Onmal et Oniress
Les six hommes l'attrapèrent. Blessé et éreinté, il ne pût résister lorsque le plus fort du groupe le saisit par les cornes et le plaqua au sol. Aussitôt un autre vint appuyer son épaisse botte contre le visage de la bête pour la maintenir au sol. Les quatre derniers l'encerclant avec prudence.
C'étaient des soldats de la cité de Vinrek, reconnaissables à leurs livrées à l'étoffe bleu sombre complétées d'une armure noire comme l'encre. Celui qui se tenait debout fièrement sur la créature était leur chef, qui, pour sa part, était revêtu d'un grand manteau noir doublé de plaques d'acier. Il avait un visage taillé à la serpe, une barbiche blanche comme neige et pointue en forme de crochet, les cheveux courts sur le dessus du crâne, et un cache œil en cuir sur l'œil gauche. Avec un sourire fier, il agitait la pointe de son épée devant le visage du monstre affolé qui pestait et mugissait de rage.
- "Ça les enfants, c'est comme ça qu'on fait quand on veut capturer vivant un cornu. D'abord vous lui écrasez sa sale face de chacal, ensuite vous lui tailladez le cuir comme ça !"
Il planta vigoureusement sa lame dans le dos de la bête. Son cuir épais résista un temps, mais l'homme faisait preuve d'une grande force, et il finit par percer la peau. Un filet de sang coula lentement entre les poils.
La bête hurla de rage plus que de douleur.
- "Prenez garde monsieur." Fit le plus jeune des cinq soldats, un jeune freluquet aux cheveux noirs filasses lui retombant sur tous les côtés de la tête dans le plus grand irrespect de la rigueur militaire. "Il a l'air féroce. On devrait peut être le tuer et en rester là."
L'officier fit comme s'il ne l'avait pas entendu et planta à nouveau son épée, visant la cuisse cette fois ci. Mais la lame rebondit sur son cuir et se planta dans la terre. Le vieil homme jura et sortit sa lame du sol pour l'examiner et retirer la terre avant qu'elle ne la fasse rouiller.
C'est à ce moment là que la bête rua plus fort qu'avant. Dans un mouvement d'une force surprenante, la créature se leva sur ses pattes arrières, envoyant au sol l'officier, prit par surprise. Le soldat qui le tenait par les cornes ne pût rivaliser avec la force du monstre qui non content de se libérer lui assena un violent coup de tête. Un craquement sourd résonna et le guerrier humain s'effondra.
Les quatre autres, affolés, dressèrent leurs armes pour parer une attaque. Leur chef leur cria d'attaquer, mais ils hésitaient. C'est alors que la créature prit la parole d'une voix rocailleuse.
- "Moi fort ! Humains faibles ! Vous êtes nourritures ! Moi tuer !"
Dans un geste de vengeance, il frappa l'officier à terre avec sa patte, lui brisant un bras. Tandis que leur chef hurlait de douleur, les quatre soldats virent la bête leur foncer dessus, la tête baissée, les cornes en avant. Le plus jeune fut encorné au niveau du cou, trop effrayé pour réagir à temps. Les trois autres répliquèrent en frappant de toute leur énergie avec leurs épées, mais la bête encaissait sans broncher, ses muscles à la vigueur surnaturelle absorbant sans peine ce que sa peau épaisse n'arrêtait pas.
Puis un coup de feu résonna.
La créature se retourna en mugissant, poussa un dernier beuglement de rage et de frustration puis s'étala dans l'herbe, vaincue.
Aussitôt, les soldats se précipitèrent sur son corps immobile pour le réduire en charpie avec leurs épées, sous le regard approbateur du licteur.
Celui ci rechargea calmement son pistolet à silex et le rangea dans son étui. Puis il regarda la scène de haut tandis que l'officier se relevait et marchait vers lui en serrant les dents, son bras blessé tenu contre son torse.
En voyant l'uniforme caractéristique des licteurs , il haussa un sourcil.
- "Euh… merci…" dit il avec hésitation.
Les licteurs étaient des combattants à l'aspect étrange. Tout de noir vêtus de la tête aux pieds, ils portaient une veste de cuir avec de longues basques et un chapeau à larges bords. Celui là fumait la pipe avec flegme tout en jaugeant les soldats de ses grands yeux noirs. Il daigna desserrer les dents pour lancer:
- "Inutile de me remercier. Je ne fais que déblayer la route pour le convoi du consul Onmal Ankassen. Mon devoir de licteur m'interdit de laisser une bête sans collier en vie là où mon maître va passer."
