Chapitre 1
Il y avait un bébé dans la baignoire. Une constatation des plus factuelles qui ne la troubla pas outre mesure. Elle s’assit avec lenteur sur le rebord de céramique blanche et entreprit de consciencieusement rouler une cigarette. Son tabac était vieux, difficile à tasser, et elle grogna de mécontentement en renversant des miettes au sol. Fouillant ses poches, elle parvint à en extraire un briquet et alluma avec un bruit sec l’embout de sa clope. Elle aspira une longue bouffée, observant avec délectation le rougeoiement des braises se refléter en clignotant sur les murs crasseux de la salle de bain. Elle savoura quelques instants l’âpre fumée qui lui raclait la gorge. Alors seulement, Justine se retourna avec curiosité vers le môme qui gazouillait au fond de son berceau de fortune. Petite chose informe et grasse, ce rosâtre amas de chair d’où s’échappaient d’éparses mèches blonde n’était certainement pas une beauté. Les nouveaux nés n’étaient de toute manière jamais très agréables à regarder, ils évoquaient souvent à Justine un étrange croisement entre la larve et le leucémique en bout de course. Le gamin n’avait cependant pas l’air bien malheureux. Tout à fait inconscient de sa piètre situation, il pépiait avec entrain, essayant d’attraper son minuscule pied qui ne cessait de lui échapper. Voilà qui l’occuperait un moment.
Tout de même, songeait Justine, il lui faudrait peut-être prévenir quelqu’un. Elle jeta un bref coup d’œil vers la porte verrouillée, au travers de laquelle lui parvenait le brouhaha étouffé des rires avinés sur fond de guitares glam criardes. La soirée battait son plein, là-bas. La génitrice de l’enfant était fort probablement dans la foule des convives, occupée à s’emplir le nez ou les veines de substances peu recommandables, et Justine sentait déjà l’ennui la gagner à l’idée de devoir la rechercher. Pas question, non, elle se contenterait de signaler l’objet perdu. Cette action lui paraissait amplement suffisante pour la soulager de son fardeau éthique. Satisfaite de son projet, elle termina sa cigarette avant de la jeter dans la cuvette des WC, puis s’apprêta à retourner dans la marée humaine au-dehors.
La main sur la poignée de la porte, elle hésita un instant. Autant profiter du calme relatif de la pièce, n’est-ce pas ? Un peu plus tôt, une vague connaissance lui avait glissé un sachet de poudre jaunâtre dans la veste et, bien qu’elle n’ait aucune idée de la nature du produit, il n’était pas dans ses habitudes de refuser un présent. Par acquit de conscience – bien saugrenu au vu des conditions – elle vérifia que le gamin ne pouvait pas la voir de sa baignoire, puis sorti avec précaution la petite pochette de plastique transparent. Justine dessina sur le montant des toilettes trois belles lignes, qu’elle engouffra aussitôt dans ses narines. L’acidité lui agressa violemment les muqueuses, lui faisant comiquement froncer le nez. Se retenant de justesse d’éternuer, elle essuya de sa manche les restes collés sur sa peau. Voilà une bonne de faite, elle se sentait désormais prête à affronter la nuit. Par vaine coquetterie, elle consulta son reflet dans un bout de miroir terni. L’arrondi pâle de son visage, encadré par une courte chevelure rousse coiffée en bataille, affichait des signes alarmants de fatigue. Autant être honnête, Justine était déjà passablement ivre et le maquillage noir dont elle grimait ses yeux commençait à couler, soulignant grossièrement ses cernes. Effacant d’un revers de paume les traces disgracieuses, elle s’essaya à sourire, battant rapidement en retraite devant la grimaçante figure aux pupilles écarquillées qui la fixait dans le miroir. Elle ne comptait pas de toute manière gagner le moindre concours de beauté aujourd’hui.
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