Chapitre 45 : Piotr IV
Christina
Je me marie, je m’efforce de tomber enceinte et voilà que j’apprends que ce Miroslaw adopte un noble afin de me voler l’alliance pour laquelle j’ai tant sacrifié… Plus cette guerre dure, plus je hais Orania… Bientôt toute ma haine et ma volonté ne suffiront plus à nous faire gagner ce conflit. Si la flotte d’Ishka entre en jeu, tous nos ports seront bombardés par leurs infâmes navires… Qui plus est j’apprends que cet imbécile de Dmitri est en train de comploter pour me renverser… Il en est même à inventer des rumeurs comme quoi je ne suis pas la véritable Vassilissa… Sans même se douter un seul instant qu’il dit vrai…
Je me demande de plus en plus ce que fait Aartov… C’est comme s’il ne se passait rien là-bas…. De temps à autre j’apprends qu’une place a été prise, puis j’apprends qu’une autre a été perdue… Il semble qu’aucun des protagonistes ne recherche la bataille… Si la situation continue ainsi, nous perdrons la guerre ! Boris II ne comprend-il pas qu’il doit tenter quelque chose ? J’ai beau être de sa famille désormais, j’ai l’impression qu’il cherche avant tout à ne pas subir trop de pertes au lieu de remporter des batailles, qu’importe les conséquences pour mon royaume ! Enfin, voyant que la situation de son côté n’évoluerait pas, il a eu la bonne idée de m’envoyer trois mille hommes. Avec ce renfort me voilà avec une armée de près de trente-mille soldats bien approvisionnés grâce au marquis de l’ouest et à sa forteresse.
Heureusement que la révolte des hommes en Orania continue de s’étendre sans quoi notre situation serait vraiment désespérée. Malgré tout, l’attente se fait longue. Cela fait plus de deux mois que nous empêchons tout ravitaillement de parvenir au duc de Cracvonia mais ce dernier parvient encore à tenir Joltourmar en pillant les champs alentours. Ceci dit, d’après mes éclaireurs, il n’y aura bientôt plus rien à piller. Nul doute qu’il attendait que l’armée qui a été défaite contre les humains viennent en renfort pour nous forcer à libérer la route d’approvisionnement mais cela ne s’est de toute évidence pas passé comme prévu. D'ici peu de temps il n’aura d’autre choix que de nous attaquer s’il ne veut pas mourir de faim… Notre position est sûre et fortifiée depuis le temps. Si nous gagnons, il n’aura nul endroit où se replier… Je capturerai donc d’un coup plus de vingt-mille hommes, ainsi que le duc dont les tortures et l’exécution que je lui prépare hantent mes rêves les plus doux. De plus une victoire ici devrait dissuader les nobles de soutenir mon frère… Je joue gros indubitablement mais nous avons désormais la supériorité numérique, une position forte et mes généraux sont très motivés ! Il n’y a nulle raison que nous perdions. Enfin s’il décide de nous contourner par le nord, il découvrira une région accidentée, de laquelle il ne connaît rien et où il nous sera fort aisé de le harceler, de le prendre à défaut, puis de le vaincre.
Irina
24 juillet de l’an 5006 après la guerre des sangs.
Une semaine que toute la cour d’Erhiv est arrivée à Valassmar, dont le fameux Piotr IV et sa fille. Cette dernière est bien moins jolie que ce qui se racontait. J’imagine que lorsqu’on est une princesse on est courtisée qu’importe son poids après tout. Ainsi Nikolaj qui a gagné il y a peu le privilège de se faire haïr par quasiment toute la cour et de voir son espérance de vie grandement amoindrie va se retrouver à devoir épouser une princesse pour le moins fort large. Malgré tout, Nikolaj ne semblait pas s’en émouvoir. Il était aussi galant que d’habitude, se contentant simplement de complimenter sa dulcinée sur d’autres aspects que son physique, comme ses remarquables vêtements par exemple.
Avec la cour était également arrivée une armée de douze-mille hommes qui devait nous prêter main forte. Il s’agissait sans doute là du prochain adversaire de Renaud mais il semble que les soldats d’Ishka ne sont ni mieux équipés ni mieux disciplinés que ceux d’Orania. Un autre avantage de cette arrivée fut que la compagnie des semblables ne serait désormais plus payante, puisqu’elle demeure vassale du roi d’Ishka. D'ailleurs ces mercenaires se joindront au reste de l’armée étant donnée la passivité du front contre Aartov. J’allais donc pouvoir revoir ces fiers guerriers, avides de justice et de paix entre les races.
