Je suis le Dieu de la couleur rousse. Vous ne me connaissez pas, car je ne suis pas une divinité bankable, comme on dit. J’ai essayé depuis la nuit des temps de défendre les miens, ce qui fut loin d’être une tâche facile. Je n’ai d'ailleurs jamais compris pourquoi, à l’époque, on nous brûlait vifs. Nous sommes d’honnêtes gens, juste un poil de carotte différent.

On me qualifie de naïf du haut de mon nuage. C’est vrai que je n’ai pas réussi à sauver mes semblables jadis, et aujourd’hui mes interventions se limitent à multiplier les tons roux dans la nature autant qu’il se peut. Je m’applique en effet à donner les plus beaux reflets roux aux poils des renards et des écureuils, à rendre le ton des carottes le plus intensément orange possible, à magnifier la pureté du reflet du sucre roux, ou à rendre étincelante la chaire des melons de type charentais. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. Mon travail est précis et infini. Je suis un peintre obsédé par une seule couleur et ses mille nuances.

De nos jours, nous les roux, sommes redevenus à la mode. J’en suis ravi. On nous sublime sur les photos de magazines en soulignant notre singularité. On nous festoie même dans un festival une fois par an. C’est d'ailleurs le seul jour où je descends sur terre en passant incognito parmi mes frères de couleur.

Alors quand j’entends à droite ou à gauche qu’il y a des fans de mes confrères roux, je m’attache à les suivre avec joie du haut de mon nuage et je ressors de mon bric-à-brac ma baguette magique, pour faire “Abracadaroux”. J’essaye ainsi d’influer sur leur destin en provoquant des rencontres avec mes semblables ou alors en faisant tout bonnement la pluie et le beau temps, car en fait j’avoue ne pas être très habile avec cette baguette.