Peter Pan

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 — Arrête de tourner en rond, Charlie et écoute : il y a un problème.

 — Oui, je sais qu'il y a un problème. C'est pas normal que maman ne réponde pas au téléphone. La première fois, je veux bien mais, là, ça fait deux jours qu'on essaye de la joindre sur son fixe et son portable et elle décroche toujours pas ! Ce n'est pas que j'ai particulièrement envie de lui parler mais, depuis que je suis devenue écrivaine, en général, elle me répond assez vite... Je ne sais pas, elle doit penser que je suis millionnaire et que je vais avoir envie de lui offrir de nombreux cadeaux...

 — Non, pas ça. Autre chose. Regarde, dehors, ces gros pigeons colombins, là, sur le rebord de la fenêtre : ils s'agitent. Écoute-les : leur pépiement n'est plus le même, il est beaucoup plus aigu que d’habitude ! Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Alors, arrête de parler deux secondes, s’il te plaît, et laisse-moi me concentrer.

 Décontenancée, Charlie se tut et essaya d'entendre ce qui avait bien pu changer. Elle se concentra, essaya d'écouter le chant des oiseaux, faillit répondre à Dan qu'il fallait peut-être arrêter les drogues, le regarda et se ravisa.

 Dan, figé, les bras levés vers le soleil qui déclinait doucement, le regard dans le vide, était devenu, en un instant, aussi pâle qu'aurait pu l'être un fantôme. Elle se pencha pour l'observer de plus près et vit ses lèvres remuer. Il semblait parler à quelqu'un. Elle n'osa plus bouger un cil et resta immobile, près de lui à tenter de saisir ce qu'il pouvait bien dire.

 Soudain, il sembla se réveiller, son regard tomba sur sa sœur, juste devant lui et il sursauta :

 — Qu'est-ce que tu faisais ?

 — Qu'est-ce que je faisais ? Tu plaisantes, j'espère, s’insurgea Charlie !

 — Ils arrivent. C'est la police.

 — La police ? Encore eux ! Mais pourquoi ils viendraient nous voir ?

 — J'en sais rien, moi. Je ne suis pas devin ! Mais c'est eux.

 — Alors, viens, on se tire. On sait jamais...

 — Pourquoi tu veux te tirer ? Tu n’as rien à te reprocher ! … Non ?

 — Oui, enfin non : j'en sais rien. Avec les flics, de toute façon, s'ils veulent nous parler, c'est qu'ils nous reprochent forcément quelque chose. Et puis, je te signale que ça fait deux jours qu'on arrive pas à joindre ma mère, enfin, notre mère, je veux dire. Alors s'il est arrivé quelque chose à notre chère génitrice et qu'en venant chercher quelques renseignements, ils trouvent chez moi un frère sorti de nulle part, ça risque de faire désordre. Dan, je viens à peine de te retrouver, je ne te perdrai pas ! Tu as débarqué un beau jour, comme-ça dans ma vie, expliqua-t-elle, en accompagnant d'un claquement de doigts le geste à la parole. Tous les jours, j'apprends un peu plus à te connaître. J'ai enfin trouvé un membre de ma famille à peu près normal qui ne hurle pas pour s'exprimer, qui pense aux autres... Auprès de toi, je me sens écoutée, apaisée, presque heureuse, si tant est que je puisse définir un sentiment que je n'ai jamais connu. Alors s'il-te-plaît, ne gâchons pas cette nouvelle histoire qui commence !

 — On s'expliquera : on a rien fait !

 — Bien sûr ! Mais, crois-moi, il vaut mieux être dehors pour s’expliquer ! Allez, je t'en supplie, Dan, viens avec moi !

 Elle prit son frère par le bras, attrapa un sac, ouvrit la fenêtre et s'y engouffra. Dan n'eut d'autres choix que de la suivre quand il entendit des voix crier « Police, ouvrez ! » Mais, déjà, Charlie avait attrapé une échelle posée contre le rebord du toit et, après avoir longé celui-ci avec une dextérité étonnante, courrait vers d'autres horizons... Même s'il n'était pas d'accord avec elle, il ne put s'empêcher de piaffer d'impatience à l'idée de visiter Paris en passant par ses toits. Enfin, un peu d'air dans cette ville à laquelle il avait du mal à se refaire après avoir vécu si longtemps en osmose avec la nature. Il suivit donc sa sœur qui semblait avoir vécu toute sa vie là-haut jusqu'à ce qu’ils arrivent derrière une large cheminée. Charlie s'arrêta, se cacha derrière et s'assura qu'elle n'était pas suivie.