Durant toute la semaine les festivités furent somptueuses et, comme il fallait s’y attendre, la point d’orgue fut atteint lorsque le mariage fut célébré. La cérémonie dans la cathédrale était des plus impressionnantes. Après que les mariés eurent chacun bu une goutte du sang de leur conjoint et qu’ils eurent juré de fonder une famille pour la gloire de Valass, le prince et la princesse s’embrassèrent et toute l’assemblée applaudit, avec plus ou moins d’entrain. Le plus heureux dans tout cela fut sans doute Piotr IV qui semblait véritablement vouer un amour sans borne à sa fille. L’imaginer un jour reine d’Orania le transportait de joie. Pour un souverain il me paraissait à la fois naïf et goguenard. Nul doute qu’il faisait un bon père mais de là à en faire un bon roi… Il ne semblait pas se douter un instant des risques qu’encouraient son beau-fils pour ainsi voler les droits des futurs enfants de Miroslaw.
Il se contentait de plaisanter tantôt avec notre roi, qui ne semblait pas beaucoup apprécier le personnage, et tantôt avec Nikolaj qui, sans que je ne sache jamais s’il s’agissait là de comédie ou non, riait de bon cœur à chacune de ses boutades et passait même bien plus de temps que la politesse ne l’exigeait avec son désormais beau-père. La soirée fut fort animée et arrosée. J’étais pour ma part au fond de la grande salle de réception, avec quelques barons d’Ishka qui étaient ravis d’aller se battre contre des humains plutôt que contre d’autres vampires. Ils n’étaient sans doute pas au courant que jusqu’ici ces "êtres inférieurs" avaient été de bien plus redoutables adversaires que les deux royaumes s’étant liés contre Orania. Enfin, le mépris des vampires pour les hommes est quelque chose de naturel.
Ma plus grande tristesse lors de ce mariage fut que la compagnie des semblables n’était pas arrivée à temps. Il sembla cependant que cela ne dérangeait que moi car les autres nobles d’Ishka ne manquaient pas une occasion de conspuer ces hérétiques, qui ne pouvaient vivre selon leur foi et leurs coutumes que grâce à la faiblesse de feu Kazimierz II dit « le chanceux ». Non content d’avoir été l’un des pires rois de l’histoire, il avait également promulgué cette « exception de non hiérarchie ». J’avais beau être en profond désaccord, je fis mine d’être du même avis que mes voisins de tables.
Pendant tout le repas, bien que fort éloignée, je pouvais voir autour de la table principale les deux familles royales avec au milieu les mariés liant tant visuellement que politiquement nos deux pays.
La soirée continua et après le repas vint le bal. Je fus invitée par quelques nobles mais vu le rang des vampires de la cour, j’imagine qu’il s’agissait là de politesse. Certains seigneurs d’Ishka me faisaient même du charme. Peut-être leur a-t-on raconté quelques histoires sur la vertu des femmes d’Orania mais sans que cela ne m’intéresse de savoir si une telle réputation eut pu être fondée, je ne tenais pas à me désavouer, qui plus est avec des étrangers. La réception suivit ainsi son cours sans qu’aucun fait notable ne se produisit, si ce n’est la haine constante que le regard de la reine semblait afficher à l’endroit de Nikolaj mais cela finissait par faire partie du décor. A la fin du bal, avant que les mariés n’aillent se coucher, chacun dût aller leur faire un présent et leur souhaiter les vœux habituels.
Nous attendions par ordre de préséance ce qui me positionna en queue de cortège. Lorsque je parvins au niveau du couple après une interminable attente, Nikolaj me présenta à Youlia me décrivant comme : « Une dame de fort bonne tenue et compagnie, en qui j’ai toute confiance ! »
Youlia me sourit d’un air timide et me remercia lorsque je tendis au couple un livre intitulé « Les fondateurs d’Orania », retraçant l’histoire de la fin de la guerre des sangs et des deux premiers rois de notre royaume. Il s’agissait d’un livre que j’adorais étant petite. C’est peut-être en parti lui qui me fit aimer les hommes. En effet les passages décrivant les souffrances des humains me faisaient davantage ressentir de la pitié que du mépris à leur égard. Je le connaissais par cœur à force de le lire et le relire, c’est donc sans regret que je leur offrit.
Les deux époux me remercièrent d’un air franc puis je partis. Cette cérémonie fut au fond assez réussie mais bientôt vont s’ouvrir les préparatifs de la campagne de l’année prochaine, je suis bien curieuse de savoir comment Renaud va vaincre l’armée qui va lui être envoyée cette fois-ci.
