Petits cailloux

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 — Allez, s'il te plaît, donne-moi encore de l’ayahuasca !

 — Non, ça suffit pour l'instant, Dan. Tu as encore besoin de mûrir d'abord.

 — C'est pour ça que tu m'as fait revenir ? Pour me dire – il esquissa une grimace – « Non, tu as encore besoin de mûrir, Dan ! » OK, c'est bon, j'ai compris : tu t'ériges en directeur de pensée. Tu te dis, il est revenu, il me mange dans la main, j'en fais ce que je veux, je vais le faire mariner, histoire qu'il comprenne qui est le chef. Va te faire voir Jo, moi, je me casse ! »

 Ça faisait maintenant un mois que Dan était revenu au Pérou. Il n’arrivait pas à se décider à repartir. Par moment, il se sentait chez lui, au cœur de la jungle, là où il aurait dû naître, lui semblait-il. Mais, parfois, il était nostalgique. Mathilde lui manquait, et puis, tout n’était pas toujours rose ici. Il arrivait que Jo soit trop abrupt avec lui. Il avait l’impression de retourner dans son foyer avec son éducateur et des participants aux stages qui passaient leur temps à arriver puis repartir. Jusqu’ici, il avait pris sur lui, en quête de stabilité, mais il avait le sentiment de stagner. Souvent, il se surprenait à penser que s’il voulait retrouver un jour sa famille, il fallait qu’il quitte son nouveau campement. Mais l’idée de les abandonner l’avait jusqu’ici empêcher de sauter le pas. Cette nouvelle dispute était peut-être finalement l’occasion qu’il attendait pour mettre les voiles. Dan, furieux, fonça vers son pavillon, attrapa son sac et retourna voir Jo :

 — J’me casse et n'espère même pas me revoir en rêve. Tchao.

 — Attends Dan : pars si c'est ce que tu veux. Mais quand tu seras calmé, quand tu auras compris que je ne te veux pas de mal, alors je veux que tu reviennes me voir.

 — C'est ça, ouais!

 Dan tourna le dos à Jo et, sans regarder derrière lui, se dirigea vers l’unique chemin qui menait au camp. Arrivé sur la route, il marcha encore une bonne heure avant d’apercevoir, à son grand soulagement, le bus qui assurait la liaison entre Iquitos et Punchana. Arrivé à l'aéroport, il se présenta au guichet afin d'acheter un billet retour. Lorsqu'il arriva devant l'hôtesse, elle lui demanda où il voulait aller. Dan la regarda un cours instant, interdit. Et il fondit en larmes :

 — Je ne sais pas... Je ne sais pas où aller ! J’ veux pas le laisser !

 Il se retourna alors vers le hall principal et repartit vers la sortie principale en sanglotant, ses mains jointes devant son visage pour tenter de cacher maladroitement les larmes qui ruisselaient le long de ses joues. De retour dans le campement, quelques heures plus tard, il portait encore les stigmates de sa tristesse.

 — OK, c'est bon, j'attendrai… donna-t-il pour toute explication à Jo.

 Puis, il rangea son sac à dos, ferma la porte de sa chambre, s'assit à table et commença à sortir de l’herbe de cannabis, la posa sur une feuille et la tassa rageusement sur le papier. Alors qu'il s'appliquait à rouler convenablement son joint, qui allait s' avérer vraiment épais, Jo fit irruption dans sa chambre.

 — Viens voir, au lieu de fumer cette merde, je veux te présenter quelqu'un.

 Curieux, Dan s'abstint de faire une quelconque remarque et suivit Jo sans rien dire.

 — Dan, je te présente mon fils. Il vient d’arriver. Il était à Paris. Miguel, c'est Dan, le jeune homme dont je t'ai parlé.

 — Salut, dit rapidement Miguel. Mon père m'a beaucoup parlé de toi et a insisté pour que je te rencontre. T'es un jeune de la DDASS, c'est ça ?

 — Ouais. Et toi, tu fais quoi dans la vie ?

 — Dans la vie? Dans la vie, j'ai une maîtrise en droit. Je prends actuellement un peu de vacances et j'en profite pour rendre visite à mon père.

 Tout ce que pouvait représenter ce garçon l’agaçait au plus haut point. Il avait envie d'une seule chose : lui mettre son poing d'enfant de la Ddass dans sa petite gueule de petit bourgeois fils à papa. Pourtan, il répondit :

 — Et sinon, tu fais quoi dans la vie, insista Dan ? Parce que, une maîtrise de droit, c'est pas ça qui nourrit son homme, n'est-ce-pas ?

 — Oui, peut-être mais c'est déjà ça... Et toi, à part enfant de la DDASS, tu fais quoi ?

 — À part ça, je t'emmerde !

 — Moi aussi, petit parasite !

Dan ne put s'en empêcher : il lui sauta dessus immédiatement. Il voulait lui régler son compte, à ce petit con. Mais déjà, Jo, semblant avoir anticipé, s'était jeté sur Dan pour l'arrêter.

 — C'est bon tous les deux, vous vous calmez ! On a compris que vous ne vous appréciez pas. Mais prenez le temps de vous connaître et après vous verrez. De tout façon, ici, je veux pas de bagarre alors vous vous débrouillez autrement, OK ?

 — OK, 'pa .

 Dan écouta ce jeune homme dire papa. Et un instant, il eut envie de dire lui aussi « OK 'pa. » Même si, se dit-il, il n'aurait jamais pu dire OK papa à son géniteur mais plutôt lui mettre à lui aussi son poing dans la figure. Il ne le connaissait pas mais un mec qui pouvait abandonner son gamin à la naissance, il ne méritait pas autre chose.

 — OK Jo. Après tout, Jo lui avait beaucoup donné et il lui devait au moins ça : accepter son fils ,aussi débile soit-il. Même s’il fallait aussi penser à sauver les apparences. Il opta donc pour un silence évocateur et exprima son mécontentement en regagnant son pavillon. Sans oublier de claquer la porte. Vers une heure du matin, quand il fût sûr que tout le monde était parti se coucher, il se glissa à l'extérieur, un joint dans une main et une bouteille de Jack Daniel’s dans l'autre. Il tapa doucement à la porte de Miguel. Si Dan pouvait parfois être colérique, certainement à cause de cette sensibilité qui l'avait accompagné toute sa vie, surtout vis à vis de tout ce qui concernait la famille, il n'était absolument pas rancunier. Parce qu'il savait à quel point la vie pouvait être compliqué, à quel point on pouvait parfois se tromper, s'engager dans une voix sans issue et le regretter amèrement par la suite, comme ce fut le cas quelques heures auparavant, il savait la nécessité de tourner la page sans regarder derrière soi. Vivre dans l'urgence lui avait donné le courage d'oublier.

 — C'est Dan. Je viens fumer le calumet de la paix, expliqua-t-il. On va pas rester facher quand même, ça serait dommage. Tu m'ouvres ?

 La porte s’ouvrit immédiatement. Deux heures plus tard, on les entendait rire. Ils étaient devenus les deux meilleurs amis du monde.

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