 — Qu'est-ce qu'on fait maintenant, Dan ?

 — Comment-ça, qu'est-ce qu'on fait ? Je te signale que c'est toi qui as pris l'initiative de t'enfuir ! Et maintenant, tu me demandes : « Qu'est-ce qu'on fait Dan » !

 — Oui, parce qu'on peut pas aller chez Caro : ils vont faire le rapprochement en deux secondes. En fait, je n'ai pas grand monde d'autre, assez fiable, chez qui aller. Et puis, tout le monde me connaît, à commencer par les flics ! Par contre, toi, personne te connaît ici...

 — Bon, dit-il en se tenant la tête entre les mains, moi, j'ai Thomas et Mathilde ici. Et, je pense qu' au vu de la situation dans laquelle on est, il vaut mieux aller chez Thomas : Mathilde a déjà eu son lot de problèmes à cause de moi !

 — OK, on y va alors. Il habite où ?

 — Rue Hautefeuille. Le 2.

 — Ok, c’est bon, c’est faisable !

 — Et on passe par où pour descendre?

 — On descend pas!

 — Comment ça, « on descend pas » ! Rue Hautefeuille, je t'ai dit. C'est pas très loin, je te l'accorde mais c'est quand même à quelques pâtés de maisons d'ici ! Alors, à moins que tu t'appelles Spiderman, ça risque d'être compliqué ton histoire !

 — Dan,... je suis une artiste !

 — Et alors ?

 — Et alors, avec moi, on rêve ! Je ne suis pas Spiderman, je suis Peter Pan !

 — Et l'artiste se promène souvent, comme ça, sur les toits ?

 — Oui, très souvent. Et ça m'amuse follement ! Ça me divertit, reprit-elle sur un ton sérieux. Puis, elle retrouva son esprit enjoué : Un jour, je me suis même cassée une jambe. On avait trop bu, avec des copines, trop... Enfin, je suis tombée. Un grand moment de solitude quand les pompiers sont venus me chercher sur le toit ...

 Sur ce, elle haussa les épaules, reprit son échelle et continua sa course effrénée vers le nord de la capitale. Dan la suivit tant bien que mal : jamais il n'aurait pensé que sa sœur puisse être aussi talentueuse pour se mouvoir dans l'espace. Trop occupé à se demander comment elle allait réussir à les faire passer au-dessus des ruelles environnantes, il ne vit pas que Charlie s’était arrêtée, et faillit basculer dans le vide. Mais, de son bras gauche, elle le stoppa net.

 — Attention, tu vas tomber ! N'essaye pas de voler, c'était une blague, Peter Pan ! Prends plutôt ça.

 Stupéfait, Dan vit une longue tyrolienne traverser la ruelle de part en part.

 — Qu’est-ce que c'est que ça, ne put-il s’empêcher de demander ?

 — Ça, c'est un réseau. Un réseau de tyroliennes et de cordes suspendues au-dessus des ruelles avoisinantes qui nous permet, moi et mes copines, d'aller où bon nous semble autour de chez nous ! Pour ça, il faut une bonne copine fan d'accrobranche et beaucoup d'autres qui habitent un peu partout. Et voilà, avec ça, les flics peuvent toujours courir ! Regarde, je te montre : tu mets juste le mousqueton et... tu t'envoles. Tiens, lui dit-elle en lui tendant le matériel, tu y vas et je te suis. Ne t'inquiètes pas, tout est très sûr.

 Dan lui lança un coup d'œil et attrapa le mousqueton. Non seulement il avait très envie d'essayer la tyrolienne, mais il était hors de question qu’il perde la face devant sa sœur. Après une vérification méticuleuse du matériel ainsi qu'une toute aussi longue prière, il se lança dans les airs. Bientôt, il sentit ses pieds quitter le sol puis valser librement au-dessus de Paris. Au bout de quelques secondes, il aperçut le toit sur lequel il était censé atterrir. Celui-ci se rapprocha, inexorablement. Désespérément, il balança ses jambes à la recherche d'une surface dure et parvint, tant bien que mal, à poser ses pieds sur la terre ferme.

 Remis de ses émotions, il vit Charlie lui faire signe de tirer une corde. Il opina, défit son mousqueton et tira la longue corde qui traînait sur le toit pour le lui faire parvenir. Quelques minutes plus tard, Charlie l'avait rejoint. Ils continuèrent ainsi tous les deux à progresser, de toits en toits, traversant quelques ruelles et finirent par arriver en face de l'immeuble de Thomas.

 — Voilà, c'est bien là, indiqua Dan. La fenêtre au deuxième étage. Regarde, c'est marrant, on voit Thomas par la fenêtre du salon.