Godefroy
La guerre continuait. Je réalisai que bien des camarades avec qui cette aventure avait commencé, à Antamar, étaient désormais morts ou estropiés. Dont Laurent et Arthur… Deux des cinq premiers officiers de Renaud… Je ne connaissais pas vraiment Laurent mais je m’entendais fort bien avec Arthur. Il n’était pas très futé mais qu’est-ce qu’il était fort ! A l’époque j’étais commandant de la garde… Je ne me souviens même plus combien de gens ont été exécutés par mes gars pour le bon plaisir de Miroslaw, notre terrible maître. A cause de ses atrocités j’avais pris l’habitude de ne me lier avec personne, de vivre malheureux et de mal dormir…
Dieu merci le grand forgeron nous est arrivé, dans mon propre village qui plus est ! Il nous a sauvés ! Désormais notre vengeance approche. Bientôt tous les vampires de cette terre subiront ce qu’ils nous ont fait subir pendant des siècles et même des millénaires : la souffrance, le désespoir et la mort. Certains pensent que Renaud ne hait pas suffisamment les vampires, qu’il cherche un compromis avec eux mais qu’importe qu’il les haïsse pourvu qu’il les détruise… Qu’importe s’il recherche un compromis, jamais les vampires ne l’accepteront. Nos deux races ne peuvent pas coexister… La création d’un royaume indépendant peuplé d’humains ne serait jamais qu’une trêve. Il n’y aura de paix que lorsqu’un des camps aura été exterminé. En y réfléchissant l’humanité ne peut que gagner. Quand bien même nous perdrions maintenant, les vampires nous réduiraient en esclavage mais ils ne nous extermineraient pas. Ils sont trop habitués à ce qu’on fasse les sales besognes. Ils sont trop habitués à nous avoir comme souffre-douleur…
Par contre jamais nos révoltes ne cesseront et un jour, fut-ce dans mille, dix-mille ou même cent-mille ans, une révolte réussira. A ce moment nous exterminerons tous les vampires pour que plus jamais de guerre il n’y ait. Le grand protecteur le sait. Même si Renaud meurt, sa légende perdurera. Il n’y a pas une ville du royaume dans laquelle un prêtre ne prêche pas. Il ne doit pas y avoir un humain qui ignore qu’il a désormais un roi et qu’il en aura toujours un ! Peut-être qu’une vie ne suffira pas à écraser les vampires, peut-être qu’une génération n’y suffira pas mais, après tout, le Grand Protecteur nous apprend à nous battre non pas pour nous, non pas pour nos enfants mais pour notre race ! Qu’importe nos souffrances si à la fin l’humanité triomphe !
Cette pensée me rassure. Pourtant elle est inutile. Je reste persuadé que nous vaincrons sous Renaud. A chaque fois que je le vois, il est en train de réfléchir à la prochaine action à mener. Il ne néglige rien ; il gère la guerre mais également l’entrainement, la justice, l’économie, les fêtes… Pas un des aspects de notre communauté ne lui échappe et il n’y en a pas un où il n’excelle. A chaque poste il trouve quelqu’un de compétent et sa popularité est immense. Les enfants chantent son nom lors des processions en son honneur, les prêtres répandent sa légende partout dans le royaume et pas un parmi nous ne le révère. Certes s’il perd l’humanité, elle, ne mourra pas mais comment le grand forgeron peut-il être vaincu ? Comment peut-on même songer à sa défaite ? Jamais il n’a échoué et lui seul peut nous guider ! Je suis d’ores et déjà impatient de découvrir les projets divins que Dieu nous réserve. Qu’est-ce qu’un être aussi puissant et prévoyant que le Grand Protecteur peut bien nous réserver ? Je ne suis plus tout jeune, mais j’espère le découvrir avant de mourir.
Irina nous a rapporté qu’une alliance avait été faite entre le royaume d’Ishka et celui d’Orania et qu’une armée de douze mille hommes au moins allait nous attaquer, ainsi qu’une flotte de guerre. Il y a deux ans j’aurais cru notre cause perdue mais aujourd’hui rien ne peut plus m’inquiéter. Que les quatre royaumes s’allient contre nous s’ils le veulent, nous ne faillirons jamais ! Renaud a d’ores et déjà fait préparer des trébuchets sur les tours d’Altmar afin de repousser tout navire ennemi qui essayerait de s’approcher. Pendant ce temps ce sont plus de dix-mille nouveaux hommes qui sont à l’entrainement, tandis que nos manœuvres continuent. Tout l’arrière-pays d’Arnov a été conquis, presque sans résistance ni perte. Plus le temps passe, plus l’emprise de Renaud sur les cœurs et les corps des hommes augmente. Et plus il a d’emprise sur nous, plus nous sommes puissants, puisque lui seul est capable de nous guider hors des ténèbres d’où nous venons ! La liberté est proche !
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