’armée toute entière fut réunie et qu’après avoir opéré nos plus grandes manœuvres de l’année, la cérémonie de remise des étendards fut donnée. Il s’agissait de remettre à chaque bataillon et escadron un drapeau sur lequel était brodé son numéro ainsi que sa devise. L’évènement fut des plus solennels et bientôt chaque unité reçut son fanion des mains de Renaud lui-même lors d’une cérémonie au flambeau à laquelle toute la population d’Altmar assista. Le premier régiment, qui était notre régiment d’assaut et dont la devise était « Qui ne craint pas la mort peut tuer sans remord » reçut son étendard en premier et je vis Charles, le commandant du bataillon, ému saluer Renaud, tandis qu’il se dirigeait vers nous. Il fit de même et je reçus de ses mains notre beau drapeau… J’étais si ému que je me mis à pleurer lorsqu’il me le tendit et, après m’avoir souri et que je l’ai salué en retour, il passa au troisième régiment.
La remise achevée, Renaud s’avança accompagné de Louis, qui m’avait désormais dépassé en grade de bon droit en devenant maître d’infanterie, et d’Albert le fameux maître de cavalerie. L’armée chanta alors à l’unisson le chant des rois pour prêter hommage à Renaud et à sa descendance, qui ne devrait plus tarder.
« Lorsque nous étions asservis
Du fond de la très longue nuit
Depuis les ténèbres surgit
Toi le grand forgeron promis
Renaud jadis notre sauveur
Tu es désormais notre roi !
Pour que nous oublions la peur
Et que nous retrouvions la foi
En toi coule le sang de l’élu
Que tes enfants un jour auront
En eux se trouve notre salut
Et c’est pourquoi nous les suivrons !
Et maintenant et à jamais
Guidez la fière race des hommes
Vers sa glorieuse destinée
Sans faillir, jusqu’à son summum »
Nous voilà donc le lendemain, en marche vers l’ennemi. Ils vont découvrir la puissance de l’armée des hommes ! Il paraît qu’ils sont plus de dix-mille mais qu’importe. Notre cohésion est sans égale et quand bien même ils seraient cent-mille, ils demeureraient sans entrainement, guidés par la peur et donc incapables de vaincre. Nul doute que parmi les soldats qui font face à nous, nombreux sont ceux en train de prier pour notre victoire et leur délivrance !
Albert
L’hiver touchait à sa fin mais l’armée n’avait pas chômé. Elle avait été réorganisée et entraînée aux manœuvres pour la campagne qui s’annonçait. Il y eut même une petite remise d’étendard qui fit son effet sur la bleusaille. Enfin, même moi je suis bien obligé d’admettre qu’elle était réussie.
Ainsi le soir même, après cette petite fête, Renaud me fit venir afin d’envoyer quelques informations à notre cher Vassili. Renaud avait visiblement un plan de campagne en tête bien qu’il ne m’en dit pas plus à ce sujet. La seule raison pour laquelle il m’avait fait venir était la rédaction d’une lettre pour ce seigneur. Renaud voulait faire croire à l’ennemi que son armée était composée uniquement de sept mille soldats et de quatre-cents cavaliers et que son plan était de marcher sur Arnov.
Je m’exécutais donc sous le regard suspicieux de Renaud qui me dictait jusqu’à la moindre virgule afin que je ne transmette pas par quelque signalement prévu à l’avance le fait que j’avais été découvert.