 — Ah oui, je le vois. Ben dis-donc, il a l'air mignon ton copain ! S'il est aussi beau de près, tu me le gardes !

 — Tu rigoles : tu as vu ce que tu fais aux hommes !

 — Qu' est-ce que je leur fais ?

 — Tu leur sautes dessus d'abord et après... Après, je n'ose pas imaginer quel sort tu me réservais, dit Dan en riant.

 — Après, je t'aurai piqué ton portefeuille tout simplement...

 — Quoi! Tu piques le portefeuille des mecs avec qui tu couches ! Tu n'as pas honte ?

 — C'est pas pour moi, c'est pour ma copine, se défendit Charlie : elle est encore étudiante, elle a pas beaucoup d'argent...

 — Et alors !

 — Attends, je leur fais pas de mal ! Ils sont même très contents, en général, quand ils repartent... Bon, quand ils s’aperçoivent qu’ils n'ont plus un rond sur eux ni, non plus, leur chéquier , c'est sûr, ils râlent un peu...

 — Ils râlent un peu ! Tu m'étonnes ! Et ensuite, tu n'as jamais eu de problèmes avec eux ?

 — Non, mentit-elle. A croire qu’ils aiment ça, commenta-t-elle, un brin provocatrice.

 Dan ne releva pas et préféra aborder le problème par un autre angle :

 — Pourquoi tu fais ça Charlie ? Ce n'est pas seulement pour ta copine, tu le sais très bien !

 — J'en sais rien Dan lui répondit-elle agacé. Et elle choisit de contre-attaquer :

 — Toi, tu sais très bien que parfois on ne sait pas ce qui nous pousse à agir. Regarde, toi, pourquoi tu n'as pas voulu parler à notre mère au téléphone, t'expliquer avec elle ? Pourquoi tu ne l'as pas fait alors que t'en crevais d'envie ? Pourquoi tu ne parles jamais d'elle alors que tu rêves de savoir à quoi elle ressemble ?

 Touché ! Mais Dan ne capitula pas pour autant :

 — J'attendais qu' elle vienne me voir. Et je sais qu’elle finira par avoir envie de me connaître. Je dois juste lui laisser le temps de comprendre et d'assimiler le fait que je suis revenu. Il lui faut juste du temps. S'il ne lui est rien… Attention Charlie, elle arrive !

 — Qui ça ?

 — La police !

 — Trop fort, tu sais faire ton truc de prédiction comme ça, sans te concentrer !

 — Charlie, je ne prédis pas, je les vois : Ils sont en bas ! Merde, comment ils ont su pour Thomas ? Ça veut dire qu’ils savent que j'existe et que je suis avec toi. Qui a bien pu leur dire ? Il n'y a que quelques personnes qui sont au courant : toi, Thomas, Mathilde, Jo... Et notre mère. Qui a bien pu leur parler ?

 — Dan, excuse-moi, je ne voudrais pas descendre ta Mathilde de son piédestal mais il n'y a pas qu'elle qui a entendu parler du procès... Si elle est parvenue à te retrouver, je pense que d'autres le peuvent aussi...

 — Mais ne t'inquiètes pas Charlie, tu ne la descends pas du tout de son piédestal, répondit Dan, piqué au vif. Elle a quand-même le mérite d’avoir été la première à la retrouver !

 Mais devant la moue dubitative de sa sœur, il préféra abandonner momentanément la partie.

 — Reste à savoir ce qu’on fait maintenant que les flics ont trouvé Thomas… s’inquiéta Dan.

 — On tente Mathilde?

 — Non, parce que s’ils ont trouvé Thomas, ils vont forcément bientôt débarquer chez Mathilde aussi...

 — Oui, mais il se trouve qu’on a plus qu’elle, Dan... Dis-moi, pourquoi tu veux pas essayer d'aller chez Mathilde?

 — Parce que, je te l'ai déjà dit, je lui ai assez posé de problèmes comme ça !

 — D'accord, je pose ma question autrement : Pourquoi depuis huit jours tu ne t'es pas non plus rendu chez elle?

 — Je ne sais pas... Peut-être que j'avais peur de devoir en repartir...

 — Ah les mecs ! Finalement vous êtes beaucoup plus fleur bleue que nous !

 — Surtout toi, se moqua Dan !

 — Tu sais, dit-elle plus sérieusement, tu risques de ne pas la voir pendant un bon petit moment...

 — Je sais Charlie... Bon, ok, on tente Mathilde...

 — Même si ce n'est que quelques minutes ?