Le convoi avançait lentement, s'adaptant au rythme de la lourde escorte du consul Ankassen. Des lanciers phalangistes ouvraient et fermaient la marche. Sur les côtés des arbalétriers lorgnaient la campagne de leurs regards inquisiteurs. Des cavaliers revêtus de cuirasses d'acier lourd entouraient un somptueux carrosse décoré d'or et d'argent.
Onmal regardait défiler la campagne d'un œil morne. Son esprit préoccupé par mille questions. C'était un homme dans la force de l'âge, au maintien noble et à l'allure altière. Son visage doux était percé de deux yeux en amande au regard perçant. Son nez était long et crochu comme un bec de corbeau. Il avait une fine moustache brune soigneusement taillée avec une barbiche de même acabit autour d'une grande bouche aux lèvres minces. Son menton carré complétait son allure de guerrier qu'il soulignait intentionnellement par sa posture et son accoutrement. Une épée à la ceinture, il était revêtu d'un pourpoint ocre et rouille avec des braies de cuir et un jabot blanc au cou. Il était coiffé d'un chapeau de mousquetaire gris cendré surmonté de plumes violettes et beiges arrangées de manière chaotique. Aux mains il portait des gantelets d'acier, aux pieds des bottes à éperons. Accroché à son torse, six gaines en cuir alignaient ses six pistolets. Il devait paraître paré pour la guerre. C'était vital pour sa stratégie politique.
Alors qu'il poussait un soupir, son attention se reporta sur Oniress. Elle était vêtue à la mode des provinces, d'une robe grise cendrée avec des étoffes pourpres par endroit. Elle avait elle même amélioré le vêtement pour lui donner un intérêt militaire. La robe était ainsi doublée de mailles légères, le corset remplacé par un épais plastron d'acier, et des plaques de métal étaient fixées au niveau des épaules et des avants bras. Elle portait une immense perruque, comme toutes les grandes dames, à ceci près qu'elle l'avait décorée de plumes violettes et beiges pour être assortie au chapeau d'Onmal.
Elle étudiait un plan de la région avec une rigueur bien à elle. Elle ne lança qu'un regard à Onmal puis ses yeux retournèrent au plan. Ce qui ne l'empêcha pas de lui lancer:
- "Tu m'as l'air préoccupé je me trompe ?"
Onmal allait répondre quand elle ajouta d'un ton impératif:
- "Fais en sorte que cela ne se voie pas."
Le consul grogna.
- "Facile à dire. Il y a un point que nous n'avons pas pris en compte dans notre plan. Et si, sitôt arrivé à Vinrek on m'assassine ? Tu y as pensé ?
- Les licteurs nous ont précédés. Personne ne nous tend un piège sur la route.
- Oui, mais à Vinrek même ? Je vais devoir tenir un discours en public. Et si mes opposant envoient… ou même simplement, et si quelque lunatique sort un pistolet ou une arbalète pendant le discours et me tire dessus ? Tu sais aussi bien que moi jusqu'où ces gens peuvent aller s'ils pensent que je mets en péril la république."
Oniress eut un sourire mesquin.
- "Si tu es abattu en plein milieu de ton discours, tu deviendras un martyr, et la république s'effondrera d'elle même. Mieux, si tu survis avec une balle dans le corps, tu auras un prétexte suffisant pour faire le ménage au sénat en éliminant les intrigants présumés. Dans tous les cas, c'est bénéfique pour notre cause."
Onmal fit la grimace, mais ne chercha pas à poursuivre la discussion. Il regarda à nouveau par la fenêtre tandis que défilaient les vastes champs entourant la cité, dans lesquels travaillaient sans relâche des bêtes difformes portant collier, encadrées par des contremaîtres qui maniaient le fouet avec sadisme et dextérité. Cette image déroutante des créatures foulant la terre de Vinrek de leurs pattes velues ou de leurs sabots fourchus était ironiquement le symbole de la prospérité de la république. Ces abominations abjectes, Onmal les détestait. Il les méprisait. Seul un collier béni portant la marque de Methrovirsk pouvait rendre ces choses serviles, mais sans ça…
Il secoua la tête. Heureusement que les bêtes sauvages existaient. Heureusement qu'elles accablaient les campagnes et les villes humaines depuis des temps immémoriaux. Sans cela, non seulement les humains seraient obligés de travailler, mais surtout sa stratégie politique ne serait plus envisageable.
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