Une fois ceci fait, Renaud me demanda s’il savait pourquoi il m’avait fait écrire ce message. Je réfléchis un instant et me rendis à l’évidence qu’il ne servait à rien de feinter l’ignorance :
« J’imagine que cela a un double but. Le premier étant, évidemment, de tromper l’ennemi en lui cachant deux mille de vos troupes afin de pouvoir le surprendre le moment venu. Le deuxième but est qu’après que l’effet de surprise vous eut rapporté la victoire l’ennemi se rende compte de ma trahison, ainsi je n’aurai nul intérêt à espérer la victoire des vampires et je devrai tout faire pour que les humains l’emportent… Vous me sacrifiez comme espion afin de remporter une belle victoire et de vous assurer de la loyauté du maître de cavalerie… C’est habile j’en conviens. »
Renaud parut satisfait et me congédia en me disant le dos tourné :
« Si jamais tu comptes utiliser ton destrier pour déserter et prévenir les vampires en pleine campagne, sache que j’ai déjà pris des dispositions. Ta tente sera toujours au milieu du camp et les montures seront très surveillées. De cette façon tu ne pourras ni fuir à cheval, ni à pied sans quoi les soldats de garde te verront. Ainsi sans dévoiler ta véritable nature à aucun de mes hommes, je te rends incapable de nous trahir… Alors maintenant fais en sorte que notre cavalerie s’illustre au combat car notre victoire est ta seule chance de salut ! »
Sans dire un mot je quittai la pièce en réfléchissant à des moyens de déserter mais entre les deux autres qui me surveillent tout le temps et ces dispositions ; cela devenait très difficile… J’allais finalement être contraint de me battre pour les hommes dans une guerre qui a toutes les chances d’être perdue… Mais ce Renaud… Il est fort… Très fort… Peut-être qu’en pariant non pas sur son intelligence mais sur son génie il existe une petite chance que tout cela se finisse effectivement pas la défaite des vampires… Je devrai alors pouvoir écouler d’heureuses dernières années… Dire que j’en suis réduit à un pari aussi risqué mais il semble que ce soit le dernier qu’il me reste.
Irina
26 mars de l’an 5006 après la guerre des sangs.
L’armée s’agita enfin et était sur le départ avec le comte de Similinmar à sa tête. Les treize mille hommes ainsi que les six-cents chevaliers, dont Eryk et le seigneur Vassili, s’en sont donc allés à la rencontre de Renaud ! D’après mon garde du corps, les humains les ont surpris, en effet le comte comptait suivre l’Artère jusqu’à Urnia et forcer ainsi la bataille sous peine de faire perdre aux humains leur plus grosse ville. Cependant ils ont été devancés, les humains sont ainsi partis un peu plus tôt d’Altmar en direction d’Arnov.
C’est pourquoi le départ comme les au revoir furent précipités. Ce matin le tocsin sonna à l’aube, la situation fut sommairement expliquée au reste de la troupe et le départ fut ordonné dans l’heure qui suivit. Je n’eus que quelques instants pour souhaiter bonne chance à Eryk. J’espère sincèrement qu’il va survivre…
Il est impressionnant de voir qu’en à peine deux heures la ville qui était jusqu’ici remplie à ras-bord de vampires et de soldats se retrouva déserte. Me voilà désormais presque seule vampire en compagnie de femmes et de filles des seigneurs partis à la guerre, ainsi que d’une vingtaine de chevaliers chargés de maintenir l’ordre et l’intendance sur place. Quelques humains profitèrent du départ de l’armée pour provoquer une émeute dès l’après-midi en hurlant quelque-chose comme « Pour le grand protecteur !» mais ils étaient peu nombreux et les gardes accompagnés par les chevaliers ramenèrent rapidement le calme.
Ces humains ne devaient pas être les plus intelligents pour ainsi se révolter ouvertement contre des vampires en si faible nombre. Je me demandais qui était ce « grand protecteur » ? Peut-être un martyr de la cause humaine mort dans la région il y a peu, qui sait ?
Me voilà donc à Vanov, inutile au possible et pleine d’inquiètudes. En effet le comte de Similinmar semble avoir lu les rapports des observateurs ayant analysé les batailles qu’a livré Renaud jusqu’ici et il ne le sous-estime pas. D’après ce que j’ai réussi à obtenir comme information auprès des officiers durant leur séjour, le comte prend cette affaire très au sérieux ! Il a même fait entraîné les humains pour qu’ils ne soient pas trop ridicules face aux vétérans de Renaud. Pour la première fois il va devoir affronter un général aux compétences éprouvées, qui ne le sous-estime pas et sans davantage d’informations de ma part… J’espère que Renaud s’en sortira…
Pour ma part je me prépare à m’ennuyer, attendant ici patiemment que Nikolaj m’envoie enfin une lettre m’assurant que je puisse retourner à Valassmar en toute sécurité. Je ne tiens pas à ce que mon rôle dans cette guerre s’achève ici, ne pouvant plus servir à rien faute d’information. Non, ceci n’arrivera pas et si la lettre de Nikolaj n’arrive jamais je retournerai malgré tout à Valassmar, dus-je y risquer ma vie !
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