 — 11, Rue Beaurepaire, mademoiselle la guide !

 — Ah oui, mais alors là, désolé, c'est le terminus, tout le monde descend ! Ben oui, c'est dans le dixième, c'est trop loin, il y a la Seine à traverser ! Et j'ai pas de copines qui habite dans ce coin-là de la ville... En revanche, je connais quand même un peu le quartier, il y a un super bouquiniste là-bas, chez qui je suis allée l'autre jour.. Et il y a aussi un foyer de la Ddass par là-bas, pas vrai? À croire que je le sentais arriver, le coup du frère !

 — Oui. Et tu ne crois pas si bien dire : je suis sûr que tu as eu l'impression, la première fois, d'atterrir là par hasard. Mais tes pas ne t'ont pas amenée là par sans raison, que tu le veuilles ou non. La preuve !

 — Oui bien sûr... Tu es gentil mais il m'en faudra un peu plus pour me convaincre ! Allez, on y va : suis-moi, on va passer par chez une copine.

 Les deux acolytes se glissèrent donc à l'intérieur d'un immeuble en se faufilant au travers d'une petite trappe. Charlie abandonna là son échelle, attrapa un stylo et un post-it rangés dans la poche avant de son sac, et écrivit quelques lignes

 « Coucou la puce,

Mon échelle est là-haut. A bientôt. Bisous.

Charlie. »

 Puis, tous deux descendirent les étages. Au troisième, Charlie s’arrêta, glissa le mot sous la porte, et tous deux reprirent les escaliers jusqu'au hall d'entrée. Ils sortirent, et s’éloignèrent l'un, l'autre de quelques mètres pour ne pas éveiller les soupçons de quelque policier zélé. Plusieurs minutes plus tard, Charlie arriva la première et s’arrêta à l'angle de la rue de Mathilde pour observer l'entrée de l'immeuble. Les attendait-on ? La police était-elle embusquée quelque part à attendre tranquillement qu’ils se jettent dans la gueule du loup ? Mais elle savait à quel point Dan avait besoin de voir son amie. Elle ne le connaissait que depuis huit jours mais elle avait compris qu'elle était vitale pour son équilibre. Elle avait l'impression que moins il en parlait, plus il y pensait. Et plus il y pensait, plus il déprimait. Ça devait tourner à l'obsession dans sa tête. De jour en jour, elle le voyait de plus en plus taciturne. Ces deux-là devaient vraiment être très complices ! Repartir sans la voir, ne serait-ce que quelques minutes, aurait été décidément inconcevable ! Charlie était ainsi perdue dans ses pensées quand elle vit soudain Dan la dépasser et foncer en direction du trottoir opposé à l'immeuble de Mathilde.

 Dan avait aperçu Mathilde. Il ne put s’empêcher de courir à sa rencontre, un sourire béat aux lèvres, en dépit de toutes les règles de prudence qui auraient dû s’imposer à lui. Quand il s'aperçut qu’elle l'avait vu, ne lui laissant que le temps de la surprise, il plongea entre ses bras et l'embrassa langoureusement. Mathilde se laissa emporter à son tour et s’accrocha à ses épaules, à ses lèvres, à son corps tout entier. Quelques minutes plus tard, Mathilde fut la première à se détacher mais sans cesser de regarder Dan dans les yeux. Heureuse, elle lui demanda :

 — Mon Dan, mon amour, cette fois-ci, je ne te quitte plus. Tu as voulu ta mère, ton père, je te les ai offerts pour ton bonheur et pour le mien aussi. Je t’aime depuis tellement longtemps ! Je t’aime et je suis prête à tout aujourd'hui pour qu'on puisse vivre un jour, enfin ensemble, heureux.

 — Mathilde, aujourd'hui, je voudrais juste avoir la liberté de t'aimer...

 Il ne put aller plus loin et s’empêcher de l'aimer encore. Il plongea ses yeux embués de larmes et l'embrassa encore.

 Mais soudain il sentit une main s’emparer de son épaule et l'entraîner en arrière. Le temps passait si vite…

 — Veuillez nous suivre s' il vous plaît !

 Dan laissa retomber ses bras abandonnant ainsi le corps de Mathilde.

 — Je reviens. Attends-moi encore un instant. Le dernier, je te promets, lui susurra-t-il avant d'abandonner son sort aux deux policiers qui l'encadraient.

 Puis, alors qu’il se tourna vers eux, il vit Charlie qui était déjà dans leur voiture. Quand reverrait-il Mathilde ? Il n'en avait aucune idée. Mais il savait déjà que loin d'elle le temps serait bien long